Islamisme : que finance exactement le Qatar en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Christian Chesnot publie « Le Qatar en 100 questions : Les secrets d’une influence planétaire » aux éditions Tallandier.
Christian Chesnot publie « Le Qatar en 100 questions : Les secrets d’une influence planétaire » aux éditions Tallandier.
©AFP

Bonnes feuilles

Christian Chesnot publie « Le Qatar en 100 questions : Les secrets d’une influence planétaire » aux éditions Tallandier. En moins de vingt ans, ce petit pays a connu une ascension fulgurante et a acquis une réputation sulfureuse. Le Qatar a su se rendre incontournable sur la scène internationale. Extrait 1/2.

Christian Chesnot

Christian Chesnot

Christian Chesnot est grand reporter à la rédaction internationale de Radio France.

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L’émirat ne finance pas directement des organisations terroristes, sauf dans le cas de paiement de rançons versées à celles-ci en échange de la libération d’otages qu’elles détiennent, mais il a longtemps laissé des personnes privées qatariennes abonder les caisses des organisations extrémistes. C’est le principal reproche qui lui est adressé, notamment par les États-Unis, dont les rapports officiels du département d’État sur le terrorisme publié chaque année ont longtemps dénoncé le laxisme dans le contrôle de ce financement.

Jusqu’en 2015, entre « 8 et 12 » Qatariens finançaient des organisations terroristes, en particulier la branche syrienne d’Al-Qaïda – le Front al-Nosra – et Daech. Abdulrahman al-Nouaymi versa chaque mois 2  millions de dollars à Al-Qaïda en Irak – l’ancêtre de Daech – puis finança le groupe libanais Osbat al-Ansar du camp de réfugiés palestiniens d’Eïn Héloué, au sud de Beyrouth. En 2014, il transféra encore 600 000 dollars à Abou Khaled al-Souri, l’envoyé en Syrie du chef d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri. Enfin, il fournit 250 000 dollars à la direction d’al-Shabab, le groupe somalien lié à Al-Qaïda. D’autres – Hassan Kuwari et Abdullah Ghanim Khawar – ont été accusés par le département du Trésor d’avoir « fourni plusieurs centaines de milliers de dollars à Al-Qaïda ».

Les connexions du Qatar avec la mouvance djihadiste remontent à la décennie 1990. En 1996, l’avion qui emmena Oussama Ben Laden du Soudan au nouveau siège d’Al-Qaïda à Jalalabad en Afghanistan fit escale à Doha. Le chef d’Al-Qaïda avait alors coutume de dire que « le Qatar est une terre de passage » vers le djihad qu’il convient d’épargner. La seule fois, en 2005, où l’émirat fut visé par une action terroriste, c’était vraisemblablement parce que le Qatar avait coupé les finances à Al-Qaïda.

Plusieurs membres de la famille régnante n’ont jamais caché leurs sympathies envers les djihadistes. Fahd, demi-frère de l’émir Tamim, fit même le djihad au Pakistan en 1993. Et son oncle, cheikh Abdallah, était un ami de Khaled cheikh Mohammed, le cerveau des attentats du 11 Septembre aux États-Unis, qu’il abrita d’ailleurs au Qatar, au début des années 1990.

Sous pression, Doha a fini par faire des efforts pour contrer le financement du terrorisme. En 2015, le Qatar a gelé des comptes et imposé une interdiction de sortie du territoire à deux financiers du terrorisme. Il a restructuré son comité antiterroriste, après avoir adopté plusieurs décrets limitant les activités des ONG caritatives, comme Qatar Charity. Depuis avril 2018, un représentant du ministère de la Justice américain est stationné au Qatar pour assister l’émirat dans sa lutte antiterroriste. Ces efforts ont été salués par les Occidentaux, qui maintiennent toutefois la pression sur leur turbulent allié. 

Le Qatar finance-t-il l’islam de France ?

Contrairement à l’Arabie saoudite qui a longtemps financé une dizaine de mosquées au su des autorités françaises, le Qatar n’affiche pas une telle transparence. À partir de 2005, Doha va pourtant vouloir peser sur l’islam de France en finançant des centres islamiques ou des mosquées. L’argent ne provient pas de l’État, mais d’individus privés ou d’ONG prétendument indépendantes du pouvoir. Cette manœuvre permet à l’État qatarien, lorsqu’il se retrouve en position d’accusé, de se dédouaner de toute responsabilité.

En France, les bénéficiaires sont, en général, des associations liées à la mouvance des Frères musulmans, la carte que joue le Qatar dans sa diplomatie religieuse.

Entre 2008 et 2019, Qatar Charity, l’une des plus importantes ONG de l’émirat, octroya une trentaine de millions d’euros à 22 associations ou centres islamiques en France, comme le révéla Qatar Papers. Parmi ceux-ci : la mosquée An-Nour à Mulhouse – la plus grande de France –, la mosquée « des martyrs » à Poitiers, celles de Hautepierre à Strasbourg, à Décines, au Havre, les centres islamiques de Villeneuve-d’Ascq et de Reims, le lycée Averroès de Lille, et le centre de formation des imams de Saint-Léger-de-Fougeret dans la Nièvre.

Qatar Charity est financé en grande partie par des donateurs qatariens privés lors de campagnes de récolte de fonds organisées, notamment pendant le ramadan, l’aumône étant un des cinq piliers de l’islam, un devoir auquel tout musulman doit se conformer. Dans un riche émirat comme le Qatar, de telles opérations de levée de fonds s’avèrent généralement fructueuses.

Après la publication en 2019 de Qatar Papers, Qatar Charity cessa son financement en France, souligna Laurent Nunez, le coordonnateur national du renseignement auprès du président de la République lors de la dernière visite d’Emmanuel Macron au Qatar le 3 décembre 2021.

Sans passer par les canaux caritatifs, des individus qatariens financent également des centres islamiques en France. Ce fut le cas notamment à Argenteuil, en banlieue parisienne, à Saint-Louis près de Mulhouse en Alsace, et à Nantes. Ces transferts de fonds ne sont pas toujours détectés par les services de renseignements intérieurs ou par Tracfin, le service de renseignement financier. Ils ne sont plus tolérés par l’État français, depuis l’adoption de la loi sur le séparatisme en août 2021, qui renforce le contrôle des financements étrangers reçus par les associations, notamment cultuelles.

Cependant, en 2021, d’autres ONG prirent le relais de Qatar Charity pour financer une quinzaine d’associations islamiques ou de mosquées à travers l’Hexagone. Profitant du déplacement du président de la République Emmanuel Macron à Doha, Laurent Nunez remit aux autorités la liste de ces quinze associations bénéficiaires de subsides qatariens.

Signe de la sensibilité du sujet, lorsque la presse française relata cet épisode, l’ambassade du Qatar à Paris démentit l’existence d’une telle liste remise à Doha. Bref, côté français on a le sentiment qu’il faut en permanence maintenir la pression pour que le Qatar cesse ses financements de l’islam de France. Une priorité d’Emmanuel Macron dès le début de son premier mandat qu’il a clairement rappelée à cheikh Tamim lors de son premier voyage à Doha en décembre 2017.

Les Qatariens lui avaient alors répondu qu’il était pour eux compliqué d’engager la lutte à partir de leur pays. « Intéressons-nous plutôt aux cibles, firent-ils savoir aux Français. Donnez-nous une liste d’organisations et de centres qui ont été financés, et nous ferons en sorte qu’ils ne le soient plus. » L’argent du Qatar cessa d’irriguer ses réseaux religieux français, mais pendant un certain temps seulement. Certes, il reste marginal par rapport aux 2 500 mosquées de France. Mais il a alimenté souvent les plus grands établissements religieux des régions concernées, nourrissant un séparatisme, désormais fermement combattu.

Extrait du livre de Christian Chesnot, « Le Qatar en 100 questions : Les secrets d’une influence planétaire », publié aux éditions Tallandier

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