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Intox : ces gros doutes qui entourent le projet d’attentat iranien en France
©Zakaria ABDELKAFI / AFP

Réelles menaces ?

Alors que les tensions sont vives entre les Etats-Uns et l'Iran, le Mossad aurait contribué à aider trois pays européens, dont la France, à déjouer un attentat contre des opposants iraniens. Ces révélations, en juin, ont plongé Paris dans l'embarras.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Selon les révélations du journal l'Opinion, en juin, le Mossad aurait aidé les Français, les Belges et les Allemands à déjouer un attentat contre des opposants iraniens fin juin. Concrètement que penser de cette révélation qui "embarrasse Paris" ? Pourquoi un tel embarras.

Alain Rodier : Comme d’habitude, il convient de prendre du recul face à cette affaire qui est restée relativement confidentielle la presse n’en faisant pas trop état. En effet, personne ne sait à l’heure actuelle avec certitude si Téhéran préparait vraiment un "mauvais coup" comme cela a eu lieu à de nombreuses reprises dans le passé (pour mémoire, l’attentat contre les parachutistes français du Drakkar et les Marines américains à l’aéroport de Beyrouth le 23 octobre 1983 - 305 morts - , l’assassinat de l’ambassadeur français au Liban, Louis Delamare le 4 septembre 1981, celui de l’opposant Chapour Bakhtiar à Suresnes le 6 août 1991, les attentats terroristes contre les intérêts israéliens en Argentine et en Europe, etc.). La liste est longue et il convient de ne rien oublier ! Le régime des mollahs sait utiliser l’arme de la terreur quand il la juge utile à sa politique. C’est ce que l’on qualifie de "terrorisme d’État".
Cela dit, que le Mossad ait averti ses homologues européens d’une tentative d’attentat dirigée contre la réunion annuelle de l’OMPI (l’Organisation des Moudjahiddines du peuple iranien) qui se tenait à Villepinte le 30 juin en présence de nombreuses personnalités (dont Rudy Giulani, l’avocat de Donald Trump et maire de New York au moment des attentats du 11 septembre 2001, mais également Stephen Harper, l’ancien Premier ministre canadien, Philippe Douste-Blazy, Bernard Kouchner et Rama Yade, etc.) est à prendre avec précautions car les opérations de désinformation et d’influence sont nombreuses ces dernières années et elles proviennent de tous les camps.
À savoir qu’un couple de Belges d’origine iranienne (Amir et Nasimeh S. âgés d’une trentaine d’années) a été appréhendé dans la banlieue de Bruxelles le 30 juin par la police locale alors qu’il transportait en voiture une charge de 500 grammes de TATP et un mécanisme de mise à feu. Un diplomate iranien en poste à l’ambassade d’Iran à Vienne en Autriche qui aurait été en contact avec ce couple a été arrêté en Allemagne (où il ne bénéficie pas de l’immunité diplomatique, n’étant pas accrédité par Berlin). Ce serait le responsable de l’organisation de la tentative d’attentat. Trois personnes ont été arrêtées en France mais deux auraient été relâchées.
Sur un plan purement technique, il demeure quelques étrangetés. Généralement, les services spéciaux iraniens, quand ils mènent des actions de type terroriste, par souci de ne pas apparaître en première ligne, passent par des tiers comme le Hezbollah libanais ou des mouvements palestiniens qui ont leur soutien logistique et politique. Ces derniers se font un devoir de leur rendre ces services. Ensuite, la charge de TATP de 500 grammes aurait pu créer des dégâts importants si elle avait explosé au milieu de la foule. Mais ils n’auraient pas été aussi considérables que cela étant donnée la relative faible quantité d’explosif - encore faudrait-il savoir s’il était entouré de projectiles métalliques qui, eux, sont extrêmement vulnérants. Pour le moment, aucune information n’a filtré sur la composition de l’engin qui aurait été séparé en deux colis… La clef de l'énigme est dans cette preuve matérielle : est-ce un engin professionnel ou un bricolage, était-il apte a être mis en oeuvre rapidement, comment ?
Enfin, l’OMPI vit quasi ouvertement et tient une importante manifestation populaire tous les ans au même endroit. Les mauvaises langues prétendent que certains participants sont rémunérés pour faire la claque. Si le régime iranien voulait s’en prendre à l’OMPI, il aurait pu le réaliser de manière beaucoup plus professionnelle et ciblée et surtout, pas en ce moment en pleine crise de l’accord JCPoA (Joint Comprehensive Plan of Action ou Plan d’action global commun) portant sur la réduction de l’effort nucléaire iranien.

Dans le contexte du JCPOA comment interpréter cette fuite dont se réjouissent les Israéliens ?

Il n’a échappé à personne que l’accord JCPoA signé le 14 juillet 2015 à Vienne entre l’Iran, les pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU plus l’Allemagne est en train de se détricoter depuis que les Américains l’ont quitté et rétabli les sanctions économiques à l’égard de Téhéran. D’autre part, ils ne se sont pas cachés de menacer directement les pays alliés qui avaient lancé des projets économiques en Iran de sanctions. Résultat : presque tous les industriels européens et français (Total, Peugeot, etc.)°se sont retirés du pays laissant la place aux Chinois et aux Russes.
C’est dans ce cadre que cette affaire est arrivée fort opportunément sur la table, servie avec délectation par les Israéliens qui considèrent l’Iran comme leur pire ennemi. (Cela n’a pas été toujours le cas car durant la guerre Irak-Iran qui a duré de 1980 à 1988, l’État hébreu a discrètement fourni une aide militaire à Téhéran avec l’accord plus ou moins officiel de Washington. Il considérait à l’époque que Saddam Hussein était son adversaire potentiel le plus menaçant).
Or, comme par hasard, le président iranien Hassan Rohani débutait un voyage officiel en Suisse puis en Autriche le 2 juillet - soit peu de temps après le transfert de renseignements par le Mossad - pour tenter de sauver ce qui pouvait l’être encore. La mise sur la place publique de cette tentative d’attentat est donc venue fort à propos pour donner le "coup de grâce" à tous ceux qui espéraient encore pouvoir négocier.
La stratégie des Américains et d’Israël est clairement d’asphyxier au maximum l’économie iranienne pour provoquer des mécontentements intérieurs qui pourraient changer la donne politique. Pour Washington, l’OMPI a un rôle central à jouer dans les temps à venir. C’est oublier un peu vite que cette organisation dont l’idéologie est un mélange de marxisme et d’islamisme n’est pas populaire du tout en Iran. À savoir qu’une grande majorité d’Iraniens - même ceux qui ne soutiennent pas le pouvoir des mollahs - considèrent que l’OMPI a trahi la Patrie en combattant dans les rangs de l’armée de Saddam Hussein lors de la "guerre imposée" ou "défense sacrée". Les Iraniens restent des nationalistes fiers de leur passé historique. Mais si Washington appuie l'OMPI, c’est parce qu’il a été un fidèle "collaborateur" des services de renseignement ayant fourni de précieuses informations sur l’effort nucléaire iranien.

Enfin, à quel point cette révélation pourrait tendre les relations entre Paris et Téhéran selon vous ? 

Malheureusement, il y a bien longtemps que la politique prônée par le Quai d’Orsay suit celle du Département d’État américain. Il est loin le temps où Paris et Berlin avaient refusé de participer à l’invasion de l’Irak de 2003. La fureur des Américains dénonçant la "lâcheté" des Français avait été à son comble.
Aujourd’hui, je ne pense pas que ce soit par "conviction" que Paris s’aligne sur Washington mais tout simplement parce que nous n’avons plus les moyens de nous y opposer. Les responsables politiques français savent que s’ils tentent d’aider les industriels hexagonaux contre la volonté de Washington, ils seront incapables de combler les manques à gagner car c’est le territoire américain qui leur sera alors fermé sans compter les difficultés à international. Le marché américain est vital pour l’économie française et européenne alors que celui de l’Iran est, comparativement, négligeable. On ne conduit pas une politique économique avec des bons sentiments !
Le président Macron a beau serrer fortement la main de Trump, c’est ce denier qui gagne au final car il a la puissance économique et militaire (sans les Américains, nous aurions encore plus de difficultés au Sahel, et c’est un euphémisme de le dire).
Alors les commentateurs français font beaucoup dans l’anti-triumpisme primaire - le personnage prête effectivement facilement à la caricature -, mais le chômage n’a jamais été aussi bas aux États-Unis (3,8% contre 9,1% en France), l’économie US progresse (le taux de progression annuel US du PIB est à 4,1% contre 1,7% en France), etc. Il ne faudra pas s’étonner si les élections à mi-mandat qui se profilent aux États-Unis ne sont pas si défavorables pour l’équipe Trump que cela.
Comme je l’ai dit au départ, les services iraniens ne sont pas des anges. Ils sont séparés en deux entités : le Ministère du renseignement et de la sécurité (VAJA ou MOIS ex-Vevak) et le directorat du renseignement du Corps des Gardiens de la Révolution islamique dont le bras armé à l’étranger est la force Al-Qods.
À une époque où il est souvent question d’opérations d’influence, les Iraniens bénéficient pour cela des agences de presse Fars et Tasnim. Les réseaux sociaux (et les journalistes) sont étroitement surveillés à l’intérieur - voire interdits pour les premiers et arrêtés pour les seconds -  et utilisés pour promouvoir la "bonne parole" à l’étranger.
La première mission des services iraniens est la surveillance des opposants, le seconde la lutte contre Israël et aujourd’hui contre l’Arabie saoudite et consorts. Agissant professionnellement, il leur est cependant arrivé de faire de graves erreurs techniques dans le passé qui ont permis de les confondre et de mettre en cause des responsables politiques, particulièrement suite aux attentats ayant eu lieu en Argentine.
Il n’est pas exclu que Téhéran - dans le climat international actuel très tendu - ait de nouveau recours à ce moyen qui peut aller jusqu’à un de leurs vieux savoir-faire : l’enlèvement. Cela explique sans doute la note du 20 août des AE françaises interdisant aux diplomates de se rendre en visite touristique en Iran (pour ceux qui n’y sont pas en poste). Il est vrai qu’un diplomate iranien est actuellement détenu en Allemagne et que Téhéran souhaite le récupérer à tout prix. Ce qui est certain, c'est que la guerre secrète va se poursuivre, voire s'intensifier.

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