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L’accord conclu par les Américains avec les taliban le 29 février vole en éclats
©MARK WILSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Négociations

Les Américains et taliban ont récemment signé un accord historique, dans lequel Washington s’est engagé à un retrait complet de ses troupes sous quatorze mois. Les Etats-Unis ont pourtant annoncé avoir mené ce mercredi une frappe aérienne contre les taliban.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Les États-Unis représentés l'ancien ambassadeur américain Zalmay Khalizad (d’origine afghane) cornaqué par le secrétaire d’État Mike Pompeo ont signé samedi 29 février un accord avec le mollah Abdul Ghani Baradar, le numéro deux des taliban à Doha (Qatar) en présence d’observateurs afghans, pakistanais et indiens. Cette signature a été saluée par des "Allahu akbar" proférés par la délégation des taliban ce qui démontre qu’ils considèrent - même s’ils n’ont pas encore gagné la guerre -, que la première puissance mondiale l’a perdue. Haibatullah Akhundzada, l'émir des taliban afghans, ne s'est pas gêné pour proclamer la "victoire au nom de l'ensemble de la nation musulmane et des moudjahiddines".

Cette cérémonie avait été précédée d’une semaine de "réduction de violence" (et pas un cessez-le-feu), période qui avait été globalement respectée (19 membres des forces de sécurité et quatre civils tués, ce n’est pas grand-chose en Afghanistan). Mais dès le 1er mars, les chefs locaux taleb ont reçu de la Choura (organe de commandement des taliban) pour instruction de redémarrer les opérations anti-gouvernementales.

Des négociations discrètes qui avaient eu lieu depuis 2018 sous l’égide du Qatar avaient fini par aboutir à cette signature qui, répétons le, n’est pas un "accord de paix" mais un "accord" entre les Américains et les taliban. Le président Donald Trump veut absolument tenir sa promesse de ramener les boys à la maison avant la prochaine présidentielle de novembre. Il en reste aujourd’hui 12.000, 5.000 devant quitter le pays avant la fin mai. Un premier contingent devrait symboliquement partir ces jours-ci. Il ne devrait pas rester une "botte US sur le terrain" en mai 2021. En échange, les taliban se sont engagés (mais aussi pour d'autres groupes présents en Afghanistan) à  ne pas attaquer les intérêts américains (en rappel de ce qui s’était passé le 11 septembre 2001) et à combattre Daech et Al-Qaida. Sur ce dernier point, il semble que Washington se trompe sur le contenu des déclarations des taliban qui n'ont pas l'intention de s'en prendre à Al-Qaida dont le chef, Al-Zawahiri, a fait allégeance à Haibatullah Akhundzada comme Oussama Ben Laden l'avait fait vis-à-vis de son prédécesseur, le mollah Omar. 

Pour Washington, cet accord fait partie d’un processus beaucoup plus large qui est une "opportunité offerte" pour amener à la table des négociations - sans doute à partir du 10 mars - les taliban, le pouvoir en place à Kaboul (le président Ashraf Ghani) et tous les responsables politiques (dont Abdullah Abddullah qui est en conflit ouvert avec Ghani).

En clair, les Américains se désengagent graduellement après la plus longue guerre de leur Histoire qui vu 2448 boys tués (sur un total de 3592 Occidentaux dont 90 Français).  Ils ont obtenu la promesse que les taliban veilleraient à ne pas nuire aux intérêts américains dans l’avenir comme cela avait été le cas lorsqu’ils abritaient Oussama Ben Laden. Mais tout reste à faire dans la réorganisation de l’Afghanistan et les acteurs nationaux et internationaux (les pays voisins) ont des intérêts divergents. Pour parvenir à ce premier résultat, toutes les parties auraient consenties d’"importants compromis". Certains analystes avancent qu’il s’agit surtout de "gros mensonges" dont personne n’est dupe sauf la presse internationale.

Les taliban tiennent un discours destiné à l’extérieur - affirmant qu’ils acceptent de parler au gouvernement de Kaboul alors que tous les soldats étrangers n’ont pas quitté le sol afghan (et qu'ils ont promis de ne pas attaquer) - mais aussi à leurs propres troupes en proclamant leur victoire militaire. Il y a fort à parier qu’au final, c’est cette deuxième option qui l’emportera. Même le président afghan Ghani resté à Kaboul a dû être rassuré par le Secrétaire à la Défense US Mark T. Esper qui avait été dépêché à ses côtés pour lui assurer que l'armée américaine continuerait à aider son homologue afghane et que si les taliban n'honoraient pas leur parole, "les États-Unis n'hésiteraient pas à annuler l'accord". Personne ne dit si Ghani a cru à cette promesse ou s'il s’est rappelé l’histoire du président Mohammad Najibullah Ahmadzai abandonné par les Soviétiques en 1989 puis assassiné par les taliban lors de leur prise de Kaboul en 1996…

Le premier "couac" est venu de lui lorsqu’il a affirmé que la libération de 5000 prisonniers (en échange de 1000 détenus par les taliban) avant le début des négociations avec les taliban n’était pas envisageable. Cela ne pourrait être discuté qu’au cours de ces mêmes négociations. Les taliban ont immédiatement réagi en déclarant que l’accord signé n’était pas respecté par Kaboul…  Le deuxième réside dans le fait que Sirajuddin Haqqani, le chef militaire des taliban afghans, n'a pas renoncé à sa proximité avec Al-Qaida. Pour mémoire, les principaux leaders de cette "nébuleuse" reconnaissent Akhundzada et Haqqani comme leurs "émirs". Dès les années 1980, Jalaluddin Haqqani, le père de Sirajuddin, était un des premiers soutien et bienfaiteur de Ben Laden. C'est ce qui s'appelait alors le "réseau Haqqani". Le troisième "couac": le 4 mars les Américains ont procédé à une frappe air-sol (menée par un drone) dans la province d'Helmand visant des éléments taliban qui attaquaient une position afghane (20 membres des forces de l'ordre avaient été tués). Cette frappe qualifiée de "défensive" ne présage rien de bon pour l'avenir. 

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