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Quand la Cour de cassation se prend les pieds dans l'email
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De quoi je me mail ?

La Cour de Cassation vient de juger que lors d'une perquisition il n'était pas souhaitable d'extraire seulement une partie des mails d'une messagerie électronique et laisser de côté d'autres courriels plus personnels. Une décision surprenante puisqu'une telle séparation est techniquement possible...

Aurélien Condomines

Aurélien Condomines

Aurélien Condomines est l'associé responsable du droit économique au sein d'Aramis. Son exercice professionnel couvre le droit de la concurrence et le droit économique (distribution, consommation, droit douanier).

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Les enquêteurs de nombreux corps administratifs - par exemple en matière d'impôts ou de répression des fraudes - détiennent des pouvoirs de perquisition importants dans le cadre de leurs enquêtes. Avant d'exercer ce pouvoir, il leur faut au préalable obtenir l'autorisation d'un juge sur le fondement d'un soupçon légitime. Le juge pourra également intervenir après l'enquête pour en contrôler le bon déroulement.

En particulier, les perquisitions ne peuvent dépasser le champ de l'autorisation judiciaire initiale. Cet encadrement est l'une des différences majeures entre notre État de droit et les régimes totalitaires.

La perquisition non sélective des boîtes mails

Les emails ont envahi nos espaces personnels comme professionnels, remplaçant progressivement le papier. Désormais, une bonne perquisition s'étendra donc aussi aux fichiers informatiques et aux boîtes de messagerie électronique.

Les enquêteurs succombent alors à la facilité qui consiste à saisir ou à cloner les disques durs, et à tout emporter avec eux. Mais voilà, sur les disques durs figurent des milliers d'emails, des éléments personnels qui n'ont rien à voir avec l'enquête ou avec l'autorisation initiale de perquisition donnée par le juge. Parfois y figurent même des échanges avec un avocat, correspondance dont la protection est l'un des plus importants droits de la défense.

Une décision courageuse de la Cour d'appel de Paris

Cette situation émeut les avocats depuis plusieurs années. Mais les tribunaux ont toujours accepté l'excuse des autorités, selon laquelle il serait trop fastidieux de sélectionner parmi les emails d'une boîte de messagerie uniquement ceux qui concernent directement l'enquête. Selon l'administration, les messageries électroniques seraient "insécables", et il serait techniquement impossible d'en extraire des emails individuels.

C'est pourquoi la Cour d'appel de Paris a surpris les spécialistes, en janvier 2011, par une décision courageuse. Elle a mandaté un expert informatique pour que ce dernier tranche sur la question : est-il effectivement impossible d'extraire des emails d'une boîte de messagerie électronique ?

Faisant preuve d'une grande modernité, le magistrat invitait même l'expert à se renseigner sur les méthodes habituellement pratiquées dans d'autres pays. Le rapport d'expertise était attendu avec impatience par les avocats, car il était évident qu'il critiquerait les méthodes - souvent artisanales - qui sont employées en France en matière de saisies informatiques.

La Cour de cassation siffle la fin de la récré

Malheureusement, la Cour de cassation a jugé de façon surprenante que le rapport d'expertise n'était pas nécessaire, et a validé de facto l'approche simpliste de l'administration. Dans trois nouvelles décisions rendues début octobre, la Cour d'appel de Paris vient d'en tirer les conséquences en estimant que la thèse du caractère "insécable" d'une boîte mail avancée par l'administration n'avait pas été invalidée.

Entre-temps, le rapport d'expertise commandé en janvier était pourtant bien venu confirmer l'évidence : il est techniquement possible d'extraire d'une messagerie électronique des messages individuels. Cet imbroglio judiciaire n'est pas à l'honneur de notre justice. S'il est admis qu'une perquisition ne peut porter que sur les éléments qui ont été préalablement autorisés par le juge, alors il est important de savoir si une messagerie électronique peut être saisie dans son intégralité, ou s'il faut en extraire uniquement les emails pertinents.

Or, ce n'est certainement pas la Cour de cassation qui peut décider, sans l'aide d'un expert technique, si l'extraction d'emails individuels est possible ou non. Mais peut-être avait-on peur de la vérité. La facilité et la raison d'État l'auront emporté sur les droits de la défense. Quant au progrès technologique, il aura paradoxalement entraîné une réduction de nos libertés fondamentales.

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