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Contrairement à ce que pense Christiane Taubira, c'est l'absence
de peine, pas les courtes peines,
qui crée de la récidive
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Angélisme

Interviewée par Libération, Christiane Taubira se prononce contre les peines planchers, contre les courtes peines, contre les centres éducatifs fermés... Ne devrait-elle pas d'abord faire en sorte que les peines prononcées par les magistrats soient appliquées ?

Xavier Bebin

Xavier Bebin

Xavier Bebin est secrétaire-général de l'Institut pour la Justice, juriste et criminologue. Il est l'auteur de Quand la Justice crée l'insécurité (Fayard)


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Atlantico : Christian Taubira, interrogée par Libération mardi, se prononce contre les peines planchers et les courtes peines de prison, qui selon elle créent de la récidive, en plus d'être en partie responsable de la surpopulation carcérale. Partagez-vous cette analyse ?

 Xavier Bebin : Christiane Taubira se trompe complètement de combat : ce qui produit la récidive, ce ne sont pas les courtes peines, ce sont les 80 000 peines de prison toujours en attente d'exécution, faute de places de prison. Cela devrait être sa priorité, surtout quand on sait que la France compte 88 places de prison pour 100 000 habitants, quand la moyenne européenne est de 144. Le problème est là, dans la capacité de nos prisons depuis des années à accueillir les personnes condamnées. Cela est criminel, et elle n'en dit pas un mot : c'est inquiétant.

D'autant que sur la question des courtes peines, le précédent gouvernement était déjà allé très loin – trop loin selon nous – dans la logique de les réduire, puisqu'il est allé jusqu'à imposer l'aménagement quasi-systématique des peines allant jusqu'à 2 ans de prison, dans la loi Dati de 2009. Elle dit que la peine de prison en matière correctionnelle doit être prise en dernier recours, dans le cas, je cite, où « toute autre sanction est manifestement inadéquate ». La loi demande donc au juge d'éviter la prison autant que possible et a mis en place une procédure qui fait en sorte que lorsqu'on est condamné à une peine allant jusqu'à deux ans de prison ferme, on est presque garanti de ne pas aller en prison. Aller aujourd'hui encore plus loin dans cette logique est incompréhensible, car la loi de 2009 allait déjà trop loin.

Aujourd'hui, il faut prévoir un nombre de place suffisant pour accueillir les personnes condamnées. C'est la crédibilité, la légitimité et l'indépendance de la justice qui est en jeu, car les peines de prison ferme sont bien prononcées par les magistrats. Tous les textes de loi les dissuadent d'en prononcer s'ils le font, c'est bien qu'ils sont face à des profils pour lesquels aucune autre solution n'est possible.

Ce manque de place dans les prisons est donc une sorte d'incitation pour les personnes condamnées à récidiver ?

Il n'y a rien de plus incitatif à récidiver que de se faire condamner par la justice à de la prison ferme et ne jamais voir sa peine exécutée ! Voilà qui encourage à la récidive, alors qu'il n'a jamais été prouvé que les courtes peines l'encouragent. L'absence de peine, ça oui, c'est certain.

Christiane Taubira revient aussi sur les Centres éducatifs fermés (CEF), dont François Hollande avait promis le doublement durant la campagne. La Garde des Sceaux se montre, elle, sceptique quant à leur efficacité...

Là aussi, la priorité de Christiane Taubira devrait être de dire qu'elle va faire reculer la délinquance des mineurs. D'après les chiffres du ministère de la Justice, les violences commises par les mineurs ont augmenté de 575% depuis 1990. C'est quand même un chiffre qui devrait nous interpeller. Les 14-18 ans représentent 5% de la population, mais 25% des viols et des agressions sexuelles, 34% des cambriolages et 45% des vols avec violence.

Ces chiffres ne montrent-ils pas justement que le tout répressif n'a pas fonctionné jusqu'ici ?

Non, cela veut dire qu'on n'est pas allé assez loin dans la logique. Il y a chez les mineurs, encore plus que chez les majeurs, une forme d'impunité qui est très importante, faute de structure pour les accueillir et pour les écarter de leur milieu le temps qu'ils se reforment et qu'on puisse leur donner des outils éducatifs.

Un seul exemple : en début d'année, trois mineurs ont été interpellés après avoir commis un viol collectif à la Part-Dieu à Lyon, en pleine journée. Ces mineurs ont été remis en liberté – le sont toujours – dans l'attente de leur procès. Ils n'ont même pas été placés dans un CEF. On voit avec un tel exemple qu'il y a des personnes accusées de crimes très graves qui ne sont même pas aujourd'hui placées dans des CEF. C'est pour cela qu'il était question d'en doubler le nombre, ce qui était une bonne mesure pour contenir des mineurs souvent multirécidivistes, ou ayant commis des crimes graves.

On revient aujourd'hui à cette lubie, qu'on croyait réservée aux années 70, qui est de dire que l'éducation n'est pas compatible avec la privation de liberté. C'est pour cela que l'aspect fermé des CEF rebute une partie de la magistrature pour enfants, qui est toujours sur des méthodes complètement dépassées. Or, l'éducation peut se concevoir dans des centres fermés, c'est même préférable lorsqu'on a affaire à des multirécidivistes.

Interrogée sur des propos du ministre de l'Intérieur Manuel Valls, Christiane Taubira botte en touche en répondant qu'elle est place Vendôme, pas place Beauvau. Les deux sont-elles étrangères l'une à l'autre ?

Dans une autre intervention, elle disait déjà qu'elle s'occupait de justice, et que pour les questions de sécurité il fallait voir avec Manuel Valls. Cela montre son inconscience de l'importance du pénal dans la lutte contre la criminalité. Nous disons depuis longtemps que pour faire reculer la criminalité, il ne faut pas se reposer seulement sur la police, les forces de l'ordre et la création de zones de sécurité prioritaires. Il faut aussi prendre en compte la réponse pénale : que les délinquants soient poursuivis, condamnés, et que leur peine soit exécutée. Christiane Taubira fait passer l'idée qu'il y a un partage des rôles entre la Justice qui serait là pour réparer les dommages, et l'Intérieur qui serait là pour faire reculer l'insécurité. C'est cela au fond le plus inquiétant, quand on connaît l'importance que représente la justice et son fonctionnement pour réduire l'insécurité.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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