De « l’empire libéral » à « l’empire autoritaire » ? Quand le macronisme a un gros problème avec la liberté des médias<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Stéphane Séjourné, ancien conseiller politique du président, arrive pour une réunion à l'Elysée le 15 février 2019.
Stéphane Séjourné, ancien conseiller politique du président, arrive pour une réunion à l'Elysée le 15 février 2019.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Temps de parole

Stéphane Séjourné, député européen LREM et conseiller d'Emmanuel Macron, a proposé de comptabiliser comme un temps de parole politique le temps de parole de certains éditorialistes ou invités, comme Eric Zemmour sur CNews. Que révèle cette prise de position sur la nature du macronisme ?

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
Voir la bio »

Atlantico : Stéphane Séjourné, le conseiller politique d’Emmanuel Macron, a appelé à décompter le temps de parole des éditorialistes les plus engagés tout en considérant que CNews œuvrait à l’abaissement du débat politique. CNews est pourtant une chaîne au financement 100% privé et que personne n’est forcé de regarder… Dans le même temps, le déficit de diversité idéologique sur le service public, lui, ne choque personne et on a vu les journalistes de France Televisions s’inquiéter récemment de la nomination d’un journaliste réputé proche du président comme chef du service politique de France 2, là encore sans réaction. Stéphane Sejourné étant l’un des conseillers les plus proches du président de la République, que révèle cette sortie sur la nature du macronisme ?

Christophe de Voogd : Stéphane Séjourné pose d’abord un constat que l’on peut partager : le triomphe de l’opinion sur l’information par l’éditorialisation généralisée des contenus, l’hystérisation et l’affaissement du débat public. Mais accabler CNews de ces dérives est plus qu’injuste quand on regarde de près le contenu et les invités de cette chaîne et qu’on la compare à d’autres, notamment au service public ou à C8 : l’hystérisation me paraît plus présente chez le très « Macron-compatible » Cyril Hanouna ou les humoristes woke de France inter. Quant à « l’affaissement du débat public », est-on le mieux placé pour la dénoncer depuis un Elysée transformé en aire de jeu pour les youtubeurs Macfly et Carlito ?

À Lire Aussi

Le macronisme peut-il survivre à la transformation d’Emmanuel Macron en candidat normal ? 

Sur le fond, ces propos posent deux questions, dont on ne sait laquelle est la plus préoccupante : d’une part, celle de leur contenu même, qui flirte avec le liberticide, dans la mesure où ce conseiller important du Président ne propose rien moins que le contrôle de la parole journalistique et de la ligne éditoriale de certains médias ; d’autre part, la rareté ou la modestie surprenante des réactions, aussi bien politiques que médiatiques, à cette menace sur la liberté d’expression. J’appliquerais volontiers à cette situation ce que j’appelle « le test de la symétrie » : imaginons une seconde les réactions, si un conseiller de Nicolas Sarkozy avait tenu, il y a dix ans, seulement la moitié de tels propos !

J’observe notamment que, dans l’opposition, seul David Lisnard s’est exprimé vite et fort sur cet incident, ce qui en dit long sur l’état d’une droite qui semble avoir oublié une valeur décisive dans son combat contre une gauche sectaire et un pouvoir autoritaire.

Or Stéphane Séjourné se trouve précisément à la croisée des deux : originaire de l’UNEF et du PS, il incarne la gauche du macronisme ; et il y a bien dans ce dernier une tentation autoritaire, qui en est un aspect souvent négligé - je passe évidemment sur les caricatures de LFI, bien prompte à dénoncer une « dictature », qui est pourtant son modèle politique quand il s’agit d’autres pays. Il faut donc rompre avec le contre-sens, courant encore chez LFI, à gauche en général, mais aussi au RN, et même dans certains rangs de LR, qui voit dans le macronisme un « néo »/« ultra » libéralisme.

À Lire Aussi

Présidentielle 2022 : Emmanuel Macron en marche vers la liquidation du macronisme ?

Dès le printemps 2017, j’avais signalé dans vos colonnes la véritable inspiration idéologique d’Emmanuel Macron, qui est le saint-simonisme. Or pour Saint-Simon les choses sont claires : « le maintien des libertés individuelles ne peut être le but du contrat social ». Pouvoir des experts, le saint-simonisme est l’idéologie dominante des élites françaises de l’ancien comme du « nouveau monde ».  « Je sais » est significativement l’un des tics langagiers du Président comme vient de le montrer une étude de sa rhétorique. Or, s’il « sait », que reste-t-il à débattre ? Les médias sont donc priés de relayer l’information venue d’en haut. D’où la politique de nominations aux postes clefs dans l’audiovisuel public, à laquelle vous faites allusion. A quoi s’ajoute la volonté de contrôler les réseaux sociaux à travers la loi Avia et la reprise de multiples dispositions de l’état d’urgence dans la loi ordinaire depuis 2017. Enfin, l’énorme accroissement de l’intervention étatique à la faveur de la crise sanitaire ouvre un boulevard et des moyens inédits à cette tentation autoritaire. Tout cela dresse un tableau troublant où la liberté risque fort de devenir la variable d’ajustement aux nécessités du pouvoir. Certes, notamment dans le domaine économique, saint-simonisme et libéralisme se rejoignent souvent autour de l’idée de libre circulation et de libre production - d’où l’attraction de Macron sur une partie de la droite - mais à partir d’une philosophie radicalement différente : liberté individuelle chez les libéraux, création et répartition des richesses chez les saint-simoniens.

À Lire Aussi

Secrets de fabrication : ce qu’Emmanuel Macron dissimule de la réalité du macronisme derrière sa stratégie de communication tous azimuts

De sorte que l’on peut se demander si, à la faveur du contexte d’urgence sur tous les plans qui va dominer les années à venir, le macronisme ne pourrait pas, notamment à la faveur d’un second mandat, suivre le cours inverse du régime de Napoléon III, autre grand saint-simonien devant l’histoire : cette fois-ci, c’est l’empire autoritaire qui pourrait bien succéder à l’empire libéral…

Il y a quelques jours, le conseil de déontologie journalistique et de médiation a épinglé Patrick Cohen et Jean-Michel Apathie pour des chroniques qui selon, lui, aurait manqué d’objectivité, là où les deux éditorialistes concernés étaient avant tout autre chose dans l’expression d’une opinion suite à l’assassinat de Samuel Paty. Le CSA a pour sa part imposé une amende à CNEws pour des propos d’Eric Zemmour qui avaient pourtant été recadrés sur le champ par Christine Kelly et corrigés par le polémiste lui-même. Assistons-nous à un raidissement institutionnel face à des propos qui échappent au moule idéologique du cœur des élites médiatiques et politiques ?

Dans ces affaires, c’est apparemment autre chose que la politique du pouvoir qui est en cause : il s’agit plus du diktat de la correction politique, qui est ultra-sensible à toute formulation un peu forte sur l’Islam ou l’immigration. Que deux porte-parole de cette correction politique, tous deux également très « Macron-compatibles », comme Patrick Cohen et surtout Jean-Michel Apathie, aient été victimes des foudres de la bien-pensance ne manque pas de sel, mais ne me surprend pas : en la matière, comme le montre le mouvement woke, on est toujours dépassé par plus « pur » que soi. Mais ces rappels à l’ordre montrent un phénomène de retournement intéressant : le macronisme est, sur le plan sociétal, des questions des mœurs à celle de l’immigration, indiscutablement du côté du « progressisme ». La loi sur la PMA, les multiples déclarations « déconstructionnistes » du président le montrent clairement. Toutefois devant la montée de l’insécurité physique et culturelle, le pouvoir est obligé de changer de discours et de faire, au moins en partie, au moins en paroles, droit aux préoccupations sécuritaires et identitaires : le mot « islamiste », longtemps tabou, ne l’est plus, et Gérald Darmanin est visiblement chargé de ce nouveau cours rhétorique. Mais cela entraîne des difficultés d’ajustement et des contradictions au sein même du discours présidentiel, capable le même jour de jouer la carte sécuritaire et de vouloir « déconstruire notre histoire ».

Quant à Eric Zemmour, c’est un autre cas : il est le diable incarné aux yeux de la correction politique et les feux croisés de la gauche et du macronisme lui sont réservés pour une raison simple : l’incapacité rhétorique des uns et des autres à l’affronter. D’où l’urgence de le proscrire, dans la plus pure inspiration de la cancel culture, si à la mode. A mon sens, c’est une erreur, car de nature à renforcer le pouvoir d’attraction de cet « astre noir » et à mettre en lumière le prurit autoritaire du pouvoir. De plus, la macronie, quoique globalement pauvre en talents rhétoriques, dispose de quelques voix brillantes, de Bruno Le Maire à Clément Beaune en passant par Gabriel Attal, sans compter bien sûr le « ténor » Eric Dupond-Moretti. Les prestations de « BLM », Attal et de Beaune sur « CNews la maudite » ont été très bonnes. De plus, l’examen précis du discours zemmourien montre qu’il n’est pas sans faille, notamment sur les sujets économiques et internationaux, pour ne rien dire de ses ficelles rhétoriques un peu trop visibles.

Indépendamment bien sûr de considérations liées au respect de la loi, y-a-t-il des situations où la liberté d’expression finirait par être un danger pour la démocratie, même dans le cas de propos qui ne tombent pas sous le coup de la loi ? L’affaire Mila -les harceleurs de la jeune fille sont jugés ces jours ci- a par exemple montré que certains comme Ségolène Royal où Cyril Hanouna avaient estimé dangereux les propos de la jeune femme pour la cohésion de la société française. 

L’affaire Mila est en effet complexe, dans la mesure où ses propos dépassaient les bornes, non pas de la correction politique, mais de la décence élémentaire, la common decency chère aux anglo-saxons - Orwell en a fait le pilier de sa pensée anti-totalitaire - sans laquelle il n’est pas de vie démocratique possible. Toutefois, je suis frappé par l’oubli systématique du contexte précis de ces propos dans les rappels qui sont faits actuellement de l’affaire : Mila, ne l’oublions pas, était harcelée avant de réagir. De plus, sa vidéo ne justifiait en rien les réactions ignobles de ses adversaires : le procès qui leur ai fait est salutaire et de nature à freiner le sentiment d’impunité totale qui règne sur la Toile. L’appel au meurtre et au viol sont dans tous les cas intolérables et tombent, eux sans discussion sous le coup de la loi. Je note l’incohérence qui consiste à condamner les propos de Mila et à trouver normale la commande d’un hymne pour l’équipe de France de football au rappeur Youssoufah, qui s’est illustré dans la haine de cette même France. Bref, nous n’en avons pas fini avec le « deux poids, deux mesures » dont je parlais plus haut, cette asymétrie fondamentale entre la parole autorisée et celle qui est interdite. C’est là le versant le moins avenant du « en même temps » et plus généralement, de l’idéologie médiatico-politique dominante.

Je pense justement que « la cohésion de la société française » gagnerait beaucoup au respect de l’équité élémentaire, dont la violation quotidienne ne fait précisément qu’exacerber frustrations et sentiment d’injustice dans une partie croissante de l’opinion et donc à « hystériser » le débat public, comme le regrette Stéphane Séjourné.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !