Ces utiles rappels qu’Emmanuel Macron pourrait faire à Olaf Scholz sur l’euro et l’économie allemande<!-- --> | Atlantico.fr
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Olaf Scholz s'entretient avec Emmanuel Macron, lorsqu'il était encore ministre de l'Economie, durant une visite à l'usine d'Airbus à Hambourg, le 22 septembre 2014.
Olaf Scholz s'entretient avec Emmanuel Macron, lorsqu'il était encore ministre de l'Economie, durant une visite à l'usine d'Airbus à Hambourg, le 22 septembre 2014.
©AXEL HEIMKEN / PISCINE / AFP

Concurrence faussée

Le nouveau chancelier allemand Olaf Scholz se rend à Paris ce vendredi, pour son tout premier déplacement à l'étranger, pour rencontrer Emmanuel Macron. Il échangera avec le président de la République dans le cadre d'un sommet sur l'Ukraine. Les questions économiques devraient aussi être au cœur de leurs échanges.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Les Allemands n’ont jamais fait d’excédents commerciaux significatifs avant l’introduction de l’euro. Oh oui, je sais, ce n’est pas très gentil de rappeler ce fait basique au moment où le nouveau chancelier visite à Paris son Land le plus malade ; mais c’est ce qui ressort nettement des statistiques officielles (ci-dessous, le solde de la balance allemande mesurée en milliards de dollars et en % du PIB) :

Explication : à partir de l’euro, les pays « périphériques » n’ont plus la possibilité de dévaluer face au Mark. Un traumatisme car ce fut le mode de régulation normal pendant plus de 40 ans. Ils décrochent, pas instantanément mais progressivement et logiquement, en conformité avec deux siècles d’expériences monétaires (comme le Mezzogiorno il y a un siècle et demi suite à l’unification monétaire italienne, comme l’Angleterre de 1925 qui s’imposa bêtement un niveau de taux de changes trop cher, etc.). La « compétitivité » Allemande (du moins, avec cette mesure bassement mercantiliste qu’est un solde commercial) est d’abord une affaire monétaire, elle disparaitrait très vite en cas de dislocation de l’euro ; ce qui éclaire d’un autre jour l’eau qu’ils ont parfois mis dans leur vin depuis une décennie pour sauver le soldat euro.  

Trois objections pourraient émerger mais aucune n’est vraiment convaincante. Primo, sur la mesure du phénomène : il faudrait dans l’idéal disposer de chiffres en valeur plutôt que de ces chiffres en volume, car on sait que l’organisation du commerce international en chaines de valeur étirées (depuis le Covid, tout le monde en parle…) complique singulièrement les analyses ; en volume, les USA sont importateurs de biens high tech, mais pas en valeur bien entendu. Mais comme cette nouvelle organisation des échanges globaux n’est pas arrivée subitement en 1999, je doute que l’objection porte vraiment. Deusio, certains seront tentés de mettre cette affaire sur le compte des chinois : la montée des exports vers l’Asie permettrait de disculper l’euro. Sauf que là aussi la chronologie ne cadre pas bien. Et surtout les excédents germaniques ont beaucoup progressé vis-à-vis des « partenaires » eurolandais sur cette période. Tertio, et c’est l’explication qui sera privilégiée par tous les idiots utiles du « modèle allemand » et des réformes structurelles toujours pour les autres, ces chiffres germaniques dériveraient des réformes Hartz, sous Schröder, autrement dit il suffit de faire des efforts et les excédents arrivent. Pas de chance, la chronologie ne colle pas : des réformes structurelles décidées vers 2003 ne produisent pas des effets avant 2006 au mieux, et le mouvement part on le voit dès 1999. Surtout, ces réformes concernaient le marché du travail, un sujet très domestique : elles ont surement fait du bien en abaissant le taux de chômage d’équilibre (et en cocufiant au passage les imbéciles aux 35 heures), mais leurs effets sur les exportations nettes totales est plus indirect.       

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Par tous les bouts, on revient fatalement à l’analyse des économistes (de droite ou de gauche, Krugman ou Friedman, peu importe) : les questions de « compétitivité » se résument à un problème d’alignement de taux de changes. Maintenant qu’ils sont figés nominalement, depuis le 31 décembre 1998, dans un « euro de 1000 ans », les seuls taux de changes qui peuvent bouger sont les taux de changes réels. Autrement dit, la réalité, les coûts du travail, l’emploi industriel : au lieu de laisser le chien remuer la queue, on fait en sorte que la queue remue le chien. On voit les conséquences. Les usines en Allemagne, le luxe en France, des services domestiques au Sud ; d’où la fin de la convergence. Et quand un journaliste titre « l’Italie ne s’est pas bien adaptée à l’euro », personne ne s’offusque ; comme si de grands et vieux pays devaient s’adapter à la monnaie et non l’inverse.    

Elément aggravant, puisque ce déséquilibre dans les échanges n’est jamais attribué à l’euro (tout est fait pour dé-monétariser les débats : on structuralise à qui mieux mieux, on budgétarise matin midi et soir), il permet aux Allemands de donner des leçons, ce qu’ils adorent par-dessus tout (tout en se comportant comme des passagers clandestins), et d’imposer leurs politiques, bonnes ou mauvaises (souvent mauvaises depuis 15 ans, car déflationnistes en pleine déflation). D’où un euro trop cher dans l’ordre externe (cf mon dernier article dans Atlantico…), et là c’est la double peine pour les pays périphériques qui aurait besoin d’un euro très en dessous de la parité avec le dollar. Et puis ajoutons que les excédents germaniques ne sont plus recyclés : depuis la double crise Trichet (2008-2011), ils restent passivement en Allemagne, de façon improductive. Echec et mat. Si les gens savaient, ce système monétaire tiendrait 48 heures.   

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Les Allemands savent construire des chars, des berlines, des machines-outils (rayer la mention inutile). Ils savent aussi communiquer sur leur savoir-faire, et placer leurs VRP un peu partout (Emmanuel Macron, par exemple). Mais surtout ils savent rester très gaullistes quant à la souveraineté monétaire ; ils sont très vigilants à Berlin, à Karlsruhe et à Francfort pour surveiller la BCE, pour poser en amont quelques totems et tabous, pour semer en route quelques vétos, pour saboter les détentes monétaires les rares fois qu’elles se font. C’est par la monnaie d’abord et par la monnaie top chère ensuite qu’ils tiennent le continent, ils le savent ; et il serait bon que nous le sachions un peu plus en France au lieu de toujours faire de la macro-économie une histoire de café du commerce à base d’efforts, de réformes « free lunch », de formation professionnelle, de solidarité européenne et de moraline.

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