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Emmanuel Macron lors de la conférence de presse du 16 janvier 2024.
Emmanuel Macron lors de la conférence de presse du 16 janvier 2024.
©Ludovic MARIN / AFP

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Atlantico fait le point sur les mesures lancées ou mises en place par la majorité relative macroniste élue en 2022

Nathalie Janson

Nathalie Janson

Nathalie Janson est professeur associé d'économie au sein du département Finance à NEOMA Business School. Elle a obtenu son Doctorat en Economie à l'Université Paris I-La Sorbonne en collaboration avec le programme ESSEC PhD.

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Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel) ou L'islam devant la démocratie (Gallimard, 2013).

 

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

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Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Atlantico : Emmanuel Macron annonçait, à l’issue des élections européennes du 9 juin 2024, la dissolution de l’Assemblée nationale. De nouvelles élections législatives se tiendront donc le 30 juin et le 7 juillet prochain. Tout cela marque, de facto, la fin de la mandature des députés actuels. Quel bilan politique peut-on ici tirer de la majorité relative macroniste élue en 2022 ?

Raul Magni-Berton : Commençons par rappeler que, à l’évidence, les électeurs tendent à juger ce bilan de façon négative. Le résultat des élections européennes, bien qu’il s’agisse d’un scrutin de second ordre, en témoignent clairement : Emmanuel Macron et sa formation ont perdu de très nombreux points. Ceci étant dit, les électeurs ont-ils raison de juger aussi durement l’action du parlement et de l’exécutif ? Force est de constater, en tout cas, que les indicateurs généraux sur lesquels il est possible de s’appuyer pour juger de l’état de la France ne sont pas très bons. La balance des paiements est mauvaise, la dette s’est accumulée de façon conséquente au cours de son mandat. On peut évidemment se demander si les autres auraient fait mieux mais, à la fin des fins, il est difficile de dire que ce bilan est très positif. D’autant plus que, au-delà du seul sentiment des Français et des indicateurs que nous avons évoqués, il y a aussi la question de la façon dont le gouvernement a exercé le pouvoir. 

Emmanuel Macron, rappelons-le, n’a bénéficié que d’une majorité relative. Son gouvernement était minoritaire, ce qui est une situation très courante en Europe où la proportionnelle est généralement plus appliquée qu’en France. Le fait est qu’avec un gouvernement minoritaire, exercer le pouvoir présuppose beaucoup de dialogues avec l’ensemble des forces d’opposition. Il faut pouvoir être en mesure de trouver un allié différent à chaque nouvelle loi que l’on cherche à voter. Ce n’est pas du tout ce qu’a fait Emmanuel Macron, qui s’est comporté comme s’il bénéficiait de la majorité à l’Assemblée nationale. Quand ses projets de loi ne passaient pas, il a eu recours au 49.3 ou aux ordonnances pendant l’état d’urgence. Le gouvernement s’est donc comporté comme s’il était fort alors qu’en réalité, il était faible – tant en sièges qu’en voix ou en popularités.  C’est un autre des aspects importants qui, je le crois, permettent d’expliquer l’échec de cette mandature. La prise de décision politique, même quand le choix final est bon et cela ne signifie pas que c’était nécessairement le cas ici, ne peut pas se faire contre l’avis populaire et celui de l’opposition sans conséquences.

Philippe d’Iribarne : Emmanuel Macron est plutôt bien arrivé à associer l’Assemblée à l’avancement de son programme libéral-libertaire. La dissolution a fait certes que le projet de loi, déjà bien avancé, concernant le suicide assisté et l’euthanasie tombe à l’eau et on peut douter que la nouvelle Assemblée le reprenne. De même, l’assouplissement prévu de la loi SRU, intégrant les logements dits intermédiaires dans les logements sociaux, est mis à mal par la dissolution. Par contre Emmanuel Macron  a fait aboutir la constitutionnalisation de l’IVG. Il a fait aboutir de même, à coup de 49-3, une réforme des retraites d’inspiration libérale. Le caractère relatif de sa majorité ne l’a pas empêché de pousser ses pions.

Nathalie Janson : Je ne suis pas politologue mais le bilan politique est plus que mitigé dans la mesure où le gouvernement n’ pas réussi à établir des alliances pour avoir la majorité à l’assemblée. Le gouvernement a donc recouru régulièrement  au 49-3 pour passer ses budgets et ses textes. Elisabeth Borne l’a utilisée 11 fois et c’est ainsi qu’est passé le budget 2024. Cette absence de majorité est un frein objectif à des réformes ambitieuses.

Quelles sont les lois les plus notables qui ont été votées depuis l’élection de cette majorité relative ? Quels textes peut-on mettre au crédit de cette Assemblée, selon vous et que dire de l’ambition de ces dernières ?

Raul Magni-Berton : Plusieurs textes de loi viennent de suite en tête, c’est vrai, et ce même si l’on se contente de parler de la mandature 2022-2024. Ceci étant dit, les textes les plus notables concernent évidemment la réforme des retraites et la loi immigration. D’aucuns souligneront sans doute que ce n’est pas un bilan particulièrement courageux quand d’autres affirmeront que le seul fait d’avoir tenté une réforme des retraites – un sujet sur lequel la plupart des gouvernements se sont cassés les dents par le passé – relève du courage en soi. J’aurais tendance à dire, de mon côté, que le courage n’est pas la bonne métrique pour mesurer la qualité d’un bilan politique. Il vaut mieux se poser la question de la capacité du gouvernement et des membres du groupe présidentiel à l’Assemblée nationale à organiser un compromis et trouver un accord avec les différents partis. Bien sûr, sur certains sujets cela peut s’avérer très complexe. La réforme des retraites fait partie de ce type de textes. Il faut aussi admettre qu’un compromis dénué de toute ambition ne saurait suffire. Mais l’audace seule ne mène nulle part.

En l’état, il faut bien le préciser, il est assez difficile d’estimer les effets de ces deux réformes. Ce sont des réformes de long terme. Ce que l’on peut pointer du doigt dès à présent c’est qu’une réforme mal votée, comme cela a pu être le cas de ces deux sujets, sont des réformes dont on sait généralement qu’elles ne dureront pas. Cela s’explique assez aisément : en France, la distorsion des votes en siège subit une distorsion importante ce qui veut dire que certains partis peuvent être amenés à gouverner avec 15 ou 20% seulement de l’électorat français. C’était d’ailleurs le cas d’Emmanuel Macron et de sa formation… et ce genre de situation pousse parfois à la tentation de gouverner vite, de forcer sur le Parlement des lois qui engagent tout ou partie de la population.

Il faut aussi discuter du nombre d’amendements qui ont pu être proposés ou votés dans le cadre de certains textes, comme celui de la loi Immigration. Ils illustrent, en l’occurrence, l’incapacité du gouvernement à négocier convenablement la loi avec leurs alliés potentiels. Si la loi avait été convenablement négociée avec Les Républicains, ceux-ci n’auraient pas eu besoin de déposer autant d’amendement qu’ils l’ont fait. C’est clairement un aveu d’échec de la négociation préalable ; quand bien même d’aucuns diraient qu’il est positif de voir le Parlement ainsi amender un texte de loi.

Nathalie Janson : La 2ème mandature du Président Macron n’est pas marquée par des lois majeures contrairement à son premier mandat ce qui est plutôt surprenant puisque le président Macron n’a rien à perdre, ne pouvant se représenter en 2027. Il aurait profité de cette position où il n’a rien à perdre pour faire des réformes de fond  mais il n’en a rien été. Réforme  de la constitution, réforme de l’éducation (compte tenu des contre-performances de Pisa), réforme des retraites, réforme fiscale,  politique de réindustrialisation… des sujets de fond sur la priorisation de l’action du gouvernement et de ses dépenses.

Philippe d’Iribarne : Si l’on en croit la vigueur des résistances qu’elle a soulevées, la loi la plus notable concerne la réforme de l’âge de départ en retraite. Mais, si on compare le résultat obtenu avec ce qu’on observe dans le reste des pays européens, celui-ci paraît bien modeste. Peut-on mettre celle loi au crédit de l’Assemblée ? Celle-ci s’est montrée plutôt réticente, et c’est plutôt le gouvernement qui peut s’en attribuer le crédit.  Par contre la loi sur l’eau de 2023 peut être mise à son actif.


Réforme de l’assurance-chômage, des retraites… Peut-on dire de la majorité relative macroniste et du gouvernement qu’ils ont porté des projets efficients, sur le plan économique, au cours de cette mandature ? Faut-il, au contraire, déplorer le manque d’effets de ces réformes ?

Nathalie Janson : Le projet le plus important porté par cette 2ème mandature a été la réforme des retraites qui a accouché d’une souris. D’un problème structurel de soutenabilité de son financement on a fini par adopter une réformette qui change à la marge le système sans poser les questions qui fâchent dont celle de l’introduction de la capitalisation pour le bien de tous et pour la survie du système. En outre, l’introduction de la capitalisation permettrait d’augmenter le montant de l’épargne qui drainerait les entreprises. C’est sans doute une des réformes les plus importantes dans la perspective du renforcement de l’Union des marchés des capitaux Européens pour que les entreprises françaises et Européennes puissent se financer plus facilement, un incontournable si l’Europe veut rester innovante et à la pointe de la transition écologique.

D’ailleurs, le rapport annuel du COR a été remis à ses membres hier lundi 10 Juin pour une publication jeudi. Il souligne une aggravation du déficit d’ici 2030. Une confirmation supplémentaire s’il en était besoin de l’urgence

L’autre réforme qui sera tout de même mise en place malgré la dissolution est celle de l’assurance chômage avec un durcissement des conditions d’accès. Elle est souvent jugée incomplète par les spécialistes du marché du travail.

En dehors de ces deux réformes, le reste est pauvre en contenu. Il va du bouclier tarifaire à la loi Egalim 3, nous sommes loin de réformes majeures nécessaires pour pérenniser un Etat social moderne !!

Que dire du vote de la loi immigration, qui a occupé l’Assemblée nationale des mois durant, au cours de cette mandature ? S’agit-il d’un point positif sur le bilan de l’exécutif ou, au contraire, d’une occasion manquée ?

Philippe d’Iribarne : L’exécutif s’est trouvé pris en sandwich entre d’un côté la volonté majoritaire de la population, instruite par l’expérience, et de l’autre la crainte, spécialement de la gauche macronienne, de sortir du camp du Bien en reprenant les idées, déclarées « racistes » de l’extrême droite. La solution trouvée paraît aussi géniale que pitoyable. D’un côté faire voter une loi allant dans le sens des attentes des Français ; de l’autre appeler ouvertement le Conseil constitutionnel à la censurer de manière à apparaître comme fidèle au camp du Bien. L’exécutif aurait-il pu faire beaucoup mieux ? On peut en douter compte tenu de l’engagement du Conseil constitutionnel, comme du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, dans la défense des droits des individus, quel que soit ce qui peut leur être reproché, fût-ce aux dépens du bien commun.

Que dire, par ailleurs, des sujets qui auraient pu être traités et qui ne l’ont finalement pas été ?

Philippe d’Iribarne : Ces sujets sont innombrables. Ils sont en rapport avec le décalage massif entre le monde pour lequel nombre de lois ont été conçues il y a plusieurs décennies et le monde où nous vivons. Que l’on songe par exemple à la législation sur le droit d’asile ou à la justice des mineurs. De plus un certain mépris des faits conduit à laisser inchangées des lois plus récentes dont  il est largement reconnu, au moins en privé, qu’elles demandent pour le moins de sérieux aménagements. Pensons par exemple à la législation sur les passoires thermiques, avec ses effets sur la réduction d’une offre de logement locatifs déjà insuffisante. L’Assemblée et l’exécutif ne se sont pas attaqués non plus à la surtransposition, propre à la France, des directives européennes, quelque soit le caractère peu raisonnable de celles-ci. La nouvelle Assemblée va avoir du pain sur la planche.

Quid, enfin, de l’action du gouvernement à proprement parler, de son rapport à la politique également ?

Raul Magni-Berton : Je pense qu’il faut noter un élément important : pour l’heure, et c’est le cas depuis 7 ans désormais, nous avons été gouverné par des gens qui n’avaient jamais perdu une élection importante. Cela peut paraître anodin, sans doute, mais dans les faits cette situation est particulièrement parlante… puisque c’est à travers la défaite qu’un homme ou une femme politique apprend à écouter les électeurs. Sans défaite, comme cela a été le cas pour Emmanuel Macron et ses députés, on se sent invulnérable. C’est d’autant plus vrai pour les mouvements centristes qui, dans un système à deux tours, bénéficient d’une prime conséquente. 

Le président et Renaissance ont pensé pouvoir dérouler leur politique sans jamais prendre en compte l’avis des Français – et j’entends aussi celui des différentes oppositions, en l’occurrence – ce qui ne peut pas fonctionner. Il m’est arrivé, quand je me suis rendu à l’Assemblée nationale pour parler de décentralisation notamment, de remarquer combien les gens d’En Marche ont tendance à dépeindre l’opposition en irresponsable. Notons toutefois que ce sont eux qui ont placé l’opposition dans son ensemble dans une position d’irresponsabilité. En leur refusant toute capacité à participer, c’est-à-dire en fermant la porte à toute négociation alors même que le gouvernement était trop faible pour le faire seul, ils ont de facto réduit l’opposition à un groupe qui ne peut que protester.

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