Voyage du président Biden au Proche-Orient, un échec ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Le président égyptien Abdel Fattah al-Sisi, le roi de Bahreïn Hamad bin Isa bin Salman al-Khalifa, le président américain Joe Biden, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane lors du Sommet de Djeddah le 16 juillet 2022.
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sisi, le roi de Bahreïn Hamad bin Isa bin Salman al-Khalifa, le président américain Joe Biden, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane lors du Sommet de Djeddah le 16 juillet 2022.
©MANDEL NGAN / POOL / AFP

Diplomatie américaine

Il convient de replacer le voyage du président Joe Biden au Proche-Orient dans le cadre plus général de la politique étrangère américaine.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Doté d’une solide et ancienne expérience politique, il a bien compris que la « première puissance du monde » ne peut pas faire face simultanément à ce qu’il estime être les « menaces contre le monde libre et la démocratie », en termes plus précis contre les États-Unis. Or, la menace existentielle pour les États-Unis est la Chine. La tentation est donc grande de laisser la gestion des situations conflictuelles « de deuxième ordre » à d’autres. Le président Biden pense qu’Israël et une « communauté » des pays arabes peuvent gérer seuls l’adversaire qu’ils partagent tous (à des degrés divers) : la République Islamique d’Iran (RII).

En effet, l’Iran des Ayatollahs fait partie de ces menaces (les Américains gardent de très mauvais souvenirs de la prise d’otages de l’ambassade US à Téhéran en 1980, des multiples attentats et prises d’otage effectués au Liban dans les années 1980, etc.) et les négociations concernant leur programme nucléaire (JCPOA) ont très peu de chances d’aboutir surtout depuis l’arrivée des conservateurs à la présidence de la RII.

Si Biden ne repousse pas une option militaire engageant les États-Unis contre Téhéran, il préfère pour l’instant agir via ses alliés au premier rang desquels se trouve Israël.

Ainsi, Biden et le Premier ministre israélien Yaïr Lapid, ont paraphé le 14 juillet la « Déclaration de Jérusalem sur le partenariat stratégique entre les États-Unis et Israël » consacrée pour partie au dossier nucléaire iranien. Selon ce texte, les États-Unis « s'engagent à ne jamais permettre à l'Iran d'acquérir l'arme nucléaire et à utiliser tous les éléments de leur puissance nationale pour s'en assurer ». Comme cela est classique aux États-Unis, le président en a profité pour critiquer son prédécesseur Donald Trump, en ces termes : « c'était une erreur gigantesque du dernier président de se retirer de l'accord [JCPOA] car ils (les Iraniens) sont plus près de l'arme atomique aujourd'hui qu'ils ne l'étaient auparavant ». Il oublie juste de dire que l’administration républicaine de Donald Trump a fait plus que les Démocrates pour l’État hébreu en reconnaissant Jérusalem comme capitale de l’État juif israélien et l’annexion du plateau du Golan. Cela n’a pas empêché Trump d’être reçu avec tous les fastes à Riyad, ce qui n’a pas été exactement le cas de Biden où le service était « minimum ».

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Des dirigeants israéliens pour leur part ont répété ces derniers mois que leur pays entendait conserver sa « liberté d'action » face à l'Iran même en cas d'accord sur le nucléaire dans le cadre du JCPOA. En clair, ils ne demanderont l’autorisation à personne pour mener une opération militaire contre Téhéran 6 sachant pertinemment que Washington sera obligé de suivre -.

En réalité, Israël craint surtout qu'une levée des sanctions suite à un accord JCPOA ne renfloue les finances de Téhéran ce qui lui permettrait d'accroitre son soutien au Hezbollah libanais et aux mouvements palestiniens (Hamas, Jihad islamique palestinien), ses adversaires directs sur le terrain.

La « Déclaration de Jérusalem » souligne par ailleurs que les États-Unis et Israël coopèreront pour développer des systèmes de défense au laser afin de « défendre l'espace aérien d'Israël » des drones mis en œuvre par le Hezbollah et le Hamas.

Le 15 juillet, Biden a rencontré pour la forme le dirigeant palestinien Mahmoud Abbas en Cisjordanie occupée. Une aide « significative » pour les hôpitaux de Jérusalem-Est, et un projet de développement d'un réseau 4G tant en Cisjordanie qu'à Gaza a été évoqué. Mais clairement et comme toujours, le problème palestinien est éludé… Même si certains responsables arabes lient la normalisation de leurs relations avec Israël, il est probable que le processus initié par l’administration Trump et poursuivi par celle de Biden aboutira même si ce n’est pas dans pour tout de suite.

En effet, après Israël, M. Biden s’est rendu directement en Arabie saoudite (un vol historique) Maiscela a été clairement un échec car aucune mesure favorisant une hypothétique normalisation entre le royaume saoudien et Israël n’a été annoncée comme cela était attendu. Il y a eu aussi l’humiliation subie par le président américain obligé de saluer devant les caméras Mohammed Ben Salmane (MBS) qu’il considérait officiellement comme un « paria » car désigné comme le commanditaire de l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Kashoggi en 2018. Si ce meurtre aurait bien été évoqué endébut d’entretien (ce qui n’est pas certain), MBS aurait rappelé au président américain le scandale de la prison d’Abou Graib et la mort de la journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Akleh qui aurait été tuée (selon l’ONU) par un tir israélien (il n’est pas sûr non plus que ces propos aient été tenus).

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Mais le candidat Biden à la présidence avait pris l'engagement de traiter l'Arabie saoudite en « paria ». Ensuite, une fois en fonctions, il avait déclaré le 4 juillet 2021 à propos de la place des États-Unis sur la scène internationale : « nous menons en montrant l'exemple, pas en montrant notre force. Nous faisons partie de quelque chose qui nous dépasse. Nous sommes une boussole pour le monde »…

Les pays arabes du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) - Arabie saoudite, Qatar, Bahreïn, Koweït, Oman et les Émirats arabes unis (EAU) - plus la Jordanie, l’Egypte et l’Irak qui étaient présents lors de la visite du président Biden sont conscients que l’initiative américaine de constituer une défense globale de la région risque d’augmenter encore les tensions régionales et conduire à un redémarrage des hostilités au Yémen, en Irak et d’accélérer un peu plus la course aux armements menée par Téhéran. Bagdad a d’ailleurs bien affirmé que l’Irak se tiendrait en dehors d’une quelconque alliance militaire dirigée contre Téhéran.

Si Israël est favorable à un « OTAN régional », ce n’est pas le cas des pays arabes qui ont une différence d’appréciation de la menace iranienne. L’État hébreu dit craindre l’aboutissement du programme militaire nucléaire iranien, les pays arabes considèrent que la menace est surtout constituée par les effets déstabilisateurs des menées iraniennes (via les milices et mouvements qui lui sont inféodés) et par celle représentée par les drones et missiles classiques.

C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils considèrent d’un œil plutôt favorable le projet de défense aérienne couvrant la zone connu sous le nom de « Middle East Air Defense Alliance (MEAD) » qui pourrait inclure les EAU, le Bahreïn jusqu’à l’Arabie saoudite. Cette dernière reste toutefois réticente au fait que des appareils israéliens de détection avancée devraient être déployés dans le royaume même, si comme les EAU, ils ont bénéficié des renseignements israéliens pour parer différentes attaques houthies contre leurs territoires.

Il convient aussi de compter avec les menaces voilées à l’égard d’Israël et de ses « alliés américains » par l’envoi par le Hezbollah libanais de trois drones au-dessus du champ gazier frontalier avec le Liban de Karish. Son leader, Hassan Nasrallah, fait planer le risque d’une guerre que sa formation lancerait pour faire valoir les droits à l’accès du Liban aux gisements d’hydrocarbures en Méditerranée.

Au moment où les élections à mi-mandat se profilent aux États-Unis, les Démocrates savent que les électeurs sont surtout concernés par la hausse des prix des carburants. Or, l’Arabie saoudite n’a pas l’intention - ni sans doute les capacités - d’augmenter à court terme ses exportations vers les États-Unis.

De plus, nombre d’acteurs régionaux entretiennent des liens économiques et politiques avec Téhéran. Ainsi les EAU devraient renouer des relations diplomatiques normalisées avec Téhéran dans les jours qui viennent.

Enfin et surtout, au grand déplaisir de Washington, aucun de ces pays ne semble vouloir rompre ses relations avec Moscou et avec Pékin.

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