De l’utilisation subtile des deniers publics : le pouvoir d’achat ou le devoir de rachat de la classe politique auprès des Français <!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Marc Daniel publie « Vivement le libéralisme ! L'actualité économique décryptée » aux éditions Tallandier.
Jean-Marc Daniel publie « Vivement le libéralisme ! L'actualité économique décryptée » aux éditions Tallandier.
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Marc Daniel publie « Vivement le libéralisme ! L'actualité économique décryptée » aux éditions Tallandier. Entre 2015 et 2022, l’actualité économique a été riche en rebondissements. Elle fut dominée par la rupture politique de l’élection présidentielle américaine de 2016 et celle de l’élection française de 2017, par le Brexit, par le choc imprévisible de la crise de la Covid-19, et par la guerre en Ukraine. Extrait 1/2.

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel est professeur à l'ESCP-Europe, et responsable de l’enseignement de l'économie aux élèves-ingénieurs du Corps des mines. Il est également directeur de la revue Sociétal, la revue de l’Institut de l’entreprise, et auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie, en particulier américaine.

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La dépense publique n’est ni un bien ni un mal en soi. Elle doit simplement obéir à un double objectif : financer des services souhaités par la population ; assurer la pérennité du contrat social en venant en aide aux plus défavorisés.

Pouvoir d’achat ou devoir de rachat

(novembre 2018)

Pour Emmanuel Macron, dont la popularité est désormais au plus bas, un moyen de retour en grâce, de rachat, est l’augmentation du pouvoir d’achat des Français. C’est d’autant plus logique que le but de l’économie est la consommation et donc le pouvoir d’achat de la population. Le problème pour lui tient à la possibilité qu’il a, en tant que dirigeant politique, de réaliser cet objectif.

Pendant la campagne présidentielle de 2007, interrogé par L’Express sur un éventuel « coup de pouce » en faveur du Smic, Nicolas Sarkozy répondait :

Le coup de pouce, je le donnerai à tous les salaires, pas au Smic, qui concerne 17 % des salariés. Ceux qui en proposent l’augmentation sont ceux qui se satisfont de la rigueur salariale et du tassement des grilles. Je veux être le président du pouvoir d’achat.

Cinq ans plus tard, en janvier 2012, lors de la campagne présidentielle suivante, Arnaud Montebourg écrivait sur Twitter : « Xavier Niel vient de faire avec son nouveau forfait illimité plus pour le pouvoir d’achat des Français que Nicolas Sarkozy en cinq ans. »

Derrière le caractère polémique de ce propos politique se trouve une vérité économique incontestable : par-delà les déclarations solennelles, le pouvoir d’achat échappe assez largement aux décideurs politiques. Il traduit en effet avant tout l’efficacité de l’appareil productif, c’est-à-dire l’évolution de la productivité globale des facteurs. La mesure concrète de cette évolution passe par celle de la croissance. Pour vérifier cela, il suffit de se reporter aux séries longues de pouvoir d’achat établies par l’Insee. En 1962, au cœur des Trente Glorieuses, il a augmenté de 10,2 % ; en 1972, à la veille du choc pétrolier, cette hausse était encore de 5,6 %. En 2002, elle n’était plus que de 3 % et, en 2012, le pouvoir d’achat a reculé de 0,4 %. Les gains de pouvoir d’achat se sont amenuisés du fait d’une croissance de long terme, d’une « croissance potentielle », selon l’expression consacrée, de moins en moins élevée. En outre, ces gains sont touchés par la conjoncture, se redressant dans les périodes favorables du cycle comme en 1990, 1999 ou 2007 et subissant les contrecoups des ralentissements conjoncturels.

Certes, la façon de distribuer/redistribuer les revenus a un rôle non négligeable, mais il ne faut pas se tromper sur elle. La caractéristique de la redistribution est, par définition, de prendre aux uns pour donner aux autres. Baisser les impôts tout en préservant les finances publiques revient à prendre grosso modo aux fonctionnaires pour favoriser les contribuables. Baisser les impôts sans toucher à la dépense revient à prendre aux contribuables de demain pour favoriser ceux d’aujourd’hui. Par exemple, en 2009, malgré la récession, le pouvoir d’achat a augmenté de 1,7 %, mais au prix d’une explosion du déficit budgétaire qui est passé en deux ans, de 2007 à 2009, de 2,6 % du PIB à 7,2 %. Si la concurrence à des effets positifs, puisque c’est en mettant l’épée de cette concurrence dans les reins des autres opérateurs téléphoniques que Xavier Niel a obtenu le résultat vanté par Arnaud Montebourg, elle joue également un rôle de redistribution. D’ailleurs, ce même Arnaud Montebourg, devenu ministre du « Redressement productif », en faisait le constat, passant vis-à-vis de Xavier Niel des louanges aux reproches. Il l’accusait en effet de pousser par son agressivité tarifaire les entreprises du secteur des télécommunications à supprimer des emplois et à alimenter ainsi le chômage. En outre, une partie de la redistribution, essentiellement géographique, échappe à la politique économique nationale. Si le pouvoir d’achat a reculé en 2012, c’est notamment parce que la facture énergétique a atteint cette année-là 69  milliards d’euros, portant en avril le prix du sans-plomb 98 à 1,71 euro (il tourne aujourd’hui autour de 1,50 euro).

Ceci étant posé, que pouvons-nous suggérer à Emmanuel Macron alors même que les circonstances ne sont guère favorables ?

En effet, la facture énergétique s’alourdit. Elle est grimpée de 32 milliards d’euros en 2016 à 40 milliards d’euros en 2017 et à 22,2 milliards d’euros au premier semestre de 2018, conduisant à anticiper une facture sur l’année de 45 milliards d’euros. Simultanément, le retournement conjoncturel est à l’œuvre et la croissance ralentit.

Qu’il nous soit dès lors permis de lui proposer trois directions.

D’abord, en toute première priorité, il lui faut éviter la facilité consistant à faire porter à la génération future le coût de sa reconquête de l’opinion. Baisser sans accompagnement les impôts sur les carburants laisserait à celle-ci le double fardeau d’une dette financière et d’une dette écologique accrues.

Ensuite, en matière de redistribution, il lui faut utiliser au maximum la concurrence. Depuis les écrits de David Ricardo au début du XIXe  siècle, on sait que les perdants de la concurrence sont ceux qui disposent d’une rente, c’està-dire de la possibilité de bénéficier de revenus supérieurs à leur contribution à la création de richesse. La volonté de réduire les rentes, qui sous-tendait la loi Macron de 2015 et qui sous-tend en partie la loi Pacte en cours de discussion, doit être abondamment mobilisée.

Enfin, il lui faut répondre à l’exaspération fiscale. Cela suppose de revenir en arrière non pas sur la taxation du carbone, mais sur les impôts généralistes, tout en évitant de creuser le déficit. Cela impose de réduire la dépense publique en centrant cette réduction sur la suppression des rentes publiques, c’est-à-dire de tous les statuts, rigidités, protections qui font que cette dépense est si élevée.

Post-scriptum

À la veille de l’élection présidentielle de 2022, le maintien du pouvoir d’achat reste l’une des principales préoccupations des Français. Il s’était maintenu en 2020 (+ 0,4 %), malgré la crise sanitaire, grâce aux décisions prises par le gouvernement. Mais la hausse fulgurante des prix de l’énergie enclenchée en 2021 inquiète. Les pouvoirs publics multiplient les mesures pour atténuer la facture du consommateur. Qu’il s’agisse du chèque énergie, du gel du prix du gaz –  un coût pour les finances publiques, l’État s’étant engagé à compenser le manque à gagner des fournisseurs de gaz  –, de la demande faite à EDF d’augmenter le volume d’électricité nucléaire vendu à prix réduit, de la revalorisation du barème kilométrique.

Extrait du livre de Jean-Marc Daniel, « Vivement le libéralisme ! L'actualité économique décryptée », publié aux éditions Tallandier

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