Impact de la mondialisation sur les Occidentaux : la célèbre courbe de l’éléphant, c’est terminé<!-- --> | Atlantico.fr
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Branko Milanovic a étudié l’inégalité à l’échelle mondiale en comparant l’ensemble des revenus de la planète grâce à la courbe dite de l’éléphant.
Branko Milanovic a étudié l’inégalité à l’échelle mondiale en comparant l’ensemble des revenus de la planète grâce à la courbe dite de l’éléphant.
©Capture d'écran / DR

Evolution des courbes

L'économiste Branko Milanovic a réalisé un graphique devenu "iconique" représentant l'évolution des revenus en fonction des pourcentages de distribution de la richesse au niveau mondial. Des évolutions majeures ont pourtant été constatées ces dernières années sur la redistribution des revenus à travers le monde.

Branko Milanovic

Branko Milanovic

Branko Milanovic est chercheur de premier plan sur les questions relatives aux inégalités, notamment de revenus. Ancien économiste en chef du département de recherches économiques de la Banque mondiale, il a rejoint en juin 2014 le Graduate Center en tant que professeur présidentiel invité.

Il est également professeur au LIS Center, et l'auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Global Inequality - A New Approach for the Age of Globalization et The Haves and the Have-Nots : A Brief and Idiosyncratic History of Global Inequality.

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Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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En analysant la redistribution du revenu mondial, vous avez établi une courbe dite de l’éléphant. Cependant la forme de cette courbe a tendance à s’effacer. Qu’est-ce que cela nous révèle des inégalités mondiales ? 

Branko Milanovic : Dans la partie "ringardisation", nous assistons à la fin de la courbe de l'éléphant. Entre 2008 et 2018, les revenus des personnes pauvres à travers le monde ont augmenté en pourcentage beaucoup plus que les revenus des personnes riches à l'échelle planétaire. L'indice de Gini mondial a baissé.

Les gains absolus des riches ont bien sûr été beaucoup plus importants que les gains de la classe moyenne mondiale et des pauvres à travers le monde. Cela s'explique simplement par le fait que les revenus initiaux des riches sont si élevés que même de petits gains en pourcentage se traduisent par des gains absolus importants.

Les parties inférieures de la distribution des revenus en Europe ont poursuivi leur descente. Leur position dans le classement mondial des revenus a baissé parce que des personnes en Asie, au même niveau de revenu "initial", ont enregistré des augmentations de revenu plus rapides.

Ces personnes ne sont pas nécessairement en concurrence les unes avec les autres. Si un enseignant en Pologne et un contremaître à Shenzhen ont initialement le même revenu, mais que le revenu du contremaître augmente de 6 % par an et celui de l'enseignant polonais de seulement 3 %, la position mondiale de l'enseignant diminuera.

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L'ironie des cas de réussite de l'Europe de l'Est est qu'ils rattrapent l'Europe occidentale dont la position mondiale relative diminue.Ils réussissent donc à converger avec la partie du monde qui est... en déclin.

Les revenus de la propriété ont diminué en 2008-2010, puis se sont redressés, mais sur la période 2008-18, la croissance a été de 1,5-2 %.

En analysant la redistribution du revenu mondial, l'économiste Branko Milanovic établit une courbe dite de l’éléphant. Par sa forme la croissance du revenu de chaque fractale des revenus mondiaux évoque celle d’un éléphant. Cependant la forme de pachyderme tend à s’effacer, qu’est-ce que cela nous révèle des inégalités mondiales ? 

Jean-Marc Siroën : Branko Milanovic avait autrefois montré que sur la période 1988-2008 le revenu des ménages par habitant avait augmenté et cela d’autant plus vite que leur revenu s’élevait jusqu’à un certain seuil qui se trouvait être situé aux alentours du revenu médian (celui du ménage pour lequel 50 % des autres gagne moins que lui). Au-delà, le taux de croissance du revenu diminuait jusqu’à s’annuler pour le huitième décile (le ménage pour lequel 80 % de la population gagne moins ce qui correspond grosso modo aux classes moyennes des pays développés) avant de remonter fortement notamment pour les 10 % plus hauts revenus et plus encore pour les 1 % (0,1 %, 0,01 %, etc.) les plus riches.

On en tire ainsi graphiquement l’image d’un éléphant avec sa bosse (autour du revenu médian) et sa trompe (pour les revenus les plus élevés).

Ce graphique est conforme à d’autres faits « stylisés » comme la réduction de la pauvreté, sinon des inégalités, dans les pays en développement et la montée des inégalités dans les pays plus riches.

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De manière a priori surprenante, l’image serait tout à fait différente pour la période 2008-2018 avec cette fois une courbe décroissante quasi-linéaire signifiant que la croissance du revenu a été beaucoup plus forte pour les ménages les plus pauvres (8 %) que pour les plus riches (1 %). La bosse et la trompe auraient quasiment disparu et, contrairement au discours habituel, les inégalités mondiales auraient donc diminué ce qui signifie aussi que les classes moyennes des pays riches, très pénalisées avant 2008, auraient bénéficié d’un certain rattrapage. Le récent Rapport sur les inégalités mondiales confirme lui aussi une réduction sensible des inégalités de revenu sur la période.

Ce constat, on l’aura remarqué, ne colle pas au discours ambiant (l’écart entre le réel et le ressenti, peut-être).

Quelques nuances doivent néanmoins être apportées à ce constat. La forme de la courbe est très sensible aux années de base. D’après le Rapport sur les inégalités mondiales, l’« éléphant » se maintiendrait sur la période 1995-2021. Par ailleurs, un revenu par tête de 1000 dollars qui augmente de 8 % c’est 80 dollars en plus. Un revenu de 10 millions de dollars qui augmente de 1 %, c’est 100 000 dollars supplémentaires. La réduction des inégalités ne serait donc que relative. Enfin, le graphique ne s’intéresse qu’aux inégalités de revenu et ne prend pas en compte les inégalités de patrimoine.

La situation est-elle la même sur tous les continents ? Les inégalités évoluent-elles de manière différente ?

Jean-Marc Siroën : Dans ce graphique, la population est vue comme un tout ce qui donne un poids considérable à des pays comme la Chine ou l’Inde qui représentent à eux seuls plus du tiers de la population mondiale. Il ne dit donc rien de précis sur l’évolution des inégalités à l’intérieur d’un pays et même entre pays. Néanmoins, plus on se situe à gauche de la courbe, plus la population des pays pauvres est concernée ce qui ne les empêchera pas de compter quelques représentants dans la partie la plus à droite du graphique, y compris dans les 1 % les plus riches où on retrouvera à côté de Elon Musk ou Jeff Bezos quelques milliardaires africains, mexicains, chinois ou russes…

D’une manière générale, quelle que soit la méthode utilisée, les pays en développement – Afrique, Amérique latine, Moyen-Orient, Inde – sont plus inégalitaires que les pays riches. Parmi ces derniers, c’est incontestablement l’Europe qui est la moins inégalitaire, la France étant parmi les bons élèves.

Cette courbe sonne-t-elle comme la fin de la mondialisation telle que l’on a connue ?

Jean-Marc Siroën : Il est vrai que Milanovic expliquait sa courbe en « éléphant » par la mondialisation mais sans en apporter la preuve. Comme la proposition était cohérente avec l’idée à la mode selon laquelle si des pays comme la Chine avaient bénéficié de la mondialisation, les classes moyennes des pays riches en avaient été les victimes, le postulat a été très (trop ?) facilement accepté.

Si la mondialisation est responsable de l’« éléphant » sur la période 1988-2008, sa quasi-disparition serait-elle le signe de la « démondialisation » ? Ce serait aller vite en besogne car si la mondialisation, vue sous l’angle du commerce international, a ralenti depuis la crise de 2008, elle n’a pas pour autant régressé. On ne voit pas comment, dans ces conditions, elle expliquerait le renversement constaté sur l’évolution des inégalités.

Au passage, on ne peut que constater que voir l'« éléphant » comme une créature de la seule mondialisation est sans doute bien restrictif…

L’effacement de l’éléphant entre 2008 et 2018 conduit à une relation décroissante et continue entre le niveau de revenu et sa croissance ce qui est loin d’être illogique : lorsqu’on part d’un bas niveau, il est « arithmétiquement » normal d’augmenter plus vite. Quand un revenu s’accroît de 100 en valeur absolue, la croissance est plus forte si vous partez de 1000 que si vous partez de 100 000.

En fait tout se passe comme si la crise de 2008 avait remis les pendules à l’heure. Mais rien ne prouve que l’horloge n’aille pas à nouveau se dérégler. Il serait donc aventureux de tirer des conclusions simples et définitives du graphique actualisé de Milanovic. On le pressent déjà : les chocs économiques induits par la double crise sanitaire et géopolitique (pénuries, inflation, risque financier,…) ne seront pas sans conséquence sur la distribution des revenus entre pays et à l’intérieur des pays.

L’éléphant, égaré dans la nature, pourrait donc bien un jour revenir vers nous. Un éléphant ou un autre animal, qui sait ?

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