Gel d’avril : « accident » statistique ou très mauvais augure pour l’agriculture française ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Cette photographie montre des bourgeons sur un pommier après avoir été aspergés d'eau pour les protéger des températures glaciales dans un verger de Montauban, le 4 avril 2022.
Cette photographie montre des bourgeons sur un pommier après avoir été aspergés d'eau pour les protéger des températures glaciales dans un verger de Montauban, le 4 avril 2022.
©VALENTINE CHAPUIS / AFP

Vague de froid

La France a enregistré entre dimanche et lundi sa nuit la plus froide depuis 1947 pour un mois d'avril. Le gel a frappé dans de nombreuses régions de cultures d'arbres fruitiers. Cette vague de froid est d’autant plus dangereuse puisque la floraison des végétaux a débuté en avance cette année

Serge Zaka

Serge Zaka

Docteur en agroclimatologie chez ITK, administrateur d’Infoclimat et chercheur-modélisateur, Serge Zaka étudie l’impact du changement climatique sur l’agriculture.

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Atlantico : La nuit du 3 au 4 avril a battu des records de froid, avec notamment des températures allant jusqu'à - 5,6 degrés à Châteauroux, un record depuis 121 années. Dans quelle mesure ce phénomène est-il dommageable pour l’agriculture française ? Quelles peuvent être les conséquences pour les agriculteurs et le système agricole français ? 

Serge Zaka : Pour l’agriculture, de telles températures sont extrêmement dangereuses à cette période. Si le gel n’est pas rare au mois d’avril, ce qui importe véritablement est l’état des végétaux. En l'occurrence, les fruits à noyaux comme la pêche, la prune ou l’abricot étaient en avance par rapport à une année classique car il a fait assez doux au mois de février et de mars. Selon de nombreux scientifiques de centres de recherche indépendants, le réchauffement climatique avance le stade de développement des plantes. Les bourgeons s’ouvrent plus tôt et la sensibilité au gel se superpose aux périodes où les risques sont importants, ce qui est problématique pour les plantes.  

À court terme, les agriculteurs risquent une perte sèche de leurs récoltes. Lorsqu’une fleur brûle sur un arbre, c’est un fruit en moins, et donc une récolte en moins. Les arbres fruitiers ont la particularité de ne produire qu’une seule fois des fleurs dans l’année, au printemps. En ce qui concerne la vigne, qui peut avoir des ramifications secondaires, des grappes peuvent toujours pousser plus tard.  

À court terme, en cas de pertes sèches, les systèmes assuranciels et de l’État vont se mettre en place pour indemniser les agriculteurs. Sans l’État, ces derniers fermeraient purement et simplement leurs exploitations. À long terme, une fatigue morale et psychologique peut se mettre en place pour les agriculteurs. Cela peut donner lieu à un abandon de la profession. C’est pourtant un mal pour un bien car il faut faire évoluer cette profession pour qu’elle s’adapte au changement climatique. L’objectif est donc de ne pas continuer à panser les plaies tous les ans, mais éventuellement amener de nouveaux cépages qui seront plus tardifs, c’est à dire qui vont bourgeonner plus tard. 

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Pouvons-nous voir dans ce phénomène une anomalie statistique ou va-t-il se reproduire de manière répétée à l’avenir, notamment avec le dérèglement climatique ? Est-il possible de le prévoir à plus ou moins court terme ?

De tels phénomènes se répéteront de plus en plus souvent. Selon le World Weather Attribution, un collectif de scientifiques qui travaillent sur les événements météorologiques dans le but de les attribuer ou non au réchauffement climatique, l’événement d’avril 2021 est bien dû à un dérèglement. Ces scientifiques ont prouvé que les chances de pertes de récoltes dues au gel pourraient ainsi augmenter de 60% dans un futur proche. 

Nous avions prévu à ITK cette période de gel avec 12 jours d’avance, grâce à notre service d’alerte Prevent. C’est un délai qui laisse le temps aux agriculteurs de s’organiser et d’atténuer les dégâts. Une telle durée de prévision est exceptionnelle. En revanche, il est complètement impossible de prévoir de tels phénomènes un an à l’avance. Pour prévoir le climat sur de plus longues périodes, on ne parle plus de météorologie mais de climatologie, ce qui n’est pas du tout la même science.

A partir du moment où la météo peut être soumise à des anomalies de plus en plus fréquentes en raison du dérèglement climatique, y a-t-il une menace de long terme sur l’agriculture ?

En effet, la menace est bien réelle. Les arbres sont plantés pour 20, 30, voire 40 années d’exploitation. Il n’est donc pas viable économiquement de remplacer les arbres déjà plantés. Il faut donc réfléchir à planter de nouveaux cépages ou de nouvelles variétés quand les arbres commencent à devenir trop vieux. Mais en ce qui concerne le changement climatique, il faut prendre en compte le gel, la sécheresse, les fortes chaleurs … Il n’existe donc pas de cépages qui répondent à toutes ces caractéristiques. Si telle ou telle variété d’arbre va bourgeonner plus tardivement, elle sera peut-être moins résistante à la sécheresse.

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Face à ce coup de froid, de nombreux viticulteurs bourguignons ont ressorti des bougies pour empêcher les bourgeons de geler. Au-delà de cette solution temporaire, existe-t-il des moyens de protéger les récoltes de ces coups de froid (ou de chaud) imprévus ? Quelle est la part d’impuissance des agriculteurs face à la situation ?

En ce qui concerne le gel, les agriculteurs disposent de plusieurs outils pour protéger leurs récoltes, qui sont plus ou moins efficaces en fonction des conditions météorologiques, de la température, de la vitesse du vent … Il existe principalement trois méthodes :  

Le réchauffage, à l’aide de bougies ou de fils chauffants. Pour ces derniers, une résistance permet de réchauffer les plantations à l’aide d’un courant électrique, ce qui a pour avantage de ne pas polluer dans la mesure où la majorité de l’électricité française est produite grâce à l’énergie nucléaire.  

Le brassage peut se faire à l’aide d’hélicoptères, ce que je ne préconise pas pour conserver une bonne image de la profession. Les tours à vent, en quelque sorte des ventilateurs géants, permettent de brasser l’air, ce qui évite que l’air froid, plus dense que l’air chaud, ne se dépose au niveau du sol, augmentant la température de 1 à 5 degrés.  

Enfin, il reste la méthode de l’aspersion. Des pivots pulvérisent de l’eau de nuit, lorsque la température est au plus bas. En gelant, cette eau va recouvrir les plantes, garantissant une protection contre l’air ambiant si celui-ci tombe en dessous de 0 degrés. Le but est de limiter les dégâts, même si cela est peu écologique. Les sols peuvent également être imbibés d’eau, ce qui provoque un lessivage des nutriments.  

À l’inverse, les agriculteurs sont impuissants face à la chaleur, où « coups de chaud », c’est à dire lorsque la température est comprise entre 40 et 45 degrés. C’est donc un gros problème à cause du réchauffement climatique. Une solution pourrait être de planter de nombreux arbres dans les parcelles, qui feront de l’ombre et permettront de faire baisser légèrement la température. Ce système est encore expérimental et il faut s’assurer que cela ne limite pas les rendements. Si une exploitation n’est pas rentable, le système économique ne retiendra malheureusement pas cette solution. 

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