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L’angoisse de l’entrepreneur face à la rupture conventionnelle
©Reuters

Travail

Selon le ministère du Travail, près de 33.000 salariés ont bénéficié, chaque mois, en moyenne, d’une rupture conventionnelle. Pour mémoire, en décembre 2016, Pôle Emploi a enregistré 13.000 licenciements économiques et 27.000 fins de missions d’intérim. En France, on rompt donc trois fois plus le contrat de travail à l’amiable qu’on ne licencie économiquement. Tout l’enjeu est de savoir si les entrepreneurs doivent se réjouir ou non de l’émergence de ce mode de rupture du contrat.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Selon le ministère du Travail, près de 33.000 salariés ont bénéficié, chaque mois, en moyenne, d’une rupture conventionnelle. Pour mémoire, en décembre 2016, Pôle Emploi a enregistré 13.000 licenciements économiques et 27.000 fins de missions d’intérim. En France, on rompt donc trois fois plus le contrat de travail à l’amiable qu’on ne licencie économiquement. Tout l’enjeu est de savoir si les entrepreneurs doivent se réjouir ou non de l’émergence de ce mode de rupture du contrat.

La rupture conventionnelle, une réussite…

Souvenons-nous! en janvier 2008, les partenaires sociaux signent un accord national interprofessionnel sur le modernisation du marché du travail qui crée un nouveau mode de rupture du contrat de travail: la rupture conventionnelle. Soumise à une homologation par l’administration du travail, échappant au contrôle des prud’hommes, la rupture permet d’éviter le recours formel au licenciement pour faute lorsqu’un employeur et un salarié souhaitent mettre fin au contrat de travail d’un commun accord et sans renoncer aux indemnités conventionnelles.
Neuf ans plus tard, le recours à la rupture conventionnelle s’est banalisé. En apparence, tout le monde peut donc se féliciter de cette invention.

- qui devait éviter la judiciarisation des rapports professionnels

De fait, souvenons-nous de l’époque où la rupture du contrat de travail était forcément un traumatisme, spécialement pour les cadres. Quand il s’agissait de rompre, il fallait monter un dossier de faute avec une transaction cachée pour que l’affaire ne se termine pas aux prud’hommes. Le salarié qui perdait son job convenait alors de l’indemnité transactionnelle qu’il percevait en contrepartie de son renoncement à toute procédure contentieuse.
Pour tous ces cas délicats, la rupture conventionnelle a dédramatisé les enjeux en permettant à chacun de se séparer sur un constat d’échec assorti d’un petit cadeau de départ, sans être obligé de saisir les prud’hommes pour faire pression sur l’employeur.

L’envers du décor

Reste que, malgré ces apparences faciles, le véritable portrait de la rupture conventionnelle est un peu plus complexe. Depuis son invention, en effet, et malgré son succès fulgurant, l’activité des prud’hommes ne faiblit pas et les délais d’attente ne cessent de s’y allonger. Ainsi, selon le rapport Lacabarats de 2014, la durée moyenne d’attente de traitement des affaires aux prud’hommes était proche d’un an, soit deux fois plus que dans les autres tribunaux. Cette durée moyenne ne cesse de s’allonger.
En volume, les prud’hommes avaient reçu 200.000 affaires nouvelles en 2009. En 2016, ce chiffre est tombé à 185.000 environ, mais, en 2013, il était monté à 205.000.
Les 400.000 ruptures conventionnelles annuelles n’ont donc pas fondamentalement permis une déjudiciarisation du licenciement.

La rupture conventionnelle est-elle favorable aux salariés ou aux employeurs?

Lors de son invention, la rupture conventionnelle était volontiers présentée comme une facilité accordée aux employeurs.
Dix ans plus tard, on s’aperçoit qu’elle n’a pas exactement produit les effets escomptés. Le fait qu’elle n’ait pas vraiment diminué la conflictualité des procédures de licenciement « sec » montre qu’elle ne constitue pas à proprement parler une alternative aux ruptures contentieuses du contrat de travail. Le salarié qui conteste son licenciement continue à traîner son employeur devant les tribunaux.
En revanche, la rupture conventionnelle a couvert les besoins d’une autre catégorie: celle qui regroupe les salariés désireux de quitter leur emploi, sans que l’employeur n’en partage forcément le désir. Pour tous ceux-là, le recours à la démission paraissait jusqu’ici exclu ou peu souhaitable du fait de l’absence d’indemnités. La rupture conventionnelle leur donne la possibilité de « sortir du bois » en espérant décrocher un petit jackpot au moment du départ.

Un nouveau droit du salarié?

Un petit sport s’est donc répandu parmi les salariés, et que les employeurs peuvent rapidement repérer. Il consiste, lorsqu’on n’est plus en période d’essai et qu’on oeuvre dans un métier en tension, à demander à son employeur une rupture conventionnelle plutôt que de démissionner. Lorsque l’employeur a le malheur de refuser l’opération, le salarié commence rapidement à jouer le pourrissement (arrêt maladie, excès de zèle, conduite désagréable) jusqu’à ce que l’employeur cède.
La logique sous-jacente est simple à comprendre: la rupture conventionnelle est un droit du salarié, et l’employeur qui la refuse est un exploiteur. Contrairement au mythe répandu, la rupture conventionnelle n’est pas automatiquement à l’initiative du patron. Ce renversement logique n’avait pas forcément été imaginé en 2008, lors du lancement de la rupture.

Le casse-tête de la rupture personnelle du contrat

L’invention de la rupture conventionnelle a donc produit des effets pervers en cherchant une réponse astucieuse à la vraie question de la flexibilité du contrat de travail. Là où les concepteurs de l’idée imaginaient apporter de la souplesse, ils ont à de nombreux égards et dans un éventail large de cas apporté de la rigidité.
Ignoraient-ils complètement les risques afférents à leur solution?
De fait, le licenciement personnel pose deux questions majeures. L’une, adressée par la rupture conventionnelle, est celle de la judiciarisation de l’opération et des risques afférents. On a vu que l’homologation par l’administration du travail a constitué une réponse maladroite et même ratée à ce problème. L’autre est celle du coût et du délai de l’interruption du contrat de travail. Sur ce point, la rupture conventionnelle ne dispense pas l’employeur de devoir chercher un terrain d’entente avec le salarié pour régler les modalités de son départ.

Pourquoi les employeurs sont timides sur ce sujet

Il existe une raison structurelle pour laquelle les employeurs et leurs syndicats n’ont pas, en 2008, cherché à instaurer une véritable flexibilité dans la rupture du contrat individuel de travail et pour laquelle ils sont restés à la croisée des chemins. Là encore, les préjugés et les fantasmes poussent à imaginer qu’une simplification du licenciement individuel profite forcément aux patrons. Et c’est vrai que, dans un certain nombre de cas, l’éviction rapide d’un salarié insuffisant peut susciter des envies. Mais celles-ci sont immédiatement suivies par un sentiment plus mitigé.
La simplification du licenciement implique aussi, par parallélisme des formes, une simplification de la démission. Faciliter le départ d’un salarié est ambivalent, et pour un certain nombre de salariés, pouvoir partir vite et en toute légalité peut constituer une tentation dangereuse pour l’ensemble de l’entreprise.
Que devient celle-ci en effet si, comme dans la loi travail récemment adoptée en Belgique, le salarié peut quitter son poste en huit jours? La transmission de savoir-faire, de formation, devient soudain beaucoup plus compliquée…

La question délicate des métiers en tension

Dans les métiers en tension, une flexibilité trop poussée constitue donc une prise de risque importante pour les employeurs, et c’est pour cette raison que les représentants patronaux dans les négociations n’ont pas porté de solutions extrêmes sur le sujet. S’il est souhaitable de faciliter le départ de salariés qui posent problème, il n’est pas souhaitable d’accorder la même facilité à ceux qu’on veut garder. D’où le vice originel de la rupture conventionnelle qui a encourage à la recherche de solutions négociées en accordant un véritable levier aux salariés, mais qui prend bien garde à ne pas faciliter les départs unilatéraux.
On retrouve ici la dualité du marché du travail en France. D’un côté, les métiers très flexibles où le turn-over n’est ni un problème ni une menace. De l’autre, les métiers à forte valeur ajoutée où le départ inopiné d’un salarié constitue une perte sèche qui met les employeurs en difficulté. Voilà un beau cas de figure où la définition des règles de rupture devraient relever des accords de branche…
En attendant, l’employeur qui reçoit la visite d’un salarié pour parler « rupture conventionnelle » est rarement rassuré sur son sort.

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