Atlantico Business
Bruxelles reconnaît officiellement l’intérêt du gaz naturel et surtout du nucléaire pour produire une électricité propre
Bruxelles a enfin dévoilé son projet de taxonomie, une labellisation verte pour toutes les centrales fonctionnant au nucléaire et au gaz de façon à débloquer des financements. Les communiqués sont sortis dans la nuit du 31, quelques minutes avant minuit.
Jean-Marc Sylvestre
Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.
Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.
Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.
Il faut croire que Bruxelles craignait des manifestations ou des réactions hostiles pour choisir le pic des festivités du Nouvel an, au moment où l’Europe toute entière essayait de réveillonner en se cachant du Covid, car c’est le moment que l’UE a choisi pour rendre publique sa décision de labelliser en vert les centrales nucléaire et les usines fonctionnant au gaz naturel.
Ça fait des années que tous les électriciens européens ne pouvaient plus supporter que le label vert officiellement appliqué par Bruxelles soit réservé aux énergies naturelles (éoliennes et solaires). Ça devenait même inquiétant parce que tous les experts savaient qu’en limitant la production d’électricité sur l’éolien ou sur le solaire, l’Europe allait dans le mur. Jamais elle ne pourrait atteindre la neutralité carbone en 2050 comme l’engagement avait été pris alors que la consommation d’électricité pouvait être multipliée par dix, compte tenu de la conversion du parc automobile à l’électrique et des nouveaux usages et besoins liés au digital.
Le système européen allait droit dans le mur en faisant courir des risques de ruptures d’alimentation.
Même le dernier rapport du Giec faisait état de ce risque et précisait bien que l’impératif de plafonner le réchauffement climatique dans les 30 ans à 2 degrés n’était atteignable qu’au prix d’efforts importants sur les économies de consommation, mais aussi à condition que les programmes de production de gaz et nucléaire soient protégés. Donc pas question de réduire les capacités de production.
Bruxelles a donc enfin débloqué ces dossiers et commencé les consultations pour élaborer très vite un projet de texte qui permet d‘inclure certaines activités de gaz et de nucléaire, ce que les eurocrates appellent la taxonomie verte, c’est-à-dire la mutation du système vers des protocoles à carbone réduit. Le nucléaire devient une énergie verte, le gaz a un statut à part, qualifié d’énergie de transition pour les centrales qui émettront le moins de CO2.
À Lire Aussi
La France était sans doute le premier pays en Europe à s’impatienter pour confirmer la relance de sa filière nucléaire, mais par ailleurs, la Pologne et la République tchèque attendaient aussi cette décision pour engager leur programme de remplacement des centrales à charbon très polluantes.
Bruxelles est passé par-dessus l’opposition des écologistes qui, dans leur ensemble, s‘opposent aux centrales à gaz et notamment celles qui émettent du CO2 et s’opposent aussi aux centrales nucléaires qui portent des risques de sécurité et la question des déchets radioactifs.
Il a donc fallu batailler dur dans le bureau de la Commission pour obtenir le feu vert de l’administration contre des bataillons de fonctionnaires d’origine allemande, autrichienne et Luxembourgeoise.
Cela dit, le bras de fer était perdu d’avance. La politique de l’Allemagne qui s’oppose au nucléaire n’était pas tenable quand on sait qu’en période de pointe, l’hiver notamment et en fin d’après midi, l’Allemagne était obligée d’acheter de l’électricité à la France et à la Belgique, une électricité nucléaire évidemment. Les écologistes allemands se sont toujours battus contre le nucléaire tout en exigeant des garanties d’approvisionnement, d’où la nécessité d’acheter du courant électrique aux Français. L’Allemagne avait éliminé ces centrales installées sur son territoire mais n’était pas gênée de se servir de l’autre coté du Rhin.
Le gaz naturel a provoqué en Allemagne les mêmes débats incongrus. L’Allemagne s’est opposée au gaz naturel de Russie. L ‘Allemagne continue de résister aux approvisionnements de NordStream 1 et plus grave, à l’entrée en fonction du gazoduc NordStream 2 . D’énormes canalisations qui traversent la mer Baltique et qui doivent desservir en gaz naturel toute la moitié nord de l’Europe. Les raisons sont aussi politiques car le gazoduc est un moyen de pression qu’a l’Occident sur la Russie pour protéger l’Ukraine.
À Lire Aussi
Le comble dans ce dossier est que l’Allemagne, très éprise d’écologie, préfère encore aujourd'hui acheter du gaz de schiste américain et canadien plutôt que d‘utiliser le gaz russe. Curieux choix, quand on sait que le gaz de schiste est trois fois plus polluant que le gaz de Russie décarboné par les technologies du français Total, et surtout deux fois plus cher. Curieux choix, sauf à prendre en compte les facteurs politiques liés aux relations tendues entre la Russie et les Européens.
Pour la première fois donc, Bruxelles est passé outre en préparant la labellisation des centrales nucléaire et des centrales fonctionnant avec un gaz propre (c’est à dire le gaz russe).
Le débat n’est pas clos pour autant. Les écologistes continuent d’expliquer que cette décision est une erreur funeste, la nouvelle ministre de l’environnement brandit le risque de catastrophes environnementales. Les pro-gaz et les pro-nucléaire font valoir que les énergies renouvelables, comme l’éolien et le solaire qui sont déjà labellisés par la Commission, ne permettront jamais de répondre à la demande d’électricité, même si on plantait des éoliennes sur la totalité du territoire allemand.
Cette question des labels verts n’est pas seulement politique. Elle a des incidences économiques et financières considérables.
D’abord, parce que ces labels permettent d’obtenir les permis de construire des nouvelles centrales, qu’elles soient au gaz ou au nucléaire.
Ensuite, les labels verts permettent de dégager des financements adéquats et plus chers pour les investissements de nouvelles centrales.
Enfin, le label vert autorise la transformation ou le démantèlement des installations en fin de vie.
À Lire Aussi
Théoriquement, ce projet, sorti dans la nuit du réveillon, ouvre la porte au développement du nucléaire en Europe et l’assurance que les 27 pourront tenir leurs engagements de réduction des gaz à effet de serre.
Emmanuel Macron, président de l’Europe pour les six prochains mois, n’aura qu’à pousser le dossier jusqu'à l’enregistrement et la signature du protocole d’accord. Parallèlement, il lui restera à gérer les oppositions en France pendant la campagne présidentielle. Tous les candidats ont d’ores et déjà indiqué que la campagne électorale ne pourra pas faire l’économie d’un débat sur les sources d’énergie. A priori, ce débat-là est donc déjà plié.
En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.
Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !