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Moyen-Orient : la question de Jérusalem est-elle vraiment si capitale ?
©Reuters

Allumer le feu ?

En reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël, Donald joue au Trump. En prétendant qu’il s’agit d’un tournant majeur pour le Moyen-Orient, les indignés jouent aux presbytes.

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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Moi, je suis comme tout le monde : on annonce de partout que Trump est un pyromane parce qu’il vient de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël au risque de mettre le Moyen-Orient à feu et à sang, et j’ai d’abord tendance à penser que ça n’est pas faux.

Puis, parce que ça me gonfle toujours un peu d’être trop comme tout le monde, surtout s’il faut chanter du Johnny (RIP) et écouter d’Ormesson citer les grands auteurs (idem), je me dis aussi qu’il y a tout de même deux trois-trucs qui clochent dans ce bel unanimisme spontané.

OK, Trump est un sale type, on était au courant, merci, mais, jusqu’à présent, c’était parce qu’il était complaisant avec les néo-nazis antisémites, qu’il voulait fiche en l’air Obamacare, faisait le tri parmi les visiteurs étrangers et tripotait des nanas non-consentantes. Pas parce qu’il se mêlait du conflit israélo-palestinien.

On était dans le consensus argumenté.

Car enfin, si je peux me permettre ce truisme trumpien, Jérusalem n’était-elle pas déjà, de facto, sur les plans pratiques et administratifs, la capitale du pays ? Tous les plans de paix à deux Étatsne prévoient-ils pas que Jérusalem-Ouest soit reconnue comme capitale israélienne et Jérusalem-Est comme capitale palestinienne ? Et la positionaméricaine, strictement bilatérale, change-t-elle quoi que ce soit de concret puisque la communauté internationale en reste austatu quoet conservela majorité de ses ambassades à Tel-Aviv?

Bien entendu, je suis aussi obligé de me méfier de mon goût du contre-pied et je sais bien que si Trump décide de faire un truc pareil, ce n’est pas tant pour faire plaisir à Netanyahou que pour cajoler l’électorat chrétien fondamentaliste de la « Bible Belt», qui a lu dans les Ecritures que l’Apocalypseétait proche, que les juifs doivent se grouiller de faire leur Alyapour mieux disparaître et n’est « sioniste »que par judéophobie radicale (eh oui, c’est tordu, cette affaire. C’est du poker théologique, pas de la bataille ouverte).

Mais une décision du Donald est rarement dictéepar la bienveillance et l’on ne s’attendait évidemment pas à ce qu’il se bagarre plutôt pour un retour à la table des négociations. D’autant plus que cette histoire de capitale, c’était une promesse de campagne et la surprise vient surtout de ce qu’il ne l’ait pas tenue plus tôt...

L’unanimisme de la réprobation, pour autant, me semble avoir des ressorts plus complexes que le simple anti-trumpisme, notamment au sujet d’un Moyen-Orient susceptible de s’enflammer. D’abord, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, le Moyen-Orient est déjà à feu et à sang et ça n’a pas grand-chose à voir avec les problèmes israélo-palestiniens. On s’étripe en Syrie, en Libye, en Irak, au Yémen, et le statut de Jérusalem n’est pas exactement à la base des querelles multi-séculaires entre chiites et sunnites ou des massacres de yézidis, de coptes et de soufis.

En outre, si Israël est légitimement en mauvais termes avec les nations arabes prônant sa destruction, les relations sont assez cordiales avec un nombre croissant d'acteurs locaux petits ou grands (Égypte et Jordanie en tête, bien sûr, mais désormais Arabie Saoudite, Émirats, Barheïn...), ce qui semble indiquer que ces pays ont des agendas politiques subtils de nations souveraines, pas juste les réactions épidermiques de semi-sauvages auxquelles les assigne une certaine forme de bien-pensance.

Pour d’aucuns, en effet, les Arabes sont des êtres frustes qui ne fonctionnent qu’au symbole, se lèvent chaque matin en pensant à Jérusalem et vivraient dans la joie et l’harmonie si les Juifs et leur micro-État grand comme la Seine-et-Marne, avec ou sans capitale, n'étaient plus le principal obstacle à la paix dans le monde.

On préférerait bien sûr que la première puissance mondiale soit dotée d’un président capable de relancer le processus de paix au lieu de mettre de l’huile sur le feu par calcul domestique. Il devrait même faire partie du rêve de tout honnête homme de voir Israéliens et Palestiniens trouver une solution à leur conflit en se fixant des frontières stables une fois pour toutes.

Mais, en l’état, cette initiative américaine tient surtout de la péripétie démago à usage interne, ne modifie rien à rien, et ne mérite, comme dirait d’Ormesson citant Racine aux Grosses têtes, ni cet excès d’honneur ni cette indignité. Et pour qu’elle allume vraiment le feu, encore eut-il fallu qu’il ait été préalablement éteint.

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