Emmanuel Macron en Nouvelle-Calédonie : n’est pas Michel Rocard qui veut<!-- --> | Atlantico.fr
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Cette photo montre des banderoles installées le long d'une route à la suite d'une visite du président français Emmanuel Macron à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 24 mai 2024.
Cette photo montre des banderoles installées le long d'une route à la suite d'une visite du président français Emmanuel Macron à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 24 mai 2024.
©Theo Rouby / AFP

Réforme du corps électoral

Le président de la République a quitté la Nouvelle-Calédonie après s'être entretenu avec les composantes loyalistes et indépendantistes. Il a promis de ne pas faire passer "en force" la réforme du corps électoral, à l'origine des émeutes dans l'archipel depuis la mi-mai.

Max-Erwann Gastineau

Max-Erwann Gastineau

Max-Erwann Gastineau est essayiste, spécialiste des questions internationales. Il a étudié au Canada et à Trinité-et-Tobago, avant de travailler en Chine, aux Nations unies, à l’Assemblée nationale, puis dans le monde de l’énergie. Il est l'auteur de L'Ère de l'affirmation : répondre au défi de la désoccidentalisation (Le Cerf, 2023).

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Nathalie Mrgudovic

Nathalie Mrgudovic

Nathalie Mrgudovic est enseignante-chercheur à l'Université d'Aston (Birmingham, Grande-Bretagne). Spécialiste de la présence française dans le Pacifique Sud, elle est l'auteur, notamment, de La France dans le Pacifique Sud. Les enjeux de la Puissance, Préface de Michel Rocard (L'Harmattan, 2008).

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Atlantico : Selon vous, le point principal à retenir de l'avis d'Emmanuel Macron aujourd'hui en Nouvelle-Calédonie ?

Nathalie Mrgudovic : On pourrait dire que c'était une tentative de rétablir le dialogue entre les trois partenaires – les indépendantistes, les loyalistes et l'État – et de ramener le calme. Les indépendantistes sont venus discuter avec lui, et les loyalistes aussi. C'est déjà une très bonne chose, car je me demandais si cela allait vraiment avoir lieu. Mais chaque partie est venue séparément discuter avec le Président. Donc une partie du dialogue a été rétablie, mais pas entre les principaux protagonistes, ce qui constitue tout de même l'enjeu principal. En outre, les déclarations d'Emmanuel Macron ont-elles été révolutionnaires ? Non, pas vraiment. Une des principales sources de tension est la volonté d'élargir le corps électoral spécial pour les élections provinciales. Cela signifie permettre aux personnes vivant en Nouvelle-Calédonie depuis au moins 10 ans et à celles nées en Nouvelle-Calédonie depuis la dernière liste établie, c'est-à-dire depuis 1998, d'être incluses dans cette liste électorale spéciale. Les indépendantistes refusent cette idée, ce qui a causé des problèmes depuis le 12 mai. Le projet de loi a été adopté par le Sénat et l'Assemblée nationale, et pour être intégré dans la Constitution, Emmanuel Macron avait prévu une réunion fin juin d'un congrès réunissant députés et sénateurs pour adopter cette nouvelle législation. À mon avis, c'était une erreur de vouloir faire cela immédiatement. Cette initiative a provoqué une forte réaction. On pouvait espérer qu'à l'occasion de cette visite éclair Emmanuel Macron dirait : "Je retire cette idée de réunion du congrès, évitant ainsi de passer en force." Cependant, il a seulement déclaré qu'il n'y aurait pas de réunion du Congrès pour le moment et qu'il repousserait cela de quelques semaines. Mais cette déclaration est quelque peu trompeuse, car la réunion du Congrès était déjà prévue pour fin juin, ce qui est dans quelques semaines de toute façon. Donc, il ne s'est pas vraiment avancé sur cette question. Si j'étais indépendantiste, je serais très déçue. Si j'étais loyaliste, je serais rassurée. Il a joué sur les deux tableaux sans vraiment faire avancer la question du retrait de ce projet de loi constitutionnelle.

Max-Erwann Gastineau : Le principal point à retenir ne concerne pas véritablement les annonces du président de la République, mais la visite elle-même. A travers son déplacement en Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Macron a cherché à éteindre un nouvel incendie. Un de plus dans un septennat commencé en 2017 et qui, depuis, va de crise en crise, conséquence d'un délitement national dont il n’a pas créé les causes mais qu’il ne parvient pas à conjurer. Gilets jaunes, crise des agriculteurs, troubles en Outre-Mer, émeutes en banlieues… Faute de stratégie, l’Etat réagit, jusqu’à la prochaine crise. Comme s’il ne parvenait pas à reprendre la main. Mais le peut-il ? Emmanuel Macron va sur le terrain, comme il l'a fait au Salon de l’agriculture. Il se retrousse les manches, au sens propre comme au sens figuré. Il veut incarner un Etat réactif, agile. Or, on aimerait le voir beaucoup plus en anticipation. La Nouvelle-Calédonie est l’énième épisode d’une France périphérique qui décroche, exprimant son malaise, s’interrogeant sur son avenir dans une France divisée, dont un nombre toujours plus grand de citoyens se demandent ce qu’ils font ensemble, quel récit les relie, quelles ambitions collectives transcendent la structure sociale. Il manque à la France une grande ambition technologique et scientifique. Les difficultés de la filière nickel, qui emploie près de 30% des habitants de Nouvelle-Calédonie, le rappellent.

Notons, en outre, qu’Emmanuel Macron joue aussi sa crédibilité à l’international. Comment prétendre aider l’Ukraine, acquérir un statut dans l’Indopacifique, redevenir un poids lourd de la géopolitique mondiale, capable de s’adresser à la Chine aussi bien qu’aux nouvelles puissances du Sud, si vous n’êtes même pas capable d’assurer l’ordre chez vous ?

Pensez-vous que les indépendantistes ne sont pas forcément rassurés par cette visite d'Emmanuel Macron ?

Nathalie Mrgudovic : Je ne pense pas qu'ils le soient. Non, en effet. Ils ont montré de la bonne volonté. Emmanuel Macron semble également faire preuve de bonne volonté. Mais bon, il repart ce soir. Il est venu avec des ministres qui ne sont pas vraiment appréciés en Nouvelle-Calédonie par les indépendantistes, Darmanin et avant lui, Lecornu, l'ancien ministre des Outre-mer, qui a forcé la tenue du troisième référendum et imposé le résultat. Darmanin a suivi cette politique. Donc ces deux-là ne sont pas très populaires côté indépendantiste. Cela n'a pas vraiment favorisé un apaisement total, je dirais. Maintenant, en partant, Emmanuel Macron a demandé, quatre choses : La levée des barrages. Il appelle à la levée des barrages immédiatement, dès que possible. Il propose que l'état d'urgence ne soit pas renouvelé, surtout si les barrages sont levés. Il appelle à un retour au dialogue politique. Pour ce faire, il a annoncé la mise en place d'une "mission de médiation et de travail". Personnellement, je ne suis pas entièrement convaincue par cette mission. Elle est composée de trois hauts fonctionnaires. Tous ont travaillé sur la Nouvelle-Calédonie, certes. Il y a Éric Thiers, conseiller d'Emmanuel Macron entre 2022 et 2024, qui a travaillé sur le dossier de la Nouvelle-Calédonie. Puis Rémi Bastille, qui a travaillé auprès du haut commissaire en Nouvelle-Calédonie de 2020 à 2022. Et enfin, Frédéric Pottier, membre du cabinet d'Emmanuel Valls en 2014. Ils sont donc familiarisés avec la question calédonienne.

Cependant, ce modèle manque d'une diversité plus large. En 1988, la mission du dialogue initiée par Michel Rocard incluait non seulement des hauts fonctionnaires, mais aussi des représentants d'autres secteurs de la société calédonienne, personnalités respectées et impartiales, et qui ne représentaient pas l'État. Par exemple, le recteur de l'institut catholique de Paris, le président de la Fédération Protestante de France, deux églises très influentes en Nouvelle-Calédonie en raison de la forte religiosité des habitants. Et un ancien Grand Maître du Grand Orient de France, les loges maçoniques étant connues pour rassembler kanak et 'Européens' en Nouvelle-Calédonie. Il aurait été bénéfique de suivre un modèle similaire pour cette nouvelle mission. En outre, il semble que cette nouvelle mission n'aura pas une présence prolongée sur place, contrairement à la mission de 1988 qui était restée sur le terrain pendant plusieurs semaines. C'est un peu léger, en somme. Édouard Philippe, lorsqu'il était Premier ministre, s'était beaucoup impliqué dans le dossier calédonien, veillant à ce que les référendums de 2018 et 2020 se déroulent dans les meilleures conditions possibles. Il a toujours cherché à établir un climat de confiance et de dialogue entre les trois parties. Il avait même appelé à la mise en place d'une telle mission, comme les indépendantistes le demandaient depuis plusieurs mois. Apparemment, Emmanuel Macron ne veut pas donner à Édouard Philippe, ni à Manuel Valls et à Jean-Marc Ayrault, qui ont également plaidé pour une mission de dialogue, l'opportunité de retirer un quelconque bénéfice politique qui pourrait diminuer son pouvoir personnel. Il semble qu’Emmanuel Macron ne veut pas non plus que quelqu'un d'autre apparaisse comme un constructeur de paix et générateur de solutions, ce qui est très dommageable pour la Nouvelle-Calédonie.

Est-ce que, selon vous, cela s’apparente à un geste d'apaisement qui est opportun dans le cadre des négociations ou est-ce que cela est le signe de la faiblesse de l'Etat qui n'arrive pas à imposer la légalité républicaine ?

Max-Erwann Gastineau : Les manifestations kanaks ont très violentes, entrainant la mort de policiers. L’Etat tente donc de trouver une voie de sortie. La proposition du président de la République de ne pas passer en force concernant le projet de réforme du corps électoral en est une. Elle vise à apaiser la situation, à quelques encablures des Jeux olympiques qui nécessiteront, rappelons-le, une mobilisation inédite des forces de l’ordre pour un évènement sportif.

Mais cela est aussi, évidemment, le signe d'une grande fragilité. Paris a cru qu'après la mise en œuvre des trois référendums, consécutifs aux accords de Nouméa, la question néocalédonienne serait derrière nous. C'est une erreur. Toute décision forte, quand bien même est-elle légale, suppose, pour être durable, une légitimité toute aussi forte. Or, cette dernière fait défaut en Nouvelle-Calédonie, comme dans tous lieux où le double corps de la nation, le corps physique - incarné par l’Etat, ses agents, ses institutions -, le corps spirituel - incarné par le sentiment d’appartenance à la nation, ses déclinaisons morales et culturelles -, est questionné. Une partie non-négligeable de la population néo-calédonienne n'a pas l'intention de respecter les décisions de l’Etat central, quand bien même seraient-elles légales, légitimes au seul regard du droit.

Au fond, Paris fait face à deux crises majeures. Il y a une crise identitaire. Que signifie être Français, de la Nouvelle-Calédonie à la Guyane en passant par la métropole ? Le récit national n’inclut pas suffisamment les outre-mers, la dimension maritime de notre histoire, notre présence sur cinq continents, atout pourtant majeur de la puissance française.

Il y a aussi une crise économique, un décrochage commercial et industriel incarnés, nous l’évoquions, par les déboires de la filière nickel, qui fait face à une concurrence internationale accrue (Indonésie) et à des hausses de coûts de l'énergie rédhibitoires. Alors que l’importance stratégique de ces minerais pour la transition énergétique et la réindustrialisation du pays ne font pas débat, l'Etat français peine à créer le cadre économique propice au décollage de la filière nickel. Cet échec est le sien et il est aussi en toile de fond des tensions qui se font jour à Nouméa.

Plus globalement, quel bilan faire de cette visite ?

Max-Erwann Gastineau : Le report du dégel du corps électoral permet à l’Etat de se donner un peu de temps. Mais il ne peut y avoir d’échappatoire en la matière. A force de reculer, je crains que, comme le dit Benjamin Morel, on s’enferme dans un processus de « décolonisation sans fin ». Ce qui nous renvoie à l’énoncé précédent. L'Etat, en dehors de la mise en œuvre des trois référendums prévus dans le cadre des accords de Nouméa, n'a pas véritablement de stratégie de reconquête de ce territoire français. L’exécutif met en avant les ingérences étrangères, venant en soutien de la cause indépendantiste. Ces dernières existent, produisent leurs effets sur le terrain informationnel, en reliant les revendications kanakes à un discours anticolonial déstabilisateurs pour l’Occident et ses prétentions morales, universalistes. Mais elles n'inventent pas les fractures qui secouent Nouméa. Elles ne font que les appuyer, exposant les coins que nos propres errances enfoncent.

La France doit entrer dans l’arène, accepter le monde tel qu’il est, fait de rapports entre acteurs étatiques et non-étatiques (ONG, associations), dont les outils d’influence dépassent de loin les moteurs classiques (militaire, économique) de la puissance. Elle doit contre-attaquer. La Nouvelle-Calédonie n’est pas une colonie, mais est un territoire constitué de citoyens français et qui ont voté à trois reprises pour le rester. Le gouvernement a ainsi raison de le dire et de nommer les puissances étrangères qui le nient. Le rôle de l’Azerbaïdjan, qui reproche à Paris son soutien politique et militaire au voisin arménien, n’est pas neutre. En 2008, l’Etat caucasien lançait le processus de Bakou visant à « établir un dialogue effectif et efficace entre les cultures et les civilisationnels ». Ce processus a préfacé le lancement du Groupe d’initiative de Bakou, ONG dénonçant le « colonialisme français », appuyant divers mouvements indépendantistes, y compris dans nos Antilles. Il rejoint un discours inter-civilisationnel, très en vogue dans le Sud global, porté notamment par la Chine et la Russie, qui met en avant la coopération entre les peuples, le respect mutuel pour les traditions culturelles et politiques de chacun. Il fait corps avec un processus de désoccidentalisation du monde, des références et des idéaux, visant la fin de l'hégémonie occidentale, renvoyant l’ « Occident collectif » dans ses limites historiques (atlantiques). La force de ce discours est qu’il renforce l’aspiration de peuples jadis dominés, aspirant à prendre leur essor, toute la place que leur ascension objective (démographique, économique, culturelle) légitime.

Au lieu de s’indigner d’un tel discours, l’urgence est d’y répondre. L’Occident a perdu le monopole de la puissance. Se faire le pieux défenseur du droit international et des valeurs démocratiques ne suffit plus. L’urgence est de construire un contre-récit, afin de réduire les angles d’attaque. Recep Tayyip Erdogan use de ce même discours « anticolonial » pour s’adresser à nos banlieues islamisées, conforter le sentiment victimaire qui les anime, politiser les mémoires blessées et ainsi neutraliser (moralement, politiquement, techniquement) le nécessaire sursaut de l’Etat français.

Nathalie Mrgudovic :Emmanuel Macron dit qu'il est venu pour dialoguer, écouter et reconstruire. Bon, certes, il a dialogué. Est-ce qu'il a écouté ? Je l'espère, je n'en sais rien. Est-ce qu'il va permettre de reconstruire ? On verra ça dans quelques semaines ou peut-être quelques jours, mais pour le moment, l'État va contribuer à la reconstruction en débloquant des financements pour les bâtiments publics endommagés, pour aider les commerçants, à reconstruire leurs magasins, etc. Donc s'il s'agit de reconstruire dans ce sens-là, oui, il va permettre la reconstruction des bâtiments. Mais je pense que reconstruire un climat de confiance, c'est une autre affaire. À mon avis, ce n'est pas encore pour tout de suite. Il dit que si un "accord global" est atteint, alors il n'y aura plus besoin de réformer la Constitution pour le moment, même si cette réforme aura lieu avec le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie. Donc il appelle à un accord global, c'est-à-dire le prochain statut de la Nouvelle-Calédonie. Il a énuméré tous les points qu'il souhaite voir couvert par cet accord global. Il veut qu'il règle la question de l'élargissement du corps électoral. Il veut qu'il aborde également l'organisation du pouvoir en Nouvelle-Calédonie. Il souhaite que cet accord global traite de la distribution des sièges. Je suppose qu'il fait référence à la distribution des sièges au Congrès de Nouvelle-Calédonie, c'est-à-dire, soyons clairs, la redistribution du pouvoir en Nouvelle-Calédonie. Il veut que cet accord global traite de la citoyenneté. (Rappelons en effet que la Nouvelle-Calédonie a cette unique caractéristique de présenter deux citoyennetés en France, pierre d'achoppement actuelle). Il espère que cet accord global mettra en place un nouveau contrat social pour réduire les inégalités socio-économiques en Nouvelle-Calédonie. Il souhaite qu'y soit pris en considération l'avenir de l'économie, en particulier la diversification. Il est conscient que le nickel ne peut pas être la seule source de revenus à long terme et qu'il est nécessaire de mettre en place des mesures à court, moyen et long terme pour ce secteur. Enfin, il veut que la question du vote d'autodétermination y soit abordée. Il souhaite que les Calédoniens puissent voter sur cet accord global au plus vite. À mon avis, il va falloir beaucoup de temps avant d'atteindre ce nouveau statut car les conditions idéales sont encore très loin d'être réunies.

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