Européennes : petit portrait de l’UE à travers ses plus grandes réussites et ses plus grands échecs <!-- --> | Atlantico.fr
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Un drapeau européen devant le Parlement à Strasbourg.
Un drapeau européen devant le Parlement à Strasbourg.
©FREDERICK FLORIN / AFP

D’ombres et de lumière

Atlantico a demandé à 6 de ses contributeurs et experts ce que l’Europe nous a apporté pour le pire comme pour le meilleur à leurs yeux respectifs.

Jean-Luc Demarty

Jean-Luc Demarty est ancien Directeur Général du Commerce Extérieur de la Commission Européenne (2011-2019), ancien Directeur Général Adjoint et Directeur Général de l'Agriculture de la Commission Européenne (2000-2010) et ancien Conseiller au cabinet de Jacques Delors (1981-1984; 1988-1995).

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Michel Derdevet

Michel Derdevet

Michel Derdevet est Président de Confrontations Europe et de la Maison de l'Europe de Paris.

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Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Henri de Bresson

Henri de Bresson

Henri de Bresson a été chef-adjoint du service France-Europe du Monde. Il est aujourd'hui rédacteur en chef du magazine Paris-Berlin.

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Alain Wallon

Alain Wallon

Alain Wallon a été chef d'unité à la DG Traduction de la Commission européenne, après avoir créé et dirigé le secteur des drogues synthétiques à l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, agence de l'UE sise à Lisbonne. C'est aussi un ancien journaliste, chef dans les années 1980 du desk Etranger du quotidien Libération. Alain Wallon est diplômé en anthropologie sociale de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, VIème section devenue ultérieurement l'Ehess.

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Jean-Luc Demarty - plus grandes réussites de l’UE : le marché unique, la monnaie unique, la politique commerciale de l'UE / plus grand échec de l’UE : l'ouverture à la Turquie de la négociation d'adhésion à l'UE

Don Diego De La Vega - plus grande réussite de l’UE : le programme Erasmus / plus grand échec de l’UE : les difficultés du programme spatial européen

Michel Derdevet - plus grande réussite de l’UE : la réaction de l’UE face à la pandémie de Covid-19 / plus grand échec de l’UE : la myopie face à la Russie

Christophe Bouillaud - plus grande réussite de l’UE : la libre circulation des capitaux en Europe / plus grand échec de l’UE : l'échec de l’Europe sociale

Henri de Bresson - plus grande réussite de l’UE : la réponse de l’UE aux crises / plus grand échec de l’UE : la faiblesse de la défense de l’UE face à la crise ukrainienne

Alain Wallon - plus grande réussite de l’UE : la capacité de résistance de l’UE face aux crises / plus grand échec de l’UE : l’absence de stratégie commune sur l’industrie et sur la crise en Ukraine

Atlantico a demandé à certains de ses contributeurs ce que l’Europe avait apporté pour le pire comme pour le meilleur.

Les trois plus grands succès de l’UE, selon Jean-Luc Demarty

LE MARCHE UNIQUE

Jean-Luc Demarty : Lorsque Jacques Delors arrive à la Présidence de la Commission Européenne en janvier 1985, il a déjà en tête le projet de constituer un véritable marché unique européen de libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes. Il réussit à convaincre très vite les Chefs d’Etat et de Gouvernement du bien fondé de son projet et de modifier le Traité de Rome afin de pouvoir prendre les décisions nécessaires à la majorité qualifiée. Ce sera l’Acte Unique de 1987 qui aboutira au grand marché de 1992.

Aujourd’hui les économistes considèrent que ce grand marché a accru de 8 à 9% le PIB de l’UE. Il est accompagné de substantiels fonds structurels en faveur des régions les plus en retard, selon la trilogie de Jacques Delors, « la concurrence qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit ».

Ce très grand succès n’a malheureusement pas bénéficié à la France autant qu’il aurait dû à cause de la désastreuse décision de 1998 du Gouvernement Jospin du passage aux 35h hebdomadaires, sur laquelle les gouvernements successifs n’ont jamais eu le courage de revenir. La compétitivité de la France dans le marché unique en a été gravement altérée et ne s’en est jamais remise, générant d’abord un déficit commercial structurel de 60 milliards d’Euros, puis de 100 milliards d’Euros aujourd’hui, pour l’essentiel à l’intérieur du marché unique. Non seulement les salariés de la France sont parmi ceux qui travaillent en moyenne le moins en Europe, alors que ses cadres supérieurs et ses indépendants sont parmi ceux qui travaillent le plus, mais les 35 h ont également détérioré le rapport des Français au travail avec un taux d’absentéisme record de près de 7 % en forte croissance, le double de celui du Nord de l’Europe.

Comme le démontre le rapport Letta publié en avril dernier, le marché unique demeure insuffisant dans les domaines financier, de l’énergie, des télécommunications, de la recherche et de l’industrie de la défense. Le rapport Draghi à venir prochainement devrait compléter ce diagnostic et esquisser des solutions.

LA MONNAIE UNIQUE 

Jean-Luc Demarty : La création de la monnaie unique est un vieux projet français commun à la droite et à la gauche de gouvernement de Giscard d’Estaing à Mitterrand, de façon à éviter la domination du deutschemark. La monnaie unique est le complément naturel du marché unique. Là encore Jacques Delors a été décisif dans le cadre de la présidence du groupe d’experts qui a remis ses conclusions en 1989. Le Traité de Maastricht de 1992 les a mises en œuvre. L’Euro, monnaie unique a démarré le premier janvier 2002. La monnaie unique relève du miracle. Si on remplace Delors, Kohl et Mitterrand par n’importe lequel de leurs successeurs dans les mêmes circonstances, la monnaie unique n’arrive jamais.

Malheureusement la monnaie unique n’a pas délivré toutes ses promesses. Premièrement, comme Jacques Delors l’a mentionné dès le départ, il lui a manqué un gouvernement économique commun, pendant de la BCE. Deuxièmement certains pays ont mené des politiques laxistes à l’abri de la monnaie unique au lieu de renforcer leur compétitivité : la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce. Le réveil a été brutal lors de la crise financière de 2008/2010 qui a failli emporter l’Euro. Il en a résulté des politiques d’austérité en Espagne, au Portugal et en Grèce qui permettent à ces pays aujourd’hui de repartir de l’avant. En Italie les ajustements ont été insuffisants et en France quasiment inexistants, après l’erreur majeure des 35 h. En effet, en l’absence de dévaluation externe, seule une dévaluation interne est possible par la maitrise des coûts de production. Troisièmement jusqu’en 2008, l’Euro a été surévalué par rapport au dollar, atteignant jusqu’à 1.6 $. Aujourd’hui ce n’est plus le cas à 1,09 $.

Pour que la monnaie unique produise ses effets positifs, il faut des politiques fiscales et budgétaires convergentes à long terme et une véritable union bancaire et de l’épargne afin que les zones en excédent puissent contribuer à financer les investissements productifs des zones en déficit. On en est encore loin. Mais le retour en arrière n’est pas possible. Ce serait la fin de l’UE.

LA POLITIQUE COMMERCIALE DE L'UE

Jean-Luc Demarty : Placer la politique commerciale de l’UE parmi ses succès sera considéré comme paradoxal, voire comme une provocation par beaucoup. Pourtant c’est ce que dit la réalité des chiffres. Depuis l’échec en 2008 de la grande négociation commerciale multilatérale du Doha Round, l’UE a développé un réseau d’accords de libre-échange ambitieux. La formule libre-échange est d’ailleurs inappropriée. En effet elle donne l’impression qu’il s’agit d’accords où les produits s’échangent librement sans respecter aucune règle. Il n’en est rien.

 Dans ces accords commerciaux, tous les produits importés doivent continuer à respecter les normes européennes pour les produits industriels et les normes sanitaires et phytosanitaires européennes pour les produits agro-alimentaires. Les produits sensibles agricoles sont protégés par des contingents tarifaires très limités qui fonctionnent comme des plafonds absolus compte tenu des droits de douane dissuasifs au-delà de ces plafonds. En outre les accords commerciaux comprennent un chapitre développement durable ambitieux qui impose le respect des conventions clefs de l’OIT et des accords environnementaux multilatéraux, comme l’accord de Paris sur le climat.

Les chiffres sont parlants. Depuis 2008, l’excédent commercial de l’UE est passé de 50 milliards d’Euros à 200 milliards d’Euros à l’exception de la crise énergétique de 2022. Les chiffres sont encore plus impressionnants pour l’agro-alimentaire où l’excédent est passé de 10 milliards d’Euros en 2008 à 70 milliards d’Euros en 2023. Cela démontre que l’agriculture n’est jamais une variable d’ajustement dans la négociation des accords commerciaux. S’agissant de la France son excédent agro-alimentaire avec les pays tiers est passé en 15 ans de 4 à 10 milliards d’Euros, grâce aux accords de libre-échange. Cela a compensé la dégradation équivalente de son solde à l’intérieur de l’UE de + 4 milliards d’Euros à – 2 milliards d’Euros due aux mauvaises politiques économiques et agricoles nationales.

S’agissant du Mercosur, l’UE gagnera beaucoup sur les produits industriels avec l’élimination de 4 milliards d’Euros de droits de douane, et même un peu sur les produits agro-alimentaires grâce à la très bonne protection de ses produits sensibles. En outre l’accord de Paris sur le climat deviendra une clause essentielle, ce qui n’est le cas aujourd’hui qu’avec la Nouvelle-Zélande. Cela signifie qu’une violation de l’accord de Paris peut entrainer une suspension unilatérale de l’accord. En outre un protocole ambitieux sur la déforestation devra être conclu. C’est la dernière occasion pour l’UE, dont la part de marché au Mercosur a été divisée par deux en 20 ans, de ne pas laisser définitivement la place à la Chine.

Enfin l’UE se donne les moyens de lutter contre les pratiques déloyales et prédatrices de la Chine par une dizaine d’instruments législatifs unilatéraux qui ont été beaucoup développés depuis 2017. L’UE s’apprête à appliquer un droit anti-subvention contre les véhicules électriques chinois. Elle continue d’appliquer des droits anti-dumping élevés dans les secteurs de la sidérurgie et de la chimie. Elle a initié des enquêtes importantes contre plusieurs secteurs chinois dans le cadre de la réciprocité des marchés publics et des subventions aux entreprises chinoises pour acquérir des entreprises européennes. Bien entendu il est totalement exclu de conclure quelque accord commercial préférentiel que ce soit avec la Chine.

Le plus grand échec de l’UE, selon Jean-Luc Demarty

L’OUVERTURE A LA TURQUIE DE LA NEGOCIATION D'ADHESION A L'UE

Jean-Luc Demarty : En décembre 1999 au Conseil Européen d’Helsinki, les Chefs d’Etat et de Gouvernement ont donné à l’unanimité à la Turquie le statut de pays candidat à l’UE. Même si l’accord d’association de 1963 donnait à la Turquie une vague perspective d’adhésion, cette décision n’était nullement inéluctable. La décision de décembre 1999 est la pire erreur géopolitique de l’UE.

Le Premier Ministre turc de l’époque, Ecevit, théoriquement laïc, était extrêmement faible, allié à deux partis plus ou moins islamistes. La montée de l’islamisme était déjà évidente annonçant l’arrivée au pouvoir, fin 2002, d’Erdogan qui ne l’a plus lâché depuis. Avant d’ouvrir les négociations d’adhésion en 2005, les dirigeants européens se berçaient d’illusions sur la qualification d’Erdogan d’islamiste modéré, ce qui est pour le moins contradictoire. Il faut avoir le courage de dire qu’un pays très majoritairement musulman avec une composante islamiste structurellement puissante, ce qui est le cas en Turquie, ne peut avoir vocation à adhérer à l’UE. Même si les dirigeants européens de l’époque étaient suffisamment aveugles pour ne pas le comprendre, il était évident que dans plusieurs pays de l’UE, il n’y aurait jamais de majorité pour ratifier une telle adhésion. Or rien n’est pire en politique que de faire une promesse qu’on ne pourra pas tenir.

Une autre raison rendait l’adhésion de la Turquie impossible : sa taille et sa population. La Turquie serait devenue et de loin le pays le plus peuplé de l’UE, avec le plus de poids dans le processus de vote à la majorité qualifiée de l’UE. Ce serait un déséquilibre fondamental dans l’UE.

L’erreur de l’UE continue d’être exploitée par Erdogan qui entretient la fiction des négociations d’adhésion, tout en sachant pertinemment que la Turquie n’adhérera jamais. La bonne approche aurait été de proposer à la Turquie un statut particulier fondé sur l’accord d’union douanière de 1995 et inspiré de l’Espace Economique Européen avec la Norvège et l’Islande. Si l’UE avait procédé de cette manière, ses relations actuelles avec la Turquie seraient certainement meilleures et plus saines.

Beaucoup pensent que cette erreur géopolitique est surtout imputable au chancelier allemand de l’époque Gerhard Schröder que Jacques Chirac n’aurait fait que suivre. S’il est vrai que Schröder avait des arrière-pensées électorales avec les Allemands d’origine turque, en réalité Jacques Chirac était encore davantage favorable à l’adhésion de la Turquie. Une anecdote jamais rendue publique en témoigne. Jean-Claude Juncker, Premier Ministre du Luxembourg de 1995 à 2013, Président de la Commission Européenne de 2014 à 2019, avait fait une déclaration publique plutôt hostile. Jacques Chirac lui a immédiatement téléphoné pour lui dire : « Jean-Claude, les Ottomans sont une grande civilisation, ils écrivaient déjà des poèmes quand tes ancêtres se frottaient encore les fesses contre les arbres (sic) » C’est le même Jacques Chirac qui a téléphoné à Valéry Giscard d’Estaing pour lui demander d’éliminer la référence aux racines chrétiennes de l’Europe dans son projet de constitution.

Le plus grand succès de l’UE, selon Don Diego De La Vega

LE PROGRAMME ERASMUS

Don Diego de la Vega : Si je devais identifier une réussite pour l’Union européenne, je parlerais sans doute d’Erasmus. Il s’agit d’un dispositif assez fonctionnel, qui illustre la collaboration entre les nations de l’Union. Difficile d’affirmer, en l’occurrence, que le processus ne fonctionne pas comme on l’aurait souhaité. Bien entendu, d’aucuns – dont je fais partie – pourraient s’agacer de la façon dont il est administré : je ne suis pas convaincu qu’il était nécessaire d’opter, dans le cadre d’un système visant à mettre en place une coopération universitaire, pour une coopération inter-étatique. Je suppose qu’il aurait été possible d’envisager une autre organisation que celle actuelle, placée sous le signe du fédéralisme européen et de la Commission de Bruxelles. Mais le plus important, c’est que le dispositif présente des résultats.

Le plus grand échec de l’UE, selon Don Diego De La Vega

LES DIFFICULTES DU PROGRAMME SPATIAL EUROPEEN

Don Diego de la Vega : Je crois qu’il faut parler, en l'occurrence, de l’incapacité de l’Union et de l’Europe en tant qu’acteur spatial à mettre à profit les compétences dont elle dispose. Nous avions l’antériorité, les ingénieurs, les lanceurs, l’écosystème et les sous-traitants. L’Europe spatiale disposait de tous les éléments nécessaires pour pouvoir s’imposer comme l’égal des Etats-Unis sur ce sujet. D’autant plus qu’il s’agit d’un secteur présentant d’importantes barrières à l’entrée, qui nous permettait d’espérer tenir tête à la Chine pendant tout un temps. Et puis, “Alexandre le Grand” – Elon Musk, donc – est arrivé. Naturellement, nous nous sommes moqués de lui. Personne n’a écouté et dorénavant, nous pouvons nous targuer du vol prochain d'Ariane 6, programmé pour le 6 juillet. Tout a été mis en place pour assurer de la modernité de cet appareil, présenté comme révolutionnaire alors que, avouons-le, Ariane 6 était déjà has-been en 2018, alors que le projet n’était encore que dans les cartons. Bien sûr, la fusée fera peut-être son premier vol d’essai et celui-ci sera potentiellement réussi. Mais quand bien même, elle a déjà 10 ans de retard (sinon plus) par rapport à ce que fait SpaceX. Elle n’est taillée que pour faire des lancements institutionnels, subventionnés et particulièrement coûteux (aux alentours de 350 millions d’euros à charge pour le contribuable, par vol). C’est ridicule. La situation est d’autant plus agaçante qu’elle résulte d’une incurie épaulée de la complaisance des journalistes. Si nos concitoyens étaient mieux informés sur ce sujet, je suis persuadé qu’ils réclameraient des comptes.

Le plus grand succès de l’UE, selon Michel Derdevet

LA REACTION DE L'UE FACE A LA PANDEMIE DE COVID-19

Michel Derdevet : A l’évidence, c’est la réaction efficace de l’Union européenne face à la pandémie de la COVID-19. La santé relève normalement des États membres, l’Europe n’ayant qu’une compétence d’appui ; et pourtant, l’Union a su très vite, dès le début de la pandémie, se concentrer sur la mise au point d'un vaccin sûr et efficace, afin de contribuer à mettre un terme à la crise sanitaire. L'Union européenne a ainsi adopté des mesures permettant de ramener la durée de développement d'un tel vaccin d'une période de 10 à 15 ans à une période de 12 à 24 mois. Et dès novembre 2021, la Commission a signé, au nom des États membres, des contrats à concurrence de 71 milliards d'euros pour acheter jusqu'à 4,6 milliards de doses de vaccins contre la COVID-19.

Fin 2021, ce sont près de 952 millions de doses de vaccins qui furent livrés aux États membres, permettant à 80 % de la population adulte européenne d’être complètement vaccinée.

Cette action européenne a évité la concurrence entre États membres, et permis à certains d’obtenir des vaccins grâce à l’Union (la Bulgarie ou la Slovaquie auraient eu du mal à les obtenir) ; elle a aussi évité des reconfinements drastiques, comme ce fut notamment le cas en Chine.

D’autres avancées ont été aussi engagées en matière de santé à la suite de la pandémie :

- création de l’Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire (HERA), qui sera à même de soutenir demain le développement, la production et l’achat de vaccins et de fournitures médicales essentielles en cas de crise ;

- mise en place d’un espace européen des données de santé (dossier médical numérique, …) ;

- esquisse d’un grand plan cancer, qu’il faudra prolonger et amplifier dans les cinq années à venir.

Le plus grand échec de l’UE, selon Michel Derdevet 

LA MYOPIE DE L'UE FACE A LA RUSSIE

Michel Derdevet : A l’évidence, la myopie jusqu’au 24 février 2022 des grands États européens face à la montée en puissance belliqueuse de la Russie.

Pour reprendre la formule employée par Sylvie Kauffmann, Français et Allemands auront été à tout le moins « aveuglés », et non pas vu venir l’ambition de puissance de la Russie, et la soif de revanche qui pourtant sourdait depuis l’annexion de la Crimée et les crises gazières provoquées par Moscou depuis la fin des années 2000.

Aujourd’hui, l’effort de guerre européen n’est pas au niveau du rattrapage financier nécessaire, et l’industrie militaire de défense européenne reste éclatée et dépendante (80% des matériels militaires achetés par les États membres étant importés …).

Certes, l’Union européenne a réagi très rapidement à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie ; mais cela n’est pas suffisant. Et les quatorze trains de sanction à l’encontre de la Russie, adoptés à l’unanimité (ce qui est un point positif), ne semblent pas suffire à arrêter ce conflit.

Un financement ambitieux européen pour répondre au nécessaire effort de guerre s’impose, avec des mécanismes communs, évitant éparpillement et saupoudrage, et en parallèle, il faut d’urgence augmenter les capacités de production de l’industrie d’armement en Europe.

C’est à ce prix-là que la notion de « souveraineté européenne » sera crédible ; notre capacité à changer d’échelle en matière de défense déterminera, ou pas, la crédibilité du projet politique européen des cinq années à venir.

Le plus grand succès de l’UE, selon Christophe Bouillaud

LA LIBRE CIRCULATION DES CAPITAUX EN EUROPE

Christophe Bouillaud : La plus grande réussite de l’Union européenne, à mon sens, est aussi le pendant de son plus grand échec. Il s’agit en effet de la libre circulation des capitaux en Europe. Pour les épargnants et les investisseurs, c’est un point essentiel qu’il convient de mentionner : ils peuvent très aisément déplacer leurs capitaux d’un bout à l’autre de l’Union et c’est, assez indéniablement, un succès de l’Europe. De ce point de vue, nul ne peut arguer que l’objectif n’est pas rempli même si, là encore, on distingue des gagnants qui gagnent davantage que les autres. Ainsi, les petits épargnants sont moins avantagés par ce dispositif que les gros épargnants (ils ont de toute façon un peu moins d’intérêt à l’employer) mais pour quiconque le souhaite, il est très aisé de profiter de la liquidité européenne sur ces questions.

Le plus grand échec de l’UE, selon Christophe Bouillaud

L'ECHEC DE L'EUROPE SOCIALE

Christophe Bouillaud : Nous l’avons dit précédemment, le grand échec de l’Union européenne constitue l’autre face de la pièce qu’est sa plus grande réussite. Il s’agit cette fois de parler de l’échec de l’Europe sociale. Cette promesse, particulièrement importante à l’époque de Jacques Delors – dans les années 1985-1995, donc – n’a absolument pas été tenue : l’Union n’a pas su définir et mettre en place des standards minimums en matière sociale ou tirer les pays membres vers un niveau uniformisé notamment en matière salariale. La convergence des salaires, particulièrement après le grand élargissement de 2004; ne s’est absolument pas faite. C’est une catastrophe sur le plan social, qui a entraîné la délocalisation d’un grand nombre des usines installées dans les pays de l’ouest du continent et qui explique, me semble-t-il une partie de la crise d’affect qu’éprouvent les Français à l’égard de l’UE. La France, en effet, a payé un tribut particulièrement lourd.

La situation est d’autant plus notable que cette concurrence par les bas salaires aurait pu ne pas exister : elle n’était pas inscrite dans les gènes de l’Union et une politique de convergence salariale rapide aurait pu s’envisager. Il faut tout de même préciser que si elle a fait des perdants (à l’ouest, essentiellement), elle a aussi fait des gagnants (à l’est, notamment.

Le plus grand succès de l’UE, selon Henri De Bresson 

LA REPONSE DE L'UE FACE AUX CRISES

Henri De Bresson : La législature européenne qui s’achève a vu les instances européennes jouer un rôle de premier plan pour répondre aux crises auxquelles ont été confrontés les modèles économiques de ses Etats membres. Crise du covid, crise de l’énergie provoquée par la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine, crise climatique, les Européens réalisent qu’ils ont besoin de serrer les rangs. Adopté en 2020, un an après les élections européennes de 2019, le plan de relance européen de 750 milliards d’euros adopté pour sortir de la crise du Covid, est du jamais vu. Pour la première fois, les Européens décident de s’endetter en commun, un tabou jusque-là, surtout pour l’Allemagne. Pacte Vert, taxation des gafam, réforme de la Politique agricole : les accords trouvés ont été longuement débattus au sein d’un parlement européen qui joue de plus en plus son rôle de creuset des grands courants politiques de l’Union.

Le plus grand échec de l’UE, selon Henri De Bresson

LA FAIBLESSE DE LA DEFENSE DE L'UE FACE A LA CRISE UKRAINIENNE

Henri De Bresson : La crise ukrainienne a en revanche mis à jour de grandes faiblesses. En premier celle de la défense européenne. En dépit de la prise de conscience du risque que la Russie fait peser aux frontières de l’Union, les Européens ont toujours du mal à accepter d’unir leurs moyens pour assurer leur sécurité. Les promesses du sommet de Versailles, où ils s’étaient engagés à aider l’Ukraine et unir leurs forces, sont restés largement lettres mortes. La plupart des pays ont délégué aux Etats Unis le soin de financer le gros de l’effort occidental, sans chercher à développer leurs industries de défense. L’Allemagne et la France n’ont pu s’entendre sur le projet d’avion de combat européen, incapables de parvenir à un accord entre leurs industriels. Les rivalités industrielles ont la vie dure, même quand l’on comprend que la dépendance à l’égard de la Chine, du gaz russe, du pétrole, peut être un piège. Malgré les promesses, l’idée de réinstaller en Europe des capacités pour produire les médicaments de base n’a ainsi toujours pas vu le jour non plus.

Le plus grand succès de l’UE, selon Alain Wallon

LA CAPACITE DE RESISTANCE DE L’UE FACE AUX CRISES

Alain Wallon : La plus grande réussite de l’Union européenne est d’exister, de résister et de rester désirable encore aujourd'hui. Selon les sondages, notamment Eurobaromètre, une large majorité d'Européens sont favorables à rester dans l'Union et à renforcer le projet européen. La France n'a pas connu de guerre depuis 1945. L'euro est devenu la deuxième monnaie de réserve mondiale même si le dollar continue à avoir sa prééminence.

Au cœur de l’UE, la liberté de la presse, l’indépendance des institutions, de la justice et la démocratie sont toujours en place dans tous les pays qui y ont adhéré. Beaucoup de pays de l’Union européenne se trouvaient soit dans le système soviétique, soit dans un état de pauvreté comme le Portugal ou l'Irlande. Grâce à l'Union européenne, ces pays ont fait des bonds considérables en termes de PIB mais également sur le plan de la richesse matérielle, du bonheur et du bien-être. Les enjeux géopolitiques ont resurgi, notamment avec le désengagement américain, avec les difficultés du moteur franco-allemand qui a eu une importance considérable jusqu'à présent.

Le plus grand échec de l’UE, selon Alain Wallon 

L’ABSENCE DE STRATEGIE COMMUNE SUR L’INDUSTRIE ET FACE A LA RUSSIE

Alain Wallon : L'Union européenne est une puissance essentiellement d'économie tertiaire. L’UE a beaucoup perdu de son industrie puisqu’elle est passée d'à peu près 30 % de PIB dans les années 1960 à 17 - 18 % aujourd'hui avec une agriculture qui ne pèse que moins de 2 % du PIB. Le défi le plus fort est géopolitique avec la Russie qui a attaqué l'Ukraine et qui menace des pays qu'elle considère comme à elle, notamment les pays baltes ou la Pologne. L’appétit de Poutine semble sans limite. L’UE doit aussi faire face au défi industriel chinois et américain. L'Union européenne a été très naïve et a perdu beaucoup de temps. Elle a laissé se développer des économies subventionnées comme la Chine, les États-Unis, dont le protectionnisme vient d'être relancé avec l'Inflation Reduction Act que Biden a mis en place. La question cybernétique, l’installation des câbles sous-marins et la capacité à avoir une économie connectée et protégée sont aussi déterminants. La Commission européenne essaye d'avancer dans ce sens-là pour avoir un plan commun de protection de la connectique générale de l'Union européenne.

L'Union européenne est limitée à beaucoup de niveaux par son système, par l'unanimité de ses membres. Contrairement à ce que beaucoup de nos concitoyens pensent, ce n'est pas la Commission européenne qui dirige les Etats membres. L'unanimité fait blocage sur toute une série de questions essentielles, stratégiques, notamment avec la question de l'Europe de la défense. L’UE est toujours un nain politique mais aussi un nain militaire. Mis-à-part la France qui a donc la capacité nucléaire et une capacité de projection militaire, l'Europe est nue.

Les 12 millions de jeunes qui ont pu bénéficier d’Erasmus sont un autre atout considérable. Mais ce type de programme n'a pas été répété dans d'autres domaines où il aurait pu certainement avoir du succès et une grande importance pour la crédibilité de l'Union européenne sur la question de l'immigration. Les Etats membres n’ont pas été en capacité d’apporter des réponses communes sur les politiques migratoires. Il est nécessaire de repenser une politique qui ne soit pas simplement la politique de contrôle aux frontières. La pression de l'immigration va continuer. La crise climatique va l'aggraver. Il est important de revoir comment le droit d'asile doit être appliqué et comment l'immigration économique peut répondre aux besoins de main-d'oeuvre de nos différents pays et d’essayer de trouver des critères communs entre les pays pour éviter les crises avec la Hongrie, la Slovaquie ou bien encore la Pologne et ne pas rester dans des calculs cyniques et inopérants sur la question de l'accueil.

L'Union européenne doit avoir un sursaut important et passer un cap au point de vue géopolitique, dans sa capacité de défense et dans sa capacité de se mettre d'accord sur ce qu'elle veut promouvoir comme valeurs. Tel est son principal atout pour rester désirable non seulement pour les pays candidats à l'Union européenne mais également pour les pays du Sud qui continuent de regarder vers l'Union européenne et qui considèrent que nous nous apportons encore des garanties sociales, humaines et qui constituent un véritable modèle.

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