Anne Lauvergeon chez EADS : les patrons français sont-ils recyclables à l'infini ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Anne Lauvergeon.
Anne Lauvergeon.
©Reuters

Atomic Anne

Anne Lauvergeon, ex-patronne d'Areva, est pressentie pour prendre la tête du groupe EADS. Cette habitude du parachutage de grands patrons à la tête de divers groupes n'est pourtant pas toujours la conséquence de leur efficacité.

Hervé  Joly

Hervé Joly

Hervé Joly historien et sociologue, est directeur de recherche au CNRS, laboratoire Triangle, université de Lyon. En 2013, il a publié Diriger une grande entreprise au XXe siècle : l'élite industrielle française (Tours, Presses universitaires François-Rabelais). Son dernier ouvrage : Les Gillet de Lyon. Fortunes d’une grande dynastie industrielle. 1838-2015 (Genève, Droz, 2015)

 
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Atlantico : Anne Lauvergeon, ex-patronne de la Cogema devenue Areva, est actuellement pressentie pour prendre la tête d’EADS. Comment expliquer cette tradition d’interchangeabilité de certains grands patrons Français et quels sont les critères pour faire partie de ces derniers ?

Hervé Joly : Il existe certes en France, dans les entreprises publiques ou à participations publiques en particulier, une forte tradition d'avoir des PDG, souvent issus des grands corps et/ou des cabinets ministériels proches du pouvoir en place, qui sont nommés en dehors de toute compétence dans la branche. Cela n'a pas empêché certains d'entre eux de réussir. L'énarque Louis Gallois n'avait ainsi aucune expérience dans l'industrie aéronautique lorsque, directeur de cabinet du ministre de la Défense Chevènement, il est nommé PDG du constructeur d'avions SNECMA (actuelle Safran) en 1989, avant de passer en 1992 à la tête de l'Aérospatiale (actuelle EADS). Il découvre ensuite un nouveau secteur avec la SNCF en 1996, avant de retrouver l'aéronautique avec EADS en 2006. Même Loïc Le Floch-Prigent, ancien directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus sans expérience de la chimie, a été considéré comme un bon PDG de Rhône-Poulenc entre 1982 et 1986, avant de se compromettre ensuite à la tête du groupe pétrolier Elf.

La droite a procédé de même récemment avec les anciens directeurs de cabinet Christine Lagarde Stéphane Richard et Alexandre Juniac parachutés respectivement à la tête de France Télécom et d'Air France, qui ont tout autant découvert les branches concernées. Anne Lauvergeon détonnerait d'autant moins qu'elle n'est pressentie que pour prendre la présidence non exécutive d'EADS. Elle ne serait pas chargée de la gestion opérationnelle de l'entreprise, simplement du contrôle de la direction générale. Elle n'a donc pas besoin d'avoir une connaissance étroite de la branche, simplement d'avoir le poids politique suffisant comme représentante des intérêts de l'Etat français dans l'entreprise. Elle a de toute façon au moins une compétence industrielle qui n'a à l'évidence rien à envier à celle de son prédécesseur, Arnaud Lagardère, que l'on sait plus intéressé par les médias ou le sport...

Ce système en circuit fermé est-il sain pour une économie et l’équilibre des pouvoirs en France ? Ces patrons sont-ils toujours choisis pour leur efficacité avérée ?

Avec Anne Lauvergeon, il s'agit bien sûr aussi pour le pouvoir socialiste de réparer ce qui pouvait apparaître comme l'éviction injuste de la tête d'Areva de l'ancienne sherpa de François Mitterrand par Nicolas Sarkozy. Elle avait déjà été pressentie à la tête d'EDF, mais Proglio fait de la résistance, ou de la Banque publique d'investissement, mais elle a dû s'effacer au profit de Jean-Pierre Jouyet, plus proche de François Hollande. On pourrait bien sûr considérer que la brillante manageuse qu'elle prétend être devrait pouvoir trouver sa place toute seule dans le secteur privé, sans appui du pouvoir politique, mais il semble qu'être à la fois une femme, proche des socialistes et réputée une forte personnalité n'y ouvrent pas grandes les portes.

Des entreprises si spécifiques ne devraient-elles pas plutôt promouvoir des « montagnards » (qui gravissent les échelons de l'entreprise en interne) qui connaissent l’entreprise plutôt que de se livrer ainsi à du parachutage ?

On pourrait le souhaiter, au moins pour des fonctions de directions générales exécutives pour lesquelles une connaissance intime de la branche apparaîtrait utile. Mais on voit que, dans les rares entreprises restées publiques ou à participations publiques, l'Etat actionnaire quel qu'il soit hésite toujours à nommer les gens de l'interne qui apparaissent souvent trop ternes, trop peu politiques, par rapport à des candidats extérieurs au profil plus diversifié. Et comme il ne reste plus beaucoup de postes pour récompenser les bons serviteurs de l'Etat, il est difficile de s'en priver... Par ailleurs, on peut aussi plaider qu'un patron venu de l'extérieur a un regard plus neuf, plus neutre, qu'un "montagnard" qui pourrait être tenté dans ses choix stratégiques de privilégier les branches par lesquelles il est passé.

S’agit-il d’une tradition franco-française ou d’un phénomène répandu dans toutes les grandes économies occidentales ?

Les autres pays n'y échappent pas toujours, notamment lorsqu'il leur reste des entreprises publiques. Le patron exécutif allemand d'EADS, Tom Enders, est ainsi un collaborateur d'un ministre de la Défense de la bavaroise CSU, lui-même membre de la CSU. En 1997, Helmut Kohl avait nommé l'un de ses anciens secrétaires d'Etat à la tête des chemins de fer allemands. Et, même lorsque les patrons sont des hommes d'entreprise, ils ne sont pas pour autant des spécialistes de la branche : l'actuel patron de la Deutsche Bundesbahn a fait sa carrière dans l'industrie aéronautique, alors que celui de la Lufthansa, entièrement privatisée depuis longtemps, vient des chemins de fer...

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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