Exit la chronologie : comment la refonte du programme transforme les cours d’Histoire en une machine de guerre idéologique<!-- --> | Atlantico.fr
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Le programme d’histoire-géographie a été allégé pour les classes de troisième et de terminale.
Le programme d’histoire-géographie a été allégé pour les classes de troisième et de terminale.
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Les programmes d'Histoire de troisième et de terminale vont être raccourcis à la demande de cinq syndicats aux orientations pourtant différentes. Mais le fait que les enseignants terminent dans les temps ne change rien au fond du problème, qui relève de l'idéologie.

Dimitri  Casali

Dimitri Casali

Dimitri Casali est Historien, spécialiste du 1er Empire et ancien professeur d’Histoire en ZEP, il collabore régulièrement avec la presse écrite, la radio et la télévision. Il est auteur d’une quarantaine d’ouvrages notamment : La France Napoléonienne (Albin Michel 2021), le Grand Procès de l’Histoire de France, lauréat du prix des écrivains combattants 2020 (Robert Laffont 2019), du Nouveau Manuel d’Histoire préface de J-P Chevènement (La Martinière 2016), de l'Altermanuel d'Histoire de France (Perrin), lauréat du prix du Guesclin 2011 ; l'Histoire de France Interdite (Lattès 2012). Par ailleurs, il est le compositeur du « Napoléon l’Opéra rock » et de l’« l’Histoire de France l’Opéra rock », spectacles musicaux historiques et éducatifs.

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Atlantico : Cette année le programme d’histoire-géographie a été allégé pour les classes de troisième et de terminale - séries économique et sociale, littéraire et professionnelle.  Raison invoquée par une pétition commune à cinq syndicats : le « survol indigeste de thèmes qui s’enchaînent à un rythme effréné ». Ce changement est-il souhaitable ?

Dimitri Casali : Il s’agit là d’une vaste supercherie, d’un bricolage de dernière minute. Ce n’est pas ainsi que nous allons réformer des programmes qui ont besoin d’une refonte générale et en profondeur, depuis que l’Histoire a fait naufrage il y a une vingtaine d’années. On a trop écouté les démagogues de la rue de Grenelle, et en particulier Philippe Meirieu, qui a l’oreille de Vincent Peillon. Ces programmes de troisième et de terminale sont le résultat des lobbys. On a remplacé une histoire qui avait fait ses preuves depuis cent ans, basée sur le récit des grands personnages et la chronologie, par un ensemble de thématiques compassionnelles qui ont remplacé l’essence de l’Histoire. Elles font appel à différentes sciences appelées sociologie, économie, ethnologie, mais qui ne sont pas véritablement de l’Histoire. Il est louable de vouloir faire de la lutte antiracisme, de parler des droits de l’Homme et des grands faits religieux, mais ce ne sont en aucun cas des thèmes à donner à des enfants ou des jeunes de 18 ans, car cela entraîne des résultats absolument incohérents. Les jeunes étudiants qui se présentent en faculté n’ont aucun des fondamentaux nécessaires à l’étude de l’histoire. Ces programmes, et plus particulièrement celui de terminale, s’adressent à des universitaires, et non à des élèves de 17 ou 18 ans.

Les programmes ont été supposément allégés pour que les enseignants puissent les terminer dans les temps, mais profitent-ils vraiment aux élèves ?

Pas du tout, car ils manquent singulièrement de bon sens. La chronologie est la « grand-mère de l’histoire ». Le programme de troisième, par exemple, commence par les faits économiques et sociaux de la crise de 1929, pour ensuite aborder la Première Guerre mondiale. La crise découlant de ce conflit, cette manière d’enseigner est hallucinante de bêtise. En toute fin d’année, les élèves découvrent Vichy et la collaboration d’une manière totalement déconnectée du chapitre sur la Seconde Guerre mondiale. On voit bien la lecture culpabilisante des idéologues qui ont conçu ces programmes : Vichy apparaît comme une dictature de nature franco-française déconnectée de l’Occupation allemande. Voilà pourquoi aujourd’hui les élèves éprouvent une répulsion vis-à-vis de l’Histoire, alors qu’il s’agit certainement de l’une des matières les plus passionnantes qui soit. Ce n’est ni de la grammaire, ni des mathématiques, voilà pourquoi il faut revenir à un récit qui raconte l’histoire des hommes. Celle-ci est faite de chair, de sang, de sueur et de larmes.

A partir de quand ce changement dans l’enseignement de l’Histoire s’est-il opéré ?

Cela s’est fait dans les années 1970, puis a empiré au cours des années 1980. En 1995, une réforme intéressante a été menée par Dominique Borne, qui a réussi à ralentir la déchéance de l’Histoire grâce à un excellent programme, qui donnait la part belle au récit. Malheureusement, la réforme des programmes intervenue en 2008 a certainement été la pire. Le gouvernement s’était alors tiré une balle dans le pied, car l’Histoire est essentielle à la formation de la citoyenneté. Comme disait Ernest Lavisse, on apprend à travers l’Histoire à aimer son pays. Un instituteur qui, à la fin de son cours, n’avait pas fait aimer son pays à l’élève, n’avait pas fait son travail. C’est pourquoi il était écrit partout dans les ouvrages que « l’Histoire ne s’apprend pas par cœur, elle s’apprend par le cœur ». On n’avait pas peur de faire appel à l’émotion et aux sentiments. C’est sous l’emprise de l’école pédagogue de Philippe Meirieu et des anciens trotskystes que l’Histoire est devenue une étude froide et atomisée. Avant les années 1970, l’Histoire constituait un tout cohérent, une suite de faits qui s’enchaînaient, ce qu’on a appelé « Roman national ». On est ensuite passé au roman noir de l’Histoire de France, avec une vision binaire : d’un côté les oppresseurs occidentaux, et de l’autre les oppressés, c’est-à-dire le reste du monde. Tant que nous aurons cette approche compassionnelle, nous ne pourrons pas enseigner l’histoire de manière apaisée comme le font nos voisins ou les États-Unis. L’ironie de cette réalité est que ces derniers sont passionnés par notre Histoire.

L’enfant, sans chronologie, éprouve une véritable perte de la profondeur historique. Il n’a plus de repères spatio-temporels car il met sur un même plan Jeanne d’Arc, Louis XIV et Napoléon dans une sorte de brouillard historique. Ne comprenant rien, il se désintéresse. La maladie infantile de l’Histoire est l’anachronisme : on oublie de replacer chaque fait dans un contexte.

Est-il possible d’enseigner l’Histoire sans faire de l’idéologie ?

C’est ce que je prône : un grand récit fédérateur, équilibré et pédagogique au sens propre du terme : il faut redonner le goût et la passion. De plus l’Histoire est facteur d’intégration : les grands immigrés qui ont fait la France comme Gambetta, Marie Curie ou Romain Gary, sont des héros dont il faut parler. Ces personnages de chair sont expulsés au nom d’un soi-disant culte de la personnalité qui serait politiquement incorrect. Le résultat est un sentiment de vide et d’inconsistance.

La part consacrée à l’Histoire de l’Union européenne va être réduite. Alors que le président allemand visite la France en ce moment-même, on ne pouvait pas commettre pire indélicatesse. Il faut lui donner plus de place, de manière intelligente, en apprenant aux élèves qui étaient Jean Monet et Robert Schumann, des personnages hors du commun qui n’apparaissent même pas dans les programmes d’aujourd’hui. Peillon et Hollande ont tout faux.

Propos recueillis par Gilles Boutin


Dimitri Casali : Ce manuel d’histoire centenaire du grand historien Ernest Lavisse avait réussi à former à la citoyenneté des millions de jeunes français et surtout à leur faire aimer leur pays… Ouvrez et comparez le avec un manuel scolaire actuel, vous verrez la différence car « L’Histoire ne s’apprend pas par cœur elle s’apprend avec le cœur ».

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