Environnement : l’autre front sur lequel la justice nous mène dans le mur<!-- --> | Atlantico.fr
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Les injonctions contradictoires de la justice témoignent-elles d’une incapacité à aborder sereinement les sujets environnementaux ?
Les injonctions contradictoires de la justice témoignent-elles d’une incapacité à aborder sereinement les sujets environnementaux ?
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Inaction climatique

A travers la condamnation de l’Etat pour inaction climatique, la dispense de peine pour les activistes climatiques ou la reconnaissance de nuisances sans fondements scientifiques tels que l’électro-sensibilité, la justice s'empare de plus en plus des enjeux environnementaux.

Jean-Paul Oury

Docteur en histoire des sciences et technologies, Jean-Paul Oury est consultant et éditeur en chef du site Europeanscientist. com. Il est l'auteur de Greta a ressuscité Einstein (VA Editions, 2022), La querelle des OGM (PUF, 2006), Manifester des Alter-Libéraux (Michalon, 2007), OGM Moi non plus, (Business Editions, 2009) et Greta a tué Einstein: La science sacrifiée sur l’autel de l'écologisme (VA Editions, 2020).

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Sébastien Point

Sébastien Point est un physicien, ingénieur et chercheur français. Il est spécialiste des sciences et technologies de l'éclairage et des effets biologiques et sanitaires de la lumière bleue.

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Jean-Eric Schoettl

Jean-Eric Schoettl

Jean-Éric Schoettl est ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel entre 1997 et 2007. Il a publié La Démocratie au péril des prétoires aux éditions Gallimard, en 2022.

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Atlantico : Comment la justice s'empare-t-elle des sujets environnementaux ?

Jean-Eric Schoettl : Sauf exception, le juge se prononce sur ces sujets parce que les textes l’y conduisent. Les textes relatifs à l’environnement, notamment l’épais code de l’environnement, sont remplis d’obligations dont la méconnaissance conduit à l’annulation d’une décision publique, ou à une sanction pénale, ou au prononcé d’amendes ou d’indemnisations.

L’empilement d’exigences floues et de procédures rigides conduit à l’insécurité juridique et au retard dans la réalisation de projets d’aménagement, y compris pour les équipements ayant une utilité environnementale. Le contentieux et ses lenteurs concourent à freiner les initiatives et, de fait, à en compromettre l’aboutissement. On l’a vu pour l’aéroport de Notre Dame des Landes. La France est championne des retards de source juridique dans l’exécution d’ouvrages collectifs. D’où la tendance récente, compréhensible, des pouvoirs publics à alléger les contraintes légales pesant sur l’implantation de certaines infrastructures et à limiter les possibilités contentieuses, comme pour les éoliennes dans le projet de loi sur les énergies renouvelables. Mais remonter ainsi la pente provoque l’ire d’activistes dont l’incohérence n’a d’égale que la véhémence.  

Il serait donc injuste d’imputer globalement au juge les conséquences négatives, en termes d’insécurité juridique ou d’allongement des délais, des textes qu’il a pour mission d’appliquer.

Ainsi, ce n’est pas le juge administratif qui s’est octroyé un pouvoir d’injonction à l’égard de l’administration et du gouvernement, c’est le législateur qui le lui a donné (loi du 30 juin 2000 sur les référés administratifs).

Autre exemple : la législation sur la participation du public aux décisions ayant un impact environnemental. La Charte de l'environnement (loi constitutionnelle du 1er mars 2005) emploie à plusieurs reprises le mot « loi » sans que personne n’ait eu à l'époque une claire conscience de ce qu'impliquait l'emploi de ce terme. Il conduisait en particulier à faire remonter au niveau législatif les modalités selon lesquelles la population participe aux décisions ayant une incidence sur l'environnement, y compris lorsque ces décisions ont un caractère individuel. C'est après coup, lorsque le juge constitutionnel a eu à interpréter la Charte, que s'est révélé cet effet administrativement et contentieusement très lourd. Mais le Conseil constitutionnel ne pouvait faire autre chose que de dire que la loi c’est la loi…

Il arrive cependant au juge de condamner l’Etat pour inaction climatique...

Jean-Eric Schoettl : L’« affaire du siècle » montre que le prétoire est devenu, pour les nouveaux activistes, le point d’application central de l’action militante. Par sa dramaturgie, par la théâtralisation dont elle s’accompagne, une campagne de manifestations et de pétitions centrée sur une action contentieuse, comme celle de l’ « affaire du siècle », est porteuse d’une charge émotionnelle sans équivalent dans le champ politique. Est non moins mobilisatrice la nature de la demande portée devant le juge administratif (ordonner à l’Etat de faire ce qu’il faut pour restaurer le climat). A la fois simple dans sa formulation (on ne s’embarrasse plus d’articuler des revendications techniques précises), globale (pour ne pas dire planétaire) dans sa portée et magique dans son inspiration, elle ne peut que galvaniser des foules qui ont une enfant pour prophète. Dans le domaine environnemental comme dans d’autres, et le domaine climatique s’y prête admirablement, le juge est appelé à sommer la puissance publique de faire advenir le Bien. 

Tout en expliquant qu’il ne lui appartient pas de conduire les politiques publiques (ici la politique climatique), le juge administratif ne reste pas insensible à de telles demandes. Les décisions juridictionnelles prises, dans l’ « affaire du siècle », par le tribunal administratif de Paris, puis par le Conseil d’Etat, n’ont-elles pas été qualifiées d’historiques par les ONG et les médias ? Aussi le juge administratif déploie-t-il de notables efforts en faveur des requérants : en reconnaissant l’intérêt d’une commune littorale pour agir contre l’inertie de l’Etat, en condamnant celui-ci à réparer le préjudice climatique de ladite commune dans les termes de l’article 1246 du code civil (qui ne concernent pourtant pas l’Etat), en admettant que la commune et les associations opposent l’Accord de Paris à l’Etat, alors que, selon une jurisprudence constante, un traité est opposable entre Etats parties et ne peut l’être par les particuliers à leur Etat que s’il résulte de ses stipulations ou de son objet qu’il est d’effet direct en droit interne. 

Il n’est pas inutile de résumer ce feuilleton pour bien mesurer l’implication du juge dans les questions écologiques.

Le 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris juge que l’État n'a pas respecté ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre entre 2015 et 2018 et qu’il est donc partiellement responsable du « préjudice écologique » causé par le réchauffement climatique. De son côté, le Conseil d’Etat est saisi par la commune de Grande-Synthe et plusieurs associations du refus du gouvernement de prendre des mesures supplémentaires pour atteindre l’objectif, issu de l’Accord de Paris, de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % (par rapport à 1990) d’ici à 2030. 

Le 19 novembre 2020, le Conseil d’État demande au gouvernement de justifier, dans un délai de trois mois, que la trajectoire de réduction des gaz à effets de serre pour 2030 pourra être respectée sans mesures supplémentaires. La transmission par le gouvernement de nouveaux éléments ne convainc pas le Conseil d'État puisque, le 1er juillet 2021, il fait droit à la demande des requérantes en observant que la baisse des émissions en 2019 est faible, que celle de 2020 n’est pas significative (l’activité économique ayant été réduite par la crise sanitaire) et que le respect de la trajectoire, qui prévoit notamment une baisse de 12 % des émissions pour la période 2024-2028, paraît inaccessible si de nouvelles mesures ne sont pas adoptées rapidement. D’autant plus inaccessible, note le Conseil d’Etat, que l’accord entre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne d’avril 2021 a relevé l’objectif de réduction des émissions gaz à effet de serre de 40 à 55 % par rapport à leur niveau de 1990. Le Conseil d’Etat enjoint en conséquence au Gouvernement de prendre des mesures supplémentaires avant le 31 mars 2022 pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici 2030. L’échéance de mars 2022 arrivée, l’avocate de la commune, Corinne Lepage, demande au Conseil d’Etat de prononcer une astreinte financière contre l’Etat tant que celui-ci n’a pas pris les mesures propres à faire rejoindre par la France la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effets de serre. 

Quelles mesures ? Le Conseil d’Etat ne le dit pas. Leur détermination excède la capacité d’expertise du juge et leur révélation pourrait provoquer, par leurs effets sur le pouvoir d’achat, l’ire de la France périphérique. Ces mesures devraient être de nature réglementaire car le juge administratif ne commande pas au législateur. Mais existe-t-il des mesures réglementaires supportables et capables de faire rejoindre à la France une trajectoire dont les ambitions ont encore été relevées en avril 2021 ? L’affaire du siècle, comme le jeu du furet, a pour mise un objet caché qui circule sans être dévoilé. Les activistes demandent au juge d’ordonner des mesures sans dire lesquelles ; le juge ordonne au gouvernement de prendre des mesures sans préciser lesquelles ; le gouvernement invoque les mesures qui résulteront d’une loi non encore adoptée et moins encore évaluée. Mais les activistes ne s’en soucient guère : ce qui compte pour eux est d’avoir obtenu une victoire symbolique sur la scène contentieuse. 

L’affaire du siècle n’est pas la seule dans laquelle le juge administratif est appelé à prescrire le bien écologique. Ainsi, le 10 juillet 2020, à la demande de plusieurs associations, le Conseil d’État ordonne au gouvernement d’agir contre la pollution de l’air dans huit zones en France, conformément à ses engagements européens, sous peine d’une astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard. Le 4 août 2021, il juge que, si des mesures sont intervenues, elles ne permettront pas d’améliorer la situation en temps voulu, car la mise en œuvre de certaines d’entre elles reste incertaine et leurs effets n’ont pas été évalués. Aussi condamne-t-il l’État à payer une astreinte de 10 millions d’euros pour le premier semestre de l’année 2021. Le 17 octobre 2022, le Conseil d’État juge que, si des améliorations dans la durée ont été constatées, les seuils limites de pollution au dioxyde d’azote – qui doivent être respectés depuis 2010 – restent dépassés dans plusieurs zones en France, notamment dans les agglomérations de Paris, Lyon et Marseille. A ce jour, les mesures prises par l’État ne garantissent donc pas, selon le Conseil, que la qualité de l’air s’améliore de telle sorte que les seuils limites de pollution soient respectés dans les délais les plus courts possibles. En conséquence, il condamne l’Etat à payer deux nouvelles astreintes de 10 millions d’euros pour les deux périodes allant de juillet 2021 à janvier 2022 et de janvier à juillet 2022. Le produit de l’astreinte est versé à l’association Les Amis de la Terre (qui avait initialement saisi le juge administratif), ainsi qu’à plusieurs autres organismes et associations engagés dans la lutte contre la pollution de l’air. La rente sera perpétuelle si l’objectif ne peut être atteint. Avis aux officines spécialisées : le contentieux rapporte non seulement politiquement, mais encore financièrement. Double incitation à requérir.

Le 5 janvier 2023, se basant sur un certificat médical délivré par le médecin généraliste du plaignant, le tribunal de Saint-Étienne a donné raison à un client accusant son compteur Linky de provoquer des maux de tête, et enjoint à la société Enedis de retirer l'appareil. À quel point lexpertise scientifique nest pas écoutée dans ce genre daffaires ?

Sébastien Point : Je ne dirais pas que l'expertise n'est pas écoutée. Je dirais qu'elle est ignorée. Concernant les effets des champs électromagnétiques sur la santé humaine, les expertises menées au niveau international par l'ICNIRP (Commission internationale de protection contre les rayonnements non-ionisants), au niveau européen par le SCHEER (Comité scientifique des risques sanitaires, environnementaux et émergents) mais aussi en France par l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) vont, depuis des années,  dans le même sens et sont tout à fait rassurantes:  les données convergent vers une absence de nocivité des ondes, bien entendu lorsque le niveau d’émission est contenu à l'intérieur des limites normatives, limites qui d'ailleurs bénéficient d'une marge de sécurité importante. Pour le cas spécifique du Linky, qui est un compteur communicant par voie filaire, c'est la même chose: l'ANSES a bien conclu à l'absence d'effet nocif et l'ANFR (Agence nationale des fréquences) a mesuré des niveaux d'exposition cohérents avec ce que l'on attend pour ce type d'appareil. Ce qui confirme par ailleurs ce que les spécialistes savaient, sur la base de la plausibilité des mécanismes physiques et biologiques à l’œuvre. Ce qui est extrêmement préjudiciable, y compris pour le plaignant, c'est qu'en même temps qu'elle ignore l'expertise scientifique, la justice accorde foi aux témoignages. ça peut paraître du bon sens mais ça ne l'est pas, car le témoignage est le niveau zéro de la preuve scientifique: le cerveau humain est sujet à près de 200 biais cognitifs, qui déforment la perception ou la compréhension des évènements. Dans le cas des ondes en général et du Linky en particulier, ces biais conduisent les électrosensibles à  faire des erreurs d'attribution causale et à développer de véritables phobies, avec le concours d'ailleurs du tapage médiatique et associatif autour d'une prétendue nocivité des ondes, comme je l'ai montré dans mon ouvrage "la religion anti-ondes". En ignorant l'expertise et en accordant foi à leur propos, ces médecins et ces juges condamnent de fait les électrosensibles à s'enfoncer irrémédiablement dans leur phobie.

Jean-Paul Oury : Il existe des précédents similaires au cas cité. En 2018, le tribunal des affaires sociales de Versailles a donné raison à un électricien salarié dune entreprise de télécommunication en reconnaissant son électrosensibilité. Quelques années plus tôt, celui-ci avait été transporté à lpital à la suite dune crise de tachycardie due selon lui aux ondes des nombreux téléphones présents sur son lieu de travail. Dans Greta a tué Einstein, je montre comment l’écologisme sen est pris aux ondes, perçues aux côtés des OGM, du Nucléaire ou encore du Glyphosate comme un des totems de la science prométhéenne. Pour cela, ils ont eu recours à une double stratégie : des collectifs de militants anti-ondes ont fait de lAgit-Prop un peu partout en France pour faire passer pour un danger aux yeux de lopinion, le risque inexistant des antennes-relais. Des opérateurs ont été condamnés à démonter des antennes relais et certains ont été accusés par des familles qui ont eu droit à tous les égards de la presse, alors que lantenne visée n’était même pas allumée. Ensuite à coup de propagande dONG et d’études dexperts auto-proclamés, le concept dEHS (électro-hypersensible) n’a cessé de progresser. Il illustre selon moi une deuxième stratégie qui consiste à « poser une question non scientifique au scientifique ». Rappelons que lOrganisation mondiale de la Santé, lensemble des autorités sanitaires qui font référence au niveau mondial, et les autorités médicales françaises sont en phase pour reconnaître quil ny a aucun lien possible entre les souffrances des patients qui se prétendent électrosensibles et lexposition aux ondes magnétiques. Toutes les instances en question sappuient sur des dizaines dexpériences réalisées ces vingt dernières années. Malgré le « front scientifique », l’électrosensibilité na pas pour autant cessé de se répandre et à la suite de quatre années d’études qui ont regroupé plus de 40 scientifiques, dans un rapport publié en 2018, lANSES évalue à 3,3 millions de Français souffrants, sous une forme ou sous une autre et à des degrés variables, de sensibilité exacerbée aux ondes électromagnétiques. Mais vous aurez beau démontrer à votre patient que les ondes ne peuvent être la cause de ses maux de tête (cest ce que fait Saul Goodman lavocat de la série Netflix à son frère Chuck dans un épisode célèbre), il continuera de vous dire que vous ne pouvez vous mettre à sa place et que lui sait parfaitement que ce sont les ondes qui sont responsables. Ce qui pour le coup relève de la pathologie subjective, pour reprendre les termes du philosophe et médecin Georges Canguilhem dont on ne sait si elle deviendra un jour objective. Tout cela vous permet de juger à quel point lexpertise scientifique nest non seulement pas écoutée, mais en plus elle est largement contestée. Car cela fait partie de la stratrégie de l’écologisme dont l’objectif est de faire tomber la science prométhéenne de son piédestal.

En matière d’environnement ou de santé publique les jugements sont-ils fondés sur des données scientifiques solides ?

Jean-Eric Schoettl : Ils ne le sont pas toujours, ce qui est fâcheux lorsqu’ils tranchent des questions de principe emportant des conséquences socio-économiques importantes.

Ainsi de la question de savoir si l’« électrosensibilité » est une pathologie en rapport à l’activité professionnelle. L’électrosensibilité est définie comme les troubles dus à une sensibilité excessive aux ondes et aux champs électromagnétiques ambiants. Le lien de causalité entre l’exposition aux champs électromagnétiques et ce syndrome n’est pas scientifiquement établi. Sont en fait déclarés électrosensibles ceux qui se déclarent l’être. L’absence de fondement scientifique n’a pas empêché deux tribunaux (le tribunal des affaires de sécurité sociale de Versailles en septembre 2018 et le tribunal administratif de Cergy le 17 janvier 2019), faisant application d’un principe de précaution et d’équité sociale (le doute doit bénéficier au travailleur) de voir dans l’électrosensibilité une pathologie professionnelle.

Que ce soit la condamnation de lEtat pour inaction climatique, la dispense de peine pour les activistes climatiques, ou autres. La justice nous mène-t-elle dans le mur en validant une certaine approche de l’écologie ?

Jean-Paul Oury : Un jugement ne vaut que parce quil peut sappuyer sur des preuves et des lois. Il ny a pas plus absurde que cette condamnation de lEtat pour inaction climatique car elle n’est fondée sur aucune preuve et aucune loi. En effet comme je le montre dans mon nouveau livre Greta a ressuscité Einstein, le discours politique a totalement récupéré la science dans lobjectif de linstrumentaliser. Pour cela il suffit de produire des sophismes. Si on prend un régime fictif tel que la Climatocratie, par exemple, pour prendre le pouvoir en sappuyant sur la science du climat, les climatocrates vont revendiquer que lon nen fait jamais assez pour le climat. Parfois ce sont des élus eux-mêmes qui sortent ce genre de message. A cela on ajoute une quantité de formules vagues telles que par exemple :  « il faut agir maintenant », que « nous navons plus le temps », qu « il est trop tard », que "nous ne pouvons plus attendre »….Le point commun de toutes ces revendications étant quelles nous plongent dans la démesure, le vague, le flou artistique, l’incantation pieuse… autrement dit tout lopposé de la science dont lessence est la mesure, la précision, la définition de son objet, la limitation du champ de recherche. L’objectif de la récupération politique de la science du climat par les climatocrates étant de s’appuyer sur la science pour créer de nouvelles normes ; c’est une forme de néo-scientisme. Condamner lEtat pour inaction climatique cest donc se reposer sur ce sophisme quil existe une mesure de laction climatique et que l’on peut normer celle-ci. Or il sagit de politique scientifique et le débat reste ouvert. Il existe plusieurs scénarios et aucun nest véritablement tranché : faut-il privilégier la croissance pour s’armer et lutter contre les conséquences du réchauffement climatique ou faut-il choisir la décroissance et les mesures sacrificielles pour mitiger le Co2 dans l’espoir de contrôler le climat. Si la politique scientifique n’a pas encore tranché le problème, comment la justice pourrait-elle alors s’en charger ?

Les injonctions contradictoires de la justice témoignent-elles dune incapacité à aborder sereinement ces sujets ?

Jean-Paul Oury : Cela na rien de nouveau. La première fois que jai assisté en personne à ce genre dinjonctions contradictoires c’était au procès de José Bové et des faucheurs volontaires à Riom. Pour rappel laffaire commence en 2004 lorsque 500 faucheurs volontaires sen prennent à un champ de mais BT de la société Biogemma quils fauchent malgré la présence dagriculteurs et de gendarmes mobiles. Non seulement les forces de lordre ne sont pas intervenues pour empêcher la destruction mais en plus il a fallu que la société Biogemma qui a subi des dommages et des pertes financières à lissue de ce saccage attaque lEtat pour essayer davoir gain de cause. Pour rappel à l’époque lobjectif de François Roux, lavocat de José Bové, était de faire progresser la cause de la désobéissance civique. Selon lui, le fait de sen prendre à la propriété dautrui et faire de la destruction en bande organisée relevait dune grande cause et pouvait être excusable par la justice de ce fait. On voit déjà à quel point l’écologisme (en tant qu’idéologie) s’était engagé dans un combat politique pour la maitrise de lagenda scientifique. Ils ont des longueurs d’avance. Et le fait d’avoir changé la politique scientifique a eu forcément une influence sur la justice. 

Le juge pénal fait-il preuve de clémence à l’égard des activistes climatiques ?

Jean-Eric Schoettl : On voit parfois en effet le juge pénal voler à la rescousse des activistes. Citons, pour sa valeur emblématique, l’affaire du « décrochage » des portraits officiels du Chef de l’Etat.

En septembre 2019 le tribunal correctionnel de Lyon relaxe deux personnes qui, s’étant emparées de la photo officielle d’Emmanuel Macron dans la mairie du IIème arrondissement de la ville, en compagnie d’une vingtaine d’autres activistes, étaient poursuivies pour vol en réunion. Le parquet avait modestement requis à leur encontre une amende de 500 euros. 

Pour le tribunal correctionnel, l’enlèvement du portrait du chef de l’Etat ne saurait être pénalement sanctionné, parce que ses auteurs, militants écologistes, se trouvaient dans un « état de nécessité » face à l'inaction de l'Etat contre le réchauffement climatique. L’enlèvement sans autorisation du portrait du Président doit être regardé, selon le tribunal, « comme le substitut nécessaire du dialogue impraticable entre le président de la République et le peuple ». 

En jugeant ainsi, le tribunal ne se borne pas à trouver aux décrocheurs des circonstances atténuantes. Ni même à relativiser les faits susceptibles de caractériser un vol en l’espèce. Il présente le décrochage comme la réponse légitime à la carence des pouvoirs publics face à un fléau planétaire. Mieux : Il fournit une théorie générale de la nécessité de la désobéissance civile face à un pouvoir indigne : « Le mode d’expression des citoyens en pays démocratique, considère-t-il en effet, ne peut se réduire aux suffrages exprimés lors des échéances électorales, mais doit inventer d’autres formes de participation dans le cadre d’un devoir de vigilance critique ». 

Il n’est guère surprenant que ce jugement ait été applaudi par le monde militant ("Le juge a été très courageux, cette décision restera dans l'histoire", a déclaré, sur France-info, Cécile Duflot, directrice générale de l'ONG Oxfam France et ancienne ministre). Le jugement du tribunal correctionnel de Lyon peut sembler au contraire terrifiant pour le devenir de notre Etat de droit et ce, à divers titres.

En premier lieu, s’il faisait jurisprudence, il n’y aurait plus qu’à remiser préventivement toutes les Marianne et tous les portraits du Président de la République installés dans les bâtiments officiels pour leur éviter d’être impunément décrochés par des manifestants excipant de justes causes délaissées par le gouvernement. Toutes sortes d’autres actes protestataires bénéficieraient d’une immunité juridictionnelle, pourvu qu’ils soient inspirés par des motifs assez nobles pour susciter l’adhésion d’un juge progressiste.  

En deuxième lieu, le tribunal fait ici un usage ébouriffant de la notion d’« état de nécessité ». Cause d’irresponsabilité pénale définie par le législateur, l’état de nécessité permet par exemple de ne pas réprimer un vol dans le cas, exceptionnel, où son auteur y était acculé, par exemple par ce qu’il était affamé. L’article 122-7 du code pénal le délimite comme suit : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ». Nous en sommes loin en l’espèce, sauf à soutenir que le décrochage du portrait du Président serait nécessaire au salut de la planète. 

En troisième lieu, le tribunal correctionnel de Lyon chamboule les notions les plus élémentaires de séparation des pouvoirs en se faisant juge de la politique environnementale des pouvoirs publics et de ses insuffisances. Il n’en a ni la compétence juridique, ni la compétence scientifique.

En quatrième lieu, ce jugement illustre la dérive qui, depuis une quarantaine d’années, voit le prétoire devenir un enjeu stratégique pour les minorités agissantes et les groupes contestataires. Le jugement du tribunal correctionnel de Lyon illustre cette dérive par sa motivation révolutionnaire. N’inverse-t-il pas complètement la place des parties dans le procès ? Avec lui les premiers sont les derniers ; de prévenu, le décrocheur devient héros ; d’offensés les pouvoirs publics, deviennent offenseurs. Dans le box, ils remplacent le décrocheur, tout en supportant un chef d’accusation autrement plus grave que lui : inertie devant le cataclysme. Autant dire crime contre l’humanité ou écocide. Rejoignant le militant dans la dénonciation du mauvais pouvoir, capitalisant sur le discrédit qui touche la classe politique, embrassant la cause du Bien sur cette scène manichéenne à laquelle se réduit aujourd’hui le débat public dans un certain nombre de domaines (environnement, immigration, bioéthique…), le juge (façon tribunal correctionnel de Lyon) devient le rédempteur qui rallie les mutins du système et, suscitant le ravissement médiatique, fait plier ce dernier. Cercle vicieux que cet engouement militant pour le juge, car il renforce l'hubris juridictionnelle. Contrairement à ce que dit Mme Duflot, ce serait résister à cette griserie qui serait courageux.

En dernier lieu, le tribunal livre une vision de l’ordre public en profonde contradiction avec l’exigence démocratique qu’il invoque pour légitimer l’action des décrocheurs.  Symbole du lien républicain unissant les citoyens en dépit de la diversité de leurs opinions, la présence du portrait du chef de l’Etat et des bustes de Marianne dans les hôtels de ville atteste, comme les emblèmes nationaux (hymne, drapeau), de notre attachement à un noyau consensuel d’affections et de loyautés. Ces symboles disent ce que nous avons de commun et qui nous met en mesure de débattre pacifiquement du reste. Y porter atteinte c’est rompre ce lien et rendre par conséquent impossible la gestion des affaires communes. 

Si critique qu’on soit à l’égard de la politique du gouvernement, ce n’est ni en dérobant le mobilier public, ni en portant atteinte aux emblèmes nationaux que l’on servira la cause de l’environnement, ni aucune autre cause d’ailleurs. Le traitement des problèmes complexes auxquels se trouve confrontée la société contemporaine appelle non le tapage de l’agit prop, mais la patience des expertises techniques, des arbitrages démocratiques et des compromis sociaux. En démocratie, l’action de la collectivité, comme sa réorientation (même radicale), supposent le respect par tous de règles du jeu communes. Elles impliquent aussi une révérence partagée pour les symboles exprimant le noyau consensuel de la Nation. Le juge n’a pas à jouer, dans ce processus démocratique, à l’éléphant dans le magasin de porcelaine.

Dans quel but la justice entretient-elle de fausses idées pourtant dominées par les différents corps scientifiques en question ? Comment expliquer la situation actuelle ?

Sébastien Point : Est-ce que la justice entretient volontairement des fausses idées, je ne le crois pas. Je pense plutôt qu'elle est submergée par les lacunes de trop nombreux magistrats dans le domaine scientifique, lesquelles lacunes, au mieux ,les maintiennent ignorants du fait scientifique, au pire les poussent à valider des expertises pseudoscientifiques ou ésotériques.  Le regretté Carl Sagan  écrivait que labsence de connaissances scientifiques de la population, dans une société comme la nôtre basée sur les sciences et la technologie, était une prescription pour un désastre. Nous y voilà. La science et la technologie doivent bénéficier d'un socle commun de connaissances, qui permette aux citoyens, aux décideurs, aux élus,  de juger de la plausibilité scientifique d'une allégation; il faut donc enseigner la science et entrainer à l'esprit critique, non pas seulement dans les universités de sciences ou les écoles d'ingénieurs, mais aussi, de manière adaptée,  dans les facultés de droit, dans les écoles de commerces, dans les cursus de formations administratives ou politiques: dans l'époque que nous vivons, où les équilibres sont précaires, nous ne pouvons nous permettre de prendre des décisions qui ne soit éclairées par le raisonnement rationnel, le discernement et l'examen de  la consistance scientifique.

Jean-Paul Oury : Dans mes deux ouvrages précédemment cités, je montre un double changement de paradigme : l’écologisme a fait tomber la science prométhéenne de son piédestal et la politique a récupéré la science, avec la conséquence suivante : la science des législateurs a pris lascendant sur la science des ingénieurs. Cela manifeste la progression de lEcologisme, cette idéologie qui a pour linstant le monopole de la politique scientifique. Cela na rien d’étonnant puisque les militants de ce mouvement ont été les premiers à questionner la science prométhéenne et à lui mettre les bâtons dans les roues. Ils sont aussi à lorigine de lintroduction du principe de précaution dans la constitution qui fait que la justice va donner de plus en plus raison à une politique qui sappuiera sur la science pour créer de nouvelles normes pour réguler nos vies et de moins en moins raison à une politique qui sappuiera sur la science pour tenter de repousser les déterminismes qui simposent à nous. Aller à l’encontre de ce mouvement implique de remettre en cause l’écologisme qui impose actuellement ses règles. Après cela nous renvoie à une problématique de choix de société. Encore faut-il que l’opinion ait conscience de ce qui est en train de se passer. 

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