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Déconfinement : rouvrir l’économie suffira-t-il à la sauver... ?
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Dilemme

Alors que le déconfinement devrait débuter le 11 mai prochain, les entreprises sont durement touchées par la crise économique liée au Covid-19. Quel est l'état des lieux de la situation et quels sont les domaines de l'économie qui pourraient facilement être relancés lors de la phase du déconfinement ? Qui va s'en sortir ? Qui va le plus souffrir ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Emmanuel Jessua

Emmanuel Jessua

Emmanuel Jessua est économiste, directeur des études de Rexecode.

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Atlantico.fr : Si on analyse l'économie française secteur par secteur, si l'on pondère ces données en fonction de leur poids par rapport au PIB et au nombre d'emplois, quel est l'état des lieux de la situation ?

Michel Ruimy : Dans l’ensemble, l’horizon est bien sombre. L’INSEE a estimé, pour l’instant, que les mesures du confinement pour lutter contre le coronavirus entraînent une perte d’activité de plus du tiers du Produit intérieur brut (36%). Aussi spectaculaire que soit ce chiffre, il ne nous dit rien de la suite de l’histoire. Le décrochage pourrait être de 25% ou de 45%. La dynamique qui s’enclenche à partir de ce choc sur le restant de l’année sera décisive. Plus la période de confinement se sera prolongée, plus les chaînes de valeur dans certaines filières mettront du temps à se réorganiser, plus les activités dans certains services aux entreprises seront durablement pénalisées. 

La crise sanitaire ébranle avec une relative même ampleur et de façon synchrone tant l’industrie que les services, ce qui en fait un événement totalement inédit, avec un pouvoir déstabilisateur inégalé sur l’activité.
Côté production physique, la filière automobile (4 000 entreprises industrielles ; 400 000 salariés), le BTP et la construction (1,5 million d’actifs soit 7% environ de la population active ; 8% du Produit intérieur brut) sont en première ligne. Le secteur automobile avec une baisse de 72% des ventes de voitures neuves en mars en France et quasiment aucune vente en avril, est à l’arrêt. Les garages ont maintenu les opérations d’entretien et de réparation, mais très partiellement : l’activité a fléchi de 80%. De même, la crise sanitaire a fait s’effondrer de 75% l’activité de la construction. Pour le bâtiment, il faut remonter au 2ème trimestre 1968, marqué par les évènements du mois de mai, pour retrouver une baisse trimestrielle de l’activité du même ordre de grandeur.

Côté services, l’impact le plus important concerne les secteurs de l’hébergement, la restauration, les services aux ménages (récréatifs, loisir, soins…), l’intérim qui devient la première variable d’ajustement, sont à l’arrêt ou quasi-arrêt. Le retour à la normale prendra du temps car une partie de la demande finale est perdue. Les effets collatéraux sur les autres secteurs sont de forte ampleur. Ces secteurs représentent, à eux seuls, près de 30% des entreprises du secteur marchand (hors agriculture). Près de 40% des entreprises de restauration pourraient ne pas rouvrir leurs portes, post-déconfinement. 

Le monde de la culture (3% du PIB et 700 000 emplois au sens large) est en difficulté et celui du spectacle et du cinéma, en grande souffrance. Les lieux culturels se retrouvent désertés et beaucoup de représentations sont annulées. Cette situation risque de perdurer tant que les Français craindront d’être contaminés dans ces lieux publics. 

Le gouvernement veut éviter que l’économie française soit à l'arrêt complet mais ne souhaite pas pour autant établir formellement une liste des secteurs économiques « essentiels ». Il faudra tirer les leçons de cette crise en matière d’autonomie / indépendance dans un certain nombre de domaines industriels. Son chef sait toutefois, comme l’avait dit l’un de ses prédécesseurs en 1999, Lionel Jospin, lors de la fermeture de l’usine Renault Vilvorde, que « l’État ne peut pas tout » … 

Emmanuel Jessua : Nous distinguons trois grandes catégories de secteurs : 

1) Les secteurs dont la consommation finale est indispensable en période de confinement. Il s’agit de la consommation de (i) services de santé et médicaments (activités de santé, hébergement médico-social, industrie pharmaceutique), (ii) de produits alimentaires (commerce de détail), (iii) énergie-eau (extraction, électricité, déchets…), des services de télécommunications. La production de ces biens et services essentiels mobilise également plusieurs secteurs amont : agriculture et agro-alimentaire, commerce de gros, transports de marchandises, entreposage, emballage (papier-carton, plasturgie), chimie. 
Pour ces secteurs, nous estimons que le travail sur site représente plus de 40% des heures habituellement travaillées (à l’exception des services de télécommunication pour lesquels une partie importante du travail peut être réalisée à distance). 

2) Les secteurs pour lesquels l’activité s’effondre en raison du confinement, en particulier les autres secteurs industriels, pour lesquels l’essentiel des tâches ne peut s’effectuer à distance des sites de production : automobile, textile, électronique, machines et équipements, meubles… On suppose qu’au moins deux tiers des effectifs sont au chômage technique pendant le confinement. Certains secteurs industriels doivent toutefois maintenir une activité minimale. C’est notamment le cas de la métallurgie, pour laquelle il n’est pas possible de fermer les hauts fourneaux. Sont également quasiment à l’arrêt les secteurs directement liés aux sorties : hébergement et restauration, arts-spectacle et activités récréatives. Il en est de même de la construction, avec un gel d’une très grande majorité des chantiers et des projets.

3) Les secteurs pour lesquels l’activité le télétravail est possible

De nombreux secteurs des services, en particulier les services aux entreprises (conseil, services financiers, services juridiques et administratifs…), peuvent maintenir l’essentiel de leur activité en mobilisant leurs salariés à distance. Dans ces secteurs, on suppose que plus de la moitié des salariés peuvent ainsi continuer à travailler depuis leur domicile pendant la période de confinement. Ce taux est particulièrement élevé dans l’administration publique et l’enseignement. 

Au total, dans la période actuelle de confinement strict, sur l’ensemble de l’économie, 29% des heures habituellement travaillées seraient maintenues sur site, 37% seraient effectuées à distance depuis le domicile et 34% seraient chômées. S’agissant des seuls secteurs marchands, ces proportions seraient respectivement de 25%, 30% et 45%. Cela se traduirait par une perte instantanée d’activité de 45% dans les branches marchandes. 

Quels domaines de l'économie pourraient facilement être relancés au sortir du confinement ? Lesquels au contraire seront dans une profonde difficulté ? ( en pondérant avec leur poids par rapport au PIB et au nombre d'emplois )

Michel Ruimy : La situation de leurs clients, petits et grands, va se répercuter sur les industriels. 

Dans l’aéronautique, les compagnies aériennes, quasiment à l’arrêt, s’orientent déjà vers des reports et des annulations de commandes. Avec le rétablissement des frontières et la crainte des personnes de se voir mises en quarantaine à l’étranger, les secteurs aérien, du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration seront perturbés pour un temps long, au-delà du confinement. 

Pour les biens durables comme l’automobile, les ménages, aux revenus dégradés ou inquiets de leur avenir, vont repousser leurs achats ou s’orienter vers des modèles moins onéreux. 

La situation actuelle du secteur du divertissement (entertainment) risque de perdurer tant que les Français craindront d’être contaminés dans les lieux publics. 

Le BTP et la construction (gros-œuvre comme second œuvre) sont moins touchés par un effondrement de la demande que par un choc de l’offre lié à la difficulté de mettre en œuvre les mesures sanitaires. Un chantier est évolutif et moins facile à aménager qu’une ligne de production fixe. 

Cependant, si certaines activités sont presque à l’arrêt, d’autres, comme l’industrie agroalimentaire, maintiennent un niveau relativement proche de la normale. Les biens de grande consommation (produits achetés fréquemment et à un prix relativement bas) peuvent espérer un effet rebond plus marqué et le commerce électronique, voir la crise comme une opportunité. 

La reprise sera aussi celui du temps long, d’une industrie un peu différente. Il faut que celle-ci se prépare à un niveau supérieur de digitalisation de sa chaîne de production pour une meilleure réactivité en cas de crise et à une prégnance plus forte des canaux de distribution numérique, y compris dans le « B to B ». La montée du commerce en ligne va impliquer de revoir l’outil industriel, logistique et commercial. La production de grande série en Asie, avec huit semaines de transport par bateau ensuite, va devenir compliquée. Une chose est relativement certaine : les industriels qui redémarreront le plus vite prendront des parts de marché.

Emmanuel Jessua : Le déconfinement sera graduel et différencié selon les secteurs. Le taux de faillites sera également très hétérogène entre secteurs. Nous supposons que la fin du confinement strict à partir du 11 mai se traduira par (i) une reprise totale du travail dans les secteurs déjà proches de la pleine activité (agro-alimentaire, santé, télécommunications, énergie…), (ii) une reprise graduelle qui deviendrait totale aux alentours de mi-juillet (le temps d’assurer des conditions de travail aux nouvelles normes sanitaires) pour l’essentiel des autres secteurs, (iii) une reprise beaucoup plus lente – qui se prolongerait jusqu’à mi-septembre - pour les secteurs liés au tourisme et aux sorties (hébergement-restauration, transport aérien, arts et spectacle). Nous faisons en outre l’hypothèse que le taux de faillite (part des salariés concernés par une faillite) serait nul dans la première catégorie de secteurs, de 2% dans la deuxième et de 15% dans la troisième.  

Sous ces hypothèses, la contrainte apportée par le confinement sur les capacités de production entrainerait une perte de 9,2 points de PIB. L’ensemble des secteurs marchands enregistrerait une perte globale de 11,5 points de valeur ajoutée en 2020. 

Pour le seul 2e trimestre 2020, le confinement aurait un impact de -25,5 points de PIB sur l’ensemble de l’économie et -31,6% sur l’activité des branches marchandes.

Comment anticiper sur ces difficultés économiques afin de sortir de la crise sanitaire par le haut ?

Michel Ruimy : Combien de temps faudra-t-il pour que l’activité des entreprises redevienne « normale » ? Et ce « normal » sera-t-il différent ? Pour y répondre, il convient d’une part, de considérer plusieurs horizons temporels et d’autre part, d’envisager le calibrage de l’outil de production et la réouverture des lignes. Cette période pourrait durer de 9 à 15 mois sauf si un vaccin ou un traitement est découvert avant, et durant laquelle nous devrons vivre en conditions dégradées avec le Covid-19. Enfin, il conviendra de synchroniser la demande des clients et la capacité productive des fournisseurs et s’assurer que tout peut repartir sans goulot d’étranglement sur les chaînes logistiques.

Néanmoins, nous sommes au temps des pompiers, pas encore à celui des architectes. La reprise est conditionnée à trois paramètres : la confiance des ménages, la solvabilité des entreprises et la soutenabilité de la dette publique et le traitement de celle « héritée de la crise ».

Concernant les ménages, qui sont en situation d’épargne forcée - environ 20 à 30% de leurs revenus -, il s’agira de convertir rapidement cette réserve, en consommation et donc en croissance, avant qu’elle ne devienne une épargne de précaution. Pour cela, il faut restaurer la confiance dans les perspectives de l’économie. 

Concernant les entreprises, le premier facteur à prendre en compte sont les conditions de travail - là où la sécurité peut être assurée - afin de maintenir la productivité. Un protocole de fin de confinement dans chaque entreprise doit être élaboré pour définir des conditions optimales de sécurité pour les salariés. La confiance et le dialogue avec les partenaires sociaux en sont la clé. Puis, il convient de connaître les maillons de la chaîne de production où l’impact est le plus grand c’est-à-dire déterminer les secteurs en amont qui fournissent les secteurs en aval. S’ils ne redémarrent pas, ils entraveront la reprise des entreprises. Cette interdépendance impose de relancer l’activité, non pas de manière complètement coordonnée, mais de façon non contradictoire. Ensuite se posera la question de connaître les secteurs dans lesquels il y a le plus de firmes en difficultés financières. La crise pourrait s’avérer fatale pour certains d’entre elles. La dette globale des entreprises s’est déjà fortement accrue : +2% en mars soit 37 milliards ! Ceci pourrait amener le gouvernement à prendre de nouvelles mesures de soutien, notamment en leur donnant les moyens de renforcer leurs fonds propres. 

Mais il conviendrait aussi de poser les bases d’une coordination européenne aux entreprises pour éviter les distorsions de concurrence car il y a une forte probabilité que les pays à fort potentiel financier, comme l’Allemagne qui a mobilisé près de 10% de son Produit intérieur brut contre 5% en France, aident davantage leurs entreprises que les autres pays et que les Etats, les plus faibles, soient encore plus pénalisés. C’est pourquoi, concernant la dette « héritée de la crise », au vu de la situation existante, l’idée française de créer un fonds européen mutualisant de nouveaux programmes d’investissements est intéressante. Elle faciliterait la répartition des futurs investissements à l’échelon communautaire afin de relancer l’économie.

Emmanuel Jessua : Le gouvernement a utilisé les bons leviers avec le plan d’urgence, en permettant aux entreprises de survivre en période de sous/non-activité avec le report d’échéances fiscales et sociales, le fonds de solidarité pour les indépendants et les prêt garantis par l’Etat, ainsi que par le dispositif d’activité partielle qui permet aux salariés de conserver leur emploi et 84% de leur salaire. 

Ce plan pourrait coûter près de 50 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter près de 140 milliards d’euros de moindres rentrées fiscales en raison de la récession. Nous anticipons donc un creusement du déficit public à 10,7% du PIB en 2020, avec un retour vers 6% en 2021. Nous ne disposons donc pas de marges de manœuvre budgétaires supplémentaires significatives. Le soutien budgétaire devra donc être rapidement ciblé vers les secteurs les plus en difficulté, en particulier ceux les plus touchés par le confinement (restauration, tourisme, spectacle...) et par la récession (certains secteurs industriels notamment).  

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