Industrie et médecine : les sanctions technologiques occidentales affectent la Russie de plus en plus durement <!-- --> | Atlantico.fr
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Les sanctions technologiques occidentales affectent la Russie. La santé et l'industrie sont particulièrement touchés.
Les sanctions technologiques occidentales affectent la Russie. La santé et l'industrie sont particulièrement touchés.
©Mikhail Metzel / SPUTNIK / AFP

Impact réel

Suite aux sanctions occidentales depuis l’invasion de l’Ukraine, de nombreuses entreprises comme Intel ou Samsung ont arrêté leurs exportations en Russie. Les secteurs de l’industrie et de la médecine sont fortement touchés par cette situation.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : À la suite des sanctions occidentales contre la Russie après l'invasion de l'Ukraine, de nombreuses entreprises de secteurs clés ont cessé leurs exportations vers la Russie : Intel, Samsung, Qualcomm... Dans quelle mesure la Russie est-elle économiquement impactée par ces sanctions ? Dans quelle mesure cela va-t-il s'accentuer ?  

Michael Lambert : Les retombées technologiques sont lourdes mais temporaires, dans la mesure où un pays allié de Moscou, la Chine, est capable de contrebalancer la totalité des sanctions occidentales (incluant la Corée du Sud, le Japon et Taïwan dans cet "Occident").

Avant d'entrer dans les détails, il faut distinguer dans ces embargos technologiques deux catégories : les technologies destinées aux particuliers (smartphones, ordinateurs, appareils ménagers, véhicules) et les technologies de pointe (aérospatial, biotechnologies, ICT, nanotechnologies et robotique) utilisées principalement par les grandes entreprises et les structures étatiques, qui entraînent des répercussions économiques et militaires autrement plus conséquentes.
Pour le secteur de la consommation, la Chine sera en mesure de remplacer la totalité des produits occidentaux dans les semaines à venir. En effet, la Chine fournit déjà les composants, voire l'ensemble des produits technologiques à usage privé en Occident (comme les téléphones portables). Dans ce contexte, la Russie va simplement transiter des smartphones partiellement construits ou assemblés en Occident vers des marques chinoises comme Huawei. Ce schéma se retrouvera dans l'électroménager, mais aussi dans les voitures. Ainsi, la Chine dispose de dizaines de marques de véhicules, y compris électriques, abordables et qui ont déjà conquis les marchés internationaux, l'Occident demeurant une exception. Pour chaque entreprise occidentale qui ferme ses portes, une entreprise chinoise la remplace. Par conséquent, les sanctions économiques auront principalement un impact sur les Occidentaux qui sont privés du marché russe, et augmenteront la part du marché chinois dans cette partie du monde.

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Dans le secteur de la haute technologie, les effets des sanctions seront plus importants car les Etats-Unis disposent encore d'une légère avance sur la Chine. De plus, Beijing n'est pas prête à accepter un transfert de technologie vers la Russie dans les secteurs où elle excelle, comme l'espace ou les semi-conducteurs. Il faut ajouter que la Chine elle-même conserve ses industries pour répondre à sa demande interne croissante, et exporter des éléments comme les semi-conducteurs n'est pas dans son intérêt.  

Cette situation amène à s'interroger sur le changement au sein de la dynamique sino-russe. En effet, avec les embargos occidentaux, la Russie se retrouve dans un schéma de dépendance quasi totale vis-à-vis de la Chine. La Russie apparaît donc désormais comme un vassal technologique de la Chine.

La Russie sera-t-elle capable de développer une technologie indigène ? A ce jour, le pays n'a ni les universités, ni les incubateurs, ni les centres d'excellence pour y parvenir. De plus, certains de ses techniciens et programmeurs ont quitté le pays depuis le début de la guerre en Ukraine. On peut donc s'attendre à un boom de la numérisation dans des pays voisins comme la Géorgie, où de nombreux Russes s'expatrient, mais autrement moins en Russie même.  

Quelle est l'importance de la dépendance russe vis-à-vis des technologies occidentales (et asiatiques) dans la plupart des domaines ?

Elle est totale, car même si la Russie a réussi à développer des secteurs comme le crypto mining en Sibérie, ou les missiles hypersoniques comme on l'a vu en Ukraine, elle ne réussit pas à dynamiser son secteur privé. Pour cette raison, la Russie ne produit pas de véhicules aux normes occidentales et n'a pas d'ambitions fortes dans le secteur informatique, on constate un retard flagrant par contraste avec le voisin chinois et encore plus avec des pays occidentaux comme l'Estonie.

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On peut avancer que le Kremlin a réussi à développer certaines technologies comme les avions de 5ème génération (Su-57) mais il s'est avéré difficile de lancer sa production à grande échelle (contrairement au F-35 américain qui est un succès commercial international).

En résumé, la Russie est capable de développer des technologies à petite échelle, mais il lui manque la connaissance nécessaire à la commercialisation et à la production à grande échelle. En somme, elle a les ingénieurs, mais ne comprend pas l'importance de la chaîne de production et du marketing pour faire des profits et alimenter son processus de recherche et développement.

Il suffit de regarder les 20 premières entreprises russes pour s'en rendre compte : elles sont principalement axées sur l'acier et les hydrocarbures, le nucléaire, à l'exception de la Sberbank pour le secteur bancaire.
À titre d'exemple, quel impact l'absence de semi-conducteurs pourrait-elle avoir sur l'économie russe ? Sera-t-elle obligée de restructurer son économie pour atténuer ces sanctions ?

L'absence de semi-conducteurs revient à replonger au milieu du 20e siècle, puisque rien ne fonctionne sans eux.
La Russie se verra dans l'obligation de développer des entreprises capables de produire certains semi-conducteurs bas de gamme, car elle ne pourra pas développer des semi-conducteurs haut de gamme. A ce jour, peu de pays ont une telle maîtrise (principalement la Chine, la Corée du Sud, Singapour, les Etats-Unis et Taiwan) et ce secteur est tellement concurrentiel qu'il faut plusieurs décennies pour envisager d'y entrer.

L'économie russe va donc se concentrer sur les secteurs locatifs qu'elle maîtrise, les céréales et les hydrocarbures, qui sont des domaines lucratifs, et ce afin d'acheter ce qui lui manque auprès du partenaire chinois. Moscou va également concentrer tous ses investissements technologiques dans le secteur militaire plutôt que pour développer le secteur privé. En résumé, ce que l'Union soviétique faisait pendant la guerre froide.

Comme nous le dit Kamil Galeev sur Twitter, les secteurs industriels ou médicaux pourraient être fortement touchés par ces sanctions. Par exemple, de nombreux dentistes pourraient souffrir d'un manque d'outils médicaux essentiels. Si tout le monde sera touché par le manque d'outils médicaux, dans quelle mesure la population russe pourrait-elle se retourner contre Vladimir Poutine ?

Les équipements médicaux sont au cœur du débat car de nombreuses entreprises qui approvisionnent le marché russe sont occidentales. Cependant, il est peu probable qu'un citoyen moyen blâme le président russe parce que son dentiste ne dispose pas de bons équipements. 

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La Russie a-t-elle des moyens de contourner ses sanctions, notamment en se tournant vers son voisin chinois ? Quelles sont les limites de cette possibilité ?

La Chine peut et va fournir la Russie dans tous les secteurs technologiques, à l'exception des secteurs de pointe comme les semi-conducteurs et les activités spatiales. Toutefois, la Russie passera toujours après la Chine, ce qui signifie que le Kremlin ne sera pas en mesure de rivaliser avec Beijing et Washington dans les domaines de pointe.

En définitive, si l'on s'arrête un instant sur la question, la guerre en Ukraine ne montre pas la montée en puissance de la Russie, qui peine sur le terrain, mais davantage la prévalence de la Chine dans le nouveau système international. Dans les faits, la Russie ne pourrait pas survivre aux sanctions occidentales sans Beijing pour acheter ses hydrocarbures à bas prix, ni offrir à ses citoyens les technologies du quotidien.

En définitive, la Chine est désormais au cœur des relations sino-américaines, car ce ne sont pas les Américains ou les Russes qui décident de la fin du conflit mais bel et bien la Chine. Si Beijing alignait sa position sur celle de l'Occident, la Russie cesserait les hostilités car elle ne pourrait pas survivre économiquement. A cet égard, la Chine a un état d'esprit très pragmatique et bénéficie aujourd'hui de tarifs douaniers très avantageux sur les exportations russes, ce qui est un succès indéniable car elle domine désormais les relations sino-russes, contrairement à l'époque soviétique. 

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