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Brexit, les secrets d’une négociations de la dernière chance pour que tout change sans que rien ne bouge vraiment 
©Paul Grover / POOL / AFP

Quel talent ce Boris Johnson !

Tout ça pour ça ! Plus de quatre années de psychodrames pour aboutir à un accord qui va sauver l’essentiel pour les Européens, mais qui met les Britanniques en risque de perdre beaucoup. Ils voulaient l’indépendance, le beurre et l’argent du beurre, ils n’auront rien que des « emmerdes »...

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Quel gâchis, en effet, que les quatre années passées à essayer d’extorquer une indépendance totale à l‘égard de l’Union européenne. Les hommes et femmes politiques britanniques, partisans du Brexit, ont commis trois erreurs :

La première, c’est d’avoir en permanence tenu l’Union européenne comme responsable de leurs difficultés économiques et sociales et d’avoir fait croire qu‘en sortant de l’union, tout irait mieux.

La deuxième erreur a été de croire ou de faire croire à la population qu’ils trouveraient des alliés et des partenaires dans le monde capables de remplacer les Européens pour faire du business.

La troisième erreur est d’avoir cru, enfin, que l’Union européenne accepterait de conserver les avantages du grand marché sans avoir à respecter les règles de conduite auxquelles ils voulaient absolument se soustraire. Les plus radicaux des Brexiters espéraient même que l’Union européenne ne subsisterait pas à ce divorce et se disloquerait.

Aucune de ces prédictions qui étaient autant de promesses électorales ne s’est réalisée. L‘Union européenne ne s’est pas disloquée face au dossier britannique. Elle est restée unie sur ce dossier et les 27 pays ont soutenu sans trembler le négociateur européen Michel Barnier. La Grande Bretagne n‘a pas trouvé dans le monde les partenaires commerciaux qui auraient pu remplacer les Européens, qui vont rester pour l’instant, leur premier fournisseur et leur plus gros débouché.

Le projet le plus cynique des Brexiters était de trouver dans ce divorce le moyen de garder tous les avantages de l’appartenance à l’Union européenne, sans les inconvénients de respecter des règles qui fixent la vie commune. Ils ont échoué contraints et forcés de céder au dernier moment devant le mur de difficultés que les milieux d’affaires n’ont pas cessé de mettre en lumière dans l’hypothèse de plonger dans le grand bain d’un no-deal.

Boris Johnson a donc accepté in-extremis de revêtir les gilets de sauvetage que proposait l’Union européenne. Le dossier sur la pêche composait le dernier verrou à l’accord global fixant la future relation commerciale ; il a sauté.

Pour les négociateurs européens, cette dernière année a été terrifiante. « Ce jour est donc un jour de soulagement, dit Michel Barnier, mais teinté de tristesse quand on compare ce qu’il y avait avant et ce qui nous attend maintenant. »

L’accord signé n’est pas le copier-coller du régime matrimonial précédent ;

il y aura des vrais changements pour beaucoup de citoyens et d’entreprises, conséquences de ce Brexit. Du coup, beaucoup se demandent désormais comment et pourquoi la politique a pu engendrer un tel « être juridique aussi pervers et sans doute assez instable ».

Il y a beaucoup de moments politiques certes, mais qui se résument à des luttes de pouvoir et à des querelles d’egos surdimensionnés.

Ce qui compte, au final, c’est qu’en dépit de toute l’histoire, les intérêts économiques et sociaux du plus grand nombre sont en partie préservés. Cequi prouve une fois de plus que le poids des pouvoirs économiques, la manifestation des intérêts des vrais gens, leur bon sens, leur emploi, leur standard de vie l’emportent au final sur les forces idéologiques et strictement politiques.

Alors ça demande du temps, ça provoque des dégâts, mais toute crise finit par rendre intelligente la démocratie. C’est le poids des opinions qui a démoli le mur de Berlin, dernière grande aberration du 20e siècle, c’est le poids des opinions publiques qui a empêché les dirigeants de provoquer un Brexit dur et qui les a obligés à tricoter un compromis qui n‘insultera pas l’avenir.

Dans la dernière ligne droite de cette négociation, les Anglais avaient choisi le dossier de la pêche pour faire tout éclater. En gros, il s’agissait d’interdire les zones de pêche britanniques, qui sont immenses et particulièrement fertiles, aux pécheurs de l’Union européenne. Bruxelles ne pouvait pas accepter cet oukase, sauf à condamner l’industrie de la pêche en France, en Espagne et dans toute l'Europe du nord (Pays-Bas et Allemagne).

Les Européens sont donc restés sur une ligne dure en menaçant les Anglais de fermer les marchés du continent aux pêcheurs britanniques. En tenant cette position, les Anglais ont bien été obligés de céder, pour pouvoir continuer de vendre leur cabillaud à Rungis et ailleurs.

Le rôle de Boris Johnson dans cette dernière ligne droite méritera d’être clarifié. Parce que la fermeture des frontières du Royaume-Uni pendant 48 heures la semaine dernière, à la suite de la découverte d’une forme nouvelle du virus, a déclenché une telle panique en Grande Bretagne qu‘elle n’a pas été sans effet sur les négociateurs. En prenant une telle décision, Boris Johnson a eu un aperçu de la situation qui prévaudrait au 31 décembre en cas de No-deal. Il aurait donc cédé pour éviter le pire. D’autant que la crise sanitaire a évidemment obscurci les perspectives économiques. Bref, il aurait été peu judicieux de rajouter une crise Brexit à la crise sanitaire, économique et sociale.

Si on regarde la vie politique britannique d’un œil particulièrement cynique, on pourra dire que le virus a permis au Premier ministre britannique de ne pas perdre la face dans cette affaire du Brexit qui a empoisonné la vie politique pendant presque 5 ans.

Avec le compromis sur la pêche, la Grande Bretagne va pouvoir appliquer un deal qui globalement ne va pas déranger beaucoup d’habitudes.

1e point : Le point essentiel du deal qui régit l‘après-Brexit est d’encadrer les échanges commerciaux entre l‘UE et le Royaume-Uni qui représente près de 800 milliards d’euros par an. Le deal stipule qu’il n’y aura ni droits de douanes, ni quotas. Donc on reconduit le statut antérieur. Les Anglais peuvent dire qu'ils ont gagné. Sauf que cette liberté d’échanger est conditionnée par le respect des normes sociales, fiscales, environnementales et sanitaires... Lesquelles normes seront fixées par Bruxelles comme aujourd’hui, sauf que les Anglais n’y participeront plus. Les Européens peuvent dire qu‘ils ont préservé l’essentiel, puisqu’en cas de non-respect des normes, les marchandises seront taxées ou interdites.

La différence avec le régime précédent est qu‘il faudra rétablir la douane qui vérifiera que la marchandise exportée est effectivement conforme aux normes. Les déclarations douanières ne sont pas insurmontables.

Ce qui gêne les Anglais, c’est qu’ils ne pourront pas se livrer au dumping social, fiscal ou environnemental. Les aides publiques aux entreprises britanniques seront elles aussi dans le collimateur.

2e point : ce qui change n’est pas marginal mais gérable et adaptable.

La question irlandaise ne se pose plus, mais les Européens n’ont pas cédé sur la question du passeport financier. La City ne pourra plus vendre ses produits financiers partout en Europe. Les banques et les fonds vont être obligés de monter des filiales en Europe continentale, ce qu’elles ont commencé à faire.

La libre circulation des Européens au Royaume-Uni se termine au 1er janvier, les Européens qui désirent travailler en Grande-Bretagne vont devoir obtenir un permis de travail. Les 4 à 5 millions d’Européens qui sont déjà installés en Grande Bretagne pourront y rester en conservant leurs droits. La réciproque est vraie aussi.

Pour les étudiants, Erasmus va disparaître en Grande Bretagne et les droits universitaires vont augmenter. Les étudiants actuels pourront aller au terme de leur études avec les anciennes conditions.

La circulation des touristes sera plus compliquée. Il n’y aura pas de visas, mais les permis de conduire nationaux ne seront pas reconnus, les assurances seront différentes et plus chères. L’assurance maladie européenne ne sera plus reconnue en Grande Bretagne. Il faudra donc en souscrire une nouvelle.

Difficile d’anticiper un bilan de ce qui gênera véritablement les uns comme les autres. Mais à partir du moment où 60 % du PIB britannique dépend de l’Union européenne, alors que pour l’Union européenne, la dépendance est beaucoup plus faible (moins de 10 % pour l’ensemble des 27), toute complication et tout frein aux échanges va handicaper plus les Anglais que les Européens.

C’est cette situation et ces chiffres, très simples, qui ont motivé les milieux d’affaires britanniques à s’opposer au Brexit et plus tard, à en limiter l’impact en plaidant pour un deal de Brexit soft. Ce qu'ils ont finalement obtenu.

Alors maintenant, tout va dépendre de comment les rapports de force vont évoluer. La Grande Bretagne est libre de ses mouvements au niveau international. Elle peut chercher des accords avec des pays tiers en sachant que si ces accords ne sont pas conformes avec les codes et les normes de l’Europe, ils perdront des débouchés.

C’est d’ailleurs ce qui va se passer dans le secteur financier. La City a remarquablement profité de son passeport financier... Elle pouvait accueillir n’importe quelle institution étrangère qui s’installait à Londres pour pénétrer le marché européen. Cette liberté-là n’étant pas reconduite, la City va perdre de son attrait.

Perdant globalement certains de ses avantages, la livre sterling va baisser. Le gouvernement ne s’en inquiète pas officiellement, il explique même que ça va faciliter son activité à l’étranger. Sauf que les importations (60%) vont coûter plus chères et les prix intérieurs vont donc augmenter. Les prochaines élections sont encore loin !

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