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Cyprien, Norman, Squeezie et l’entêtant problème du Youtube français
©REUTERS/Dado Ruvic

Millionnaires, et alors ?

Alors que certains Youtubeurs ne cessent de voir leurs revenus s'accroître, notamment via la publicité sur Internet, les pouvoirs publics français s'apprêtent une fois de plus à intervenir sur un marché qui n'en a pourtant pas besoin.

Hash H16

Hash H16

H16 tient le blog Hashtable.

Il tient à son anonymat. Tout juste sait-on, qu'à 37 ans, cet informaticien à l'humour acerbe habite en Belgique et travaille pour "une grosse boutique qui produit, gère et manipule beaucoup, beaucoup de documents".

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Le monde francophone des interwebs est en ébullition et les médias les plus branchouilles ne s’y sont pas trompés en relayant la nouvelle avec gourmandise : Cyprien, Norman et Squeezie deviennent multimillionnaires ! Vous ne savez pas qui sont ces trois personnes ? Ne paniquez pas, cela n’a rien d’anormal et rien qui ne se soigne rapidement.

Cyprien, Norman et Squeezie sont trois comédiens qui ont investi le média des jeunes, Youtube, pour faire profiter la communauté Internet de leurs talents comiques, en réalisant des vidéos plus ou moins inspirées, qui, de fil en aiguille, réussissent à rencontrer un public puisqu’elles sont régulièrement vues par des millions d’internautes.

D’années en années, et après, soyons-en sûr, d’âpres batailles pour trouver des idées, le temps pour réaliser leurs vidéos, des fonds pour l’achat du matériel et engager l’un ou l’autre talent supplémentaire, nos frétillants réalisateurs sont parvenus à fidéliser un public, et à générer de confortables revenus publicitaires autour de leurs productions.

Dans l’environnement français pas spécialement pro-entreprise, c’est, en soi, une véritable performance qui, il faut bien le dire, est nettement aidée par l’heureux décalage entre les lois, pondues par avalanches, et la technologie, qui offre de nouveaux espaces de libertés avant leur colonisation par des armées de sénateurs, députés et autres politiciens avides de taxes, de régulations et d’idées foireuses.

Bilan des courses : après avoir monté leur propre régie publicitaire, celle-ci se fait incorporer par Mixicom, elle-même rachetée dernièrement par Webedia. Si, au départ, nos jeunes talents investissent des sommes fort raisonnables (on parle de quelques milliers d’euros), le rachat revalorise nettement leurs parts : Cyprien a ainsi touché 6,6 millions d’euros, Norman 2,2 millions et Squeezie, 4 millions. Youpi, et tant mieux pour eux.

Là où l’affaire devient croquignolette et ne manquera pas de fournir des réactions intéressantes dans les prochains jours, c’est lorsqu’on apprend au travers de l’article de BFMTV consacré à leur réussite que nos jeunes talents ont fait preuve d’inventivité et d’entregent pour monter leur société et toucher cette coquette plus-value, leur évitant ainsi de se voir imposer à des tarifs prohibitifs.

Jugez plutôt avec l’exemple de Cyprien : il a réalisé une plus-value de 6,6 millions d’euros et s’il avait gardé ses actions à titre personnel, il aurait alors dû payer près de 4 millions d’euros d’impôts, ce qui donne une assez bonne idée de la voracité de l’État en la matière, et de la motivation logique à trouver tous les moyens possibles pour en diminuer l’appétit. Bien sûr, comptez sur certains pour voir dans ces procédés une méchante "panamisation" de leurs capitaux et dès lors, ne loupez pas leur lente montée de cris de jalousie qui ne manquera pas d’advenir.

youtube demotivator

Et si les thuriféraires de la ponction fiscale ne se font pas suffisamment entendre, d’autres sont déjà sur les rangs, avec des motivations différentes mais toujours un objectif similaire : empêcher durablement ceux qui réussissent de pouvoir vivre de leur art.

C’est le cas de la Direction générale de la répression des fraudes (DGCCRF), qui a reniflé chez les Youtubeurs une propension à faire du "placement produit", voire à rémunérer certaines de leurs interventions sur les réseaux sociaux ou dans des happenings trendy.

Eh oui, que voulez-vous : parler, sur Youtube, d’un produit, d’un jeu vidéo, d’une marque, c’est forcément suspect, c’est même, comme l’écrit Le Monde, en toutes lettres à l’encre de sa déontologie la plus pure, "un business trouble". L’internaute, en effet, est un petit mammifère fragile et stupide qui ne sait pas quand il est baladé par un Youtubeur veule et capitaliste, à la recherche compulsive du profit qu’il fera sur son dos en lui vantant un après-shampoing ou une soirée mousse dans une boîte à la mode. Dès lors, il faut - c’est certain ! - le protéger, ce que s’empressent de faire la DGCCRF et les journalistes lorsqu’ils rappellent les règles justement déontologiques qui devrait animer nos producteurs vidéogènes rigolos.

Maintenant, il faut aussi se résoudre à l’évidence : de même que Bercy n’arrive pas à tout confisquer, il est regrettablement envisageable que la DGCCRF n’arrive pas à épingler (ou pas suffisamment) nos Youtubeurs. Ce serait dommage.

Heureusement, il y a Marisol, et elle saura intervenir pour mettre le holà à ces activités vidéastes louches, n’en doutez pas. Elle a d’ailleurs déjà démontré son pouvoir de nuisance réaction en demandant à ce que soit interdite la diffusion de Recettes Pompettes. Il s’agit de vidéos dont l’idée de base consiste à faire réaliser une recette de cuisine à une célébrité quelconque en lui faisant ingérer une bonne quantité d’alcool en cours de route. Rigolade, cuite sévère et coupures aux couteaux de cuisine, certes, mais surtout, l’occasion, selon la ministre, de "laisser croire, en particulier aux jeunes, que l’ivresse serait un comportement anodin, voire valorisant".

Encore une fois, il faut tout faire pour protéger l’internaute - toujours aussi faible et stupide, semble-t-il - de ces abominables Youtubeurs divers et variés et surtout méchants, dont la morale douteuse, quand elle ne les pousse pas à leur vendre du Christophe Maé en loucedé en le passant en musique de fond en boucle dans leurs vidéos (grossière erreur, à mon avis), les autorise apparemment à rendre valorisant le fait d’être complètement bourré.

mangibougisme, programme nationale d'interdiction du fun

C’est étonnant, ne trouvez-vous pas, ce motif récurrent qui se précise à chaque intervention d’un pouvoir public lorsqu’on évoque Youtube ? Quand il ne s’agit pas de le taxer aussi sauvagement que possible, il s’agira d’en réguler aussi fermement que possible les us et coutumes, voire d’en interdire purement et simplement la diffusion parce que, c’est évident, tous ces gens savent bien mieux que les producteurs et les consommateurs ce qui est bon pour eux.

Certes, on avait déjà pu observer ce comportement dans d’autres domaines (en fait, dans à peu près tous les autres domaines), mais l’acharnement actuel concernant Youtube ne doit rien au hasard. Il s’avère que Youtube est un devenu comme un problème en France parce qu’il capte une part croissante de l’attention des jeunes et des moins jeunes qui, en contrepartie, regardent de moins en moins la télé, cette télé chérie de nos élites tant elle a l’avantage d’être bien plus facile à contrôler qu’un média où, finalement, tout le monde participe (a contrario, improvisez-vous chaîne de télé, pour rire).

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Pire : Youtube signifie implicitement que la vidéo peut être produite depuis n’importe où… Y compris hors de France, c’est-à-dire hors de ses juridictions de plus en plus étouffantes, ce qui permettra au Youtubeur malin d’échapper par exemple aux contraintes débilissimes de quotas français qui ont purement et simplement saboté la radio française, ou, encore plus pragmatiquement, d’échapper aussi aux interdictions / censures / contraintes légales que le Gouvernement impose, parfois au débotté. Tiens, par exemple, une vidéo Youtube peut en présentant un produit alimentaire s’affranchir de préciser systématiquement qu’il ne faut pas oublier de ne pas manger trop gras, trop sucré et trop salé cinq fois par jour, chose que n’oserait jamais imaginer la télévision traditionnelle.

Le Youtubeur peut donc passer au travers des mailles du filet et s’adresser directement aux masses, de la façon qu'il lui plaît, sans l’imprimatur officiel du Gouvernement, sans la sanction des directeurs de chaînes, des producteurs installés, et de façon générale des gens qui savent mieux que le public ce qui est bon pour lui.

Autant de raisons, on l’aura compris, qui rendent le médium particulièrement irritant pour les autorités et un Gouvernement qui veut avant tout continuer à contrôler sa population.

Ce billet a été initialement été publié sur le blog d'H16, et est consultable ici

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