Vote NFP : mais comment expliquer les pulsions de suicide fiscal des cadres français ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Olivier Faure et de nombreuses figures de la gauche réunies dans le cadre du Nouveau Front populaire pour la campagne des législatives.
Olivier Faure et de nombreuses figures de la gauche réunies dans le cadre du Nouveau Front populaire pour la campagne des législatives.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Taxes et impôts

Selon un sondage Elabe, 32 % des cadres ont l'intention de voter pour le Nouveau Front populaire. Les cadres seront pourtant les premières "victimes", sur le plan fiscal, du NFP.

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier est Avocat, fondateur & coordinateur pédagogique du diplôme Start-up Santé (bac+5) à l'Université Paris Cité. Il est également Président de l'UNPI 95, une association de propriétaires qui intervient dans le Val d'Oise. Il est titulaire du Master 2 droit fiscal, du Master 2 droit financier et du D.E.S. immobilier d’entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

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Pierre Valentin

Pierre Valentin

Pierre Valentin est étudiant en master science politique à l'université Paris-2 Panthéon-Assas, diplômé en philosophie et politique de l'université d’Exeter (Royaume-Uni).

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Atlantico : Une semaine avant le premier tour des élections législatives anticipées, les intentions de votes laissent à penser que le Nouveau Front Populaire (NFP) pourrait récupérer le plus de voix chez les cadres. Ainsi, d’après un sondage Elabe publié le 22 juin, ils sont 32% à annoncer vouloir voter pour le NFP. Peut-on dire, aujourd’hui, que les cadres votent en majorité pour le Nouveau Front Populaire ?

Pierre Valentin : Pour bien comprendre ce dont on parle, il faut aussi réaliser qu’il y a plusieurs niveaux et grilles de lecture. Sans doute faudrait-il s’interroger sur le diplôme des cadres en question, qui constitue l’un des clivages les plus structurants en matière électorale. Il est indéniable qu’une part des cadres adhère au projet de cette nouvelle NUPES et d’aucuns peuvent penser qu’il s’agit ici d’un mécanisme de distinction sociale, au moins pour certains d’entre eux. Certains ont le luxe de pouvoir adhérer à ce type de croyances – au sens du sociologue Rob Anderson, qui a théorisé la notion de croyances sociales ou politiques à afficher dans l’espace public pour asseoir sa supériorité sociale ou morale. Les conséquences de ces mêmes croyances, le plus souvent, se reportent sur les classes moyennes et inférieures ; en témoigne notamment l’apologie du divorce qui est souvent présenté comme une émancipation par les classes supérieures mais qui a un impact désastreux sur les classes populaires.

Ce premier point établi, on peut souligner que le vote des cadres est divers. Sur les cinq dernières années, nous avons assisté à une explosion du vote Rassemblement national chez les cadres - et d’une façon générale dans la France entière puisque l’intégralité des départements, à l’exception de l’Île de France et la Bretagne, ont placé le RN en tête lors des dernières élections. A l’occasion des européennes, le Rassemblement national a réalisé une véritable percée chez les retraités ainsi que chez les cadres. C’est un fait sociologique majeur, à comparer avec le rétrécissement sociologique du centre, qui perd une partie conséquente de son électorat : désormais seuls ceux dont le revenu excèdent 5000 euros nets mensuels votent encore pour le centre.

S’il existe donc une prévalence forte du bloc central chez les cadres, il y a aussi une tentation d’encanaillement chez une part d’entre eux. Elle se manifeste soit par un basculement chez le RN… quand ils ne passent pas du côté du Nouveau Front Populaire. Sans doute cela s’explique-t-il par la tendance historique de la gauche de faire l’union en contre, face à la figure d’un ennemi commun. Pour certains, cela justifie sans doute le masochisme électoral dont nous parlons ici. D’aucuns, comme Philippe Muray, ont assez bien désigné cet ennemi supposé : le fameux “plouc émissaire”. La gauche, de même que la macronie, analyse Pascal Perrineau, pâtissent d’un déficit idéologique et mobilisent donc la diabolisation de l’adversaire de droite pour trouver des raisons d’être. C’est une des façons de jeter sous le tapis leurs désaccords idéologiques. Ce scénario tient sur une forme d’unité négative, dont la concrétisation psychologique est nécessairement le ressentiment. 

Que peut-on dire du programme fiscal du Nouveau Front Populaire ? Qui paierait plus d’impôts si celui-ci était appliqué ?
Thomas Carbonnier : Il y a beaucoup à dire au sujet du programme fiscal du Nouveau Front Populaire, qui a d’ailleurs mis en place un simulateur pour aider les électeurs à savoir combien ils seraient amenés à payer en plus (ou en moins !) une fois le programme du NFP appliqué. Ce simulateur présente divers problèmes, à commencer par le fait qu’il ne concerne guère que le salaire. C’est un simulateur, dès lors, qui ne dit rien puisque le revenu n’est évidemment pas seulement composé de salaire et que les impôts ne se limitent naturellement pas au seul impôt sur le revenu. Sans dire qu’il s’agit d’un outil ouvertement malhonnête, on peut tout de même légitimement affirmer qu’il est trompeur. 
En s’amusant avec le simulateur on apprend ainsi que, le programme du Nouveau front populaire appliqué, un individu seul paierait le même impôt sur le revenu s’il perçoit 3526 euros net mensuels, soit environ 4000 euros brut, actuellement. Le même contribuable, s’il touchait 3000 euros net, pourrait théoriquement prétendre à une économie d’impôt d’environ 200 euros à l’année. A 4000 euros net, il faut en revanche payer 44 euros de plus.
Dans le détail, sans doute faut-il rappeler que les dépenses prévues par le NFP sont chiffrées à 150 milliards d’euros sur trois ans pour 100 milliards d’euros de recettes.
Naturellement, si on évoque le programme fiscal du Nouveau Front Populaire, il faut parler de différentes mesures telles que l’ISF vert dont il a été question plusieurs fois depuis l’annonce de la dissolution et de la campagne. Il faut aussi parler de la suppression des niches fiscales… qui constitue un sujet vieux comme le monde derrière lequel chacun peut mettre ce qu’il souhaite et où personne ne tombe d’accord à la fin des fins. C’est une mesure particulièrement fourre-tout et, dès lors, il devient difficile de l’analyser avec précision. Concernant l’ISF vert, le seuil d’application semble être similaire à celui de l’ancien impôt du même nom, c’est-à-dire à compter de 1,3 million d’euros de patrimoine. Il y a 40 ans, quand cet impôt a vu le jour, le seuil était le même qu’aujourd’hui. Il n'a pas été tenu compte de l'inflation sur 40 ans. C’était une époque où les placements étaient profitables, y compris sans avoir recours à la moindre spéculation, et l’ISF avait été pensé pour financer des mesures de solidarité. J’ai du mal à voir comment nous allons flécher les gains de cette nouvelle version de l’impôt sur la fortune en faveur de la bifurcation énergétique (aucune mesure écologique précise n'est précisée) ; où même s’il rapportera suffisamment pour que cela s’avère intéressant. Le chiffrage du Nouveau Front Populaire évoque 15 milliards d’euros de recettes. A titre de comparaison, en 2022, il rapportait 6,2 milliards. Il faut donc plus que doubler les recettes, ce qui veut dire plus que doubler le montant de l’impôt en théorie. Je ne suis pas convaincu que les contribuables concernés l’acceptent. Il y a matière à penser que ceux qui peuvent partiront (comme ils ont pu le faire par le passé) et que, dès lors, c’est sur la classe moyenne que cet impôt frappe une fois encore.
Est-ce à dire que ce seront nécessairement les cadres qui paieront le plus en cas de passage du NFP aux prochaines élections ? Potentiellement. Tout dépend, en vérité, de la situation personnelle de ceux-ci. Un individu qui profite d’une rémunération correcte et d’une situation décente pourrait, dans un certain nombre de cas, profiter d’une baisse d’impôts (particulièrement s’il n’est pas propriétaire ou ne se construit pas de patrimoine financier). Quiconque, en revanche, s’inquiète activement du montant de sa retraite et se décide à investir risque bien davantage. D’autant plus pour celles et ceux (quoique l’on s’éloigne du simple cadre type) qui bénéficieraient de revenus de dividendes ou de revenus fonciers par exemples.
Comment expliquer les pulsions “suicidaires” des cadres Français qui s’apprêtent à voter pour un programme dont ils seront, sur le plan fiscal, les premières victimes ? Quels sont les ressorts exacts à analyser ?

Pierre Valentin : Nous avons parlé, précédemment, de “croyances politiques de luxe” et c’est en partie ce qui se manifeste ici. A mon sens, et j’insiste dessus, le clivage le plus profond est celui du diplôme. Quand on a étudié 10 ans pour obtenir ce que l’on a, notamment en termes de compétences, on a parfois l’impression de mieux voir les “ressorts cachés de la domination” et de comprendre un fonctionnement que d’autres, "endormis", ne verraient pas. D’autres ne s’estiment simplement pas rémunérés à leur juste valeur, notamment dans le domaine de l’enseignement supérieur en France et en Occident où la précarisation du métier est bien réelle. Ce genre de cas de figure peut tenter les uns et les autres à adhérer à des explications alimentées par des abstractions négatives comme cela peut être le cas de l’idée d’un "système hétéro-patriarcal", ou capitaliste. La précarité financière des sur-diplômés est un terreau propice aux explications paternalistes, qui s’appuient sur le ressentiment.

Naturellement, tous les électorats se construisent (au moins pour partie) en "contre" avec un adversaire politique. La notion de « barrage » n'est plus l'apanage de la gauche. Mais à droite, personne n’admet être entré en politique dans le seul objectif de « lutter contre l’extrême gauche ». A gauche, c’est une motivation réelle, parfois première, des militants. Cette notion de barrage, comme celle de distinction sociale dont nous parlions un peu plus tôt, peuvent pousser certains à voter en faveur d’un programme qui, objectivement, aura un impact néfaste sur leur existence fiscale.

Au sein même de cette nouvelle NUPES, on assiste à un clivage dans la mentalité des cadres qui se positionnent soit à l’extrême-gauche, soit au centre-gauche. Les plus jeunes sont généralement du côté de l’extrême-gauche tandis que les plus âgés adhèrent davantage au projet que portait Glucksmann. Les seconds cherchent à conserver des acquis tout en s’assurant que le bâteau ne coule pas (ou alors, qu’il coûle lentement et verticalement) tandis que les premiers sont prêts à renverser la table et peu importe que le bâteau penche très fort d’un côté. 

A gauche également, pour paraphraser Péguy, tout commence en social et termine en sociétal, et c’est aussi l’un des moteurs du vote que nous évoquons. Prenons l’exemple du « champion de la gauche sociale », François Ruffin : il ne peut pas s’empêcher de faire des concessions en permanence, sur la question du « racisme systémique » comme sur d’autres. Dès qu’il essaie péniblement de poser un orteil sur des sujets (qui pourraient pourtant faire une unanimité presque totale) comme l’anti-wokisme, l’immigration et l’application des OQTF par exemple, tout le reste du mouvement lui tombe dessus et il se range docilement. D’une façon globale, les électeurs de gauche votent d’abord pour des raisons sociétales et ensuite pour des raisons économiques.

Enfin, il faut aussi prendre la mesure du sentiment de culpabilité qui peut pousser les uns et les autres à agir ainsi qu’ils le font. La question du racialisme (et, de façon générale, des “ismes” cachés à gauche) permet de mieux comprendre : depuis des années, maintenant, la gauche a tendance à re-racialiser les rapports entre Français, en poussant les blancs à se considérer négativement tout en cultivant la fierté des personnes dites “racisées”. C’était la logique de SOS racisme, celle de Terra Nova aussi, et elle continue aujourd’hui de s’appliquer. In fine, on parle donc de culpabiliser les blancs intrinsèquement. La France Insoumise, en l'occurrence, ne fait que concrétiser ce projet racialiste.

Notons aussi que faire barrage à l’extrême droite n’est pas simplement le slogan de quelques militants woke radicaux : c’est la boussole sud de tout une partie de la gauche depuis des dizaines d’années. C’est un objectif purement négatif, qui ne définit pas de cap positif à poursuivre et qui n’est absolument pas suffisant pour construire un programme ou un bien commun.

Quelles seraient les méthodes employées pour faire payer davantage les populations jugées aisées ? Que dire, par exemple, de la réforme prévue de l’impôt sur le revenu ?
Thomas Carbonnier : Le Nouveau Front Populaire prévoit une réforme de l’impôt sur le revenu, qu’il souhaite plus progressif. Il s’agirait de passer de 5 à 14 tranches et force est de constater que l’impôt serait effectivement plus progressif. Pour les ménages à faibles revenus ainsi que pour ceux spoliés par des effets de seuils, l’impact n’est pas négligeable. A titre de comparaison, un ménage bénéficiant de revenus fiscaux nets estimés à 61 000 euros annuels, l'essentiel de ce revenu est aujourd’hui imposé à 30%. Avec ce système, le taux d’imposition serait plus proche des 40% mais il n’y aurait pas d’effet de seuil faisant passer un contribuable d’une tranche à l’autre de façon aussi abrupte.
Un ménage de deux personnes, touchant environ 2500 euros mensuels chacun avec un enfant à charge, devrait donc théoriquement profiter de cette réforme. Encore une fois, malheureusement, ce simulateur ne s’appuie que sur les revenus issus des salaires, alors même que les cadres – puisque c’est d’eux que l’on parle ici – bénéficient potentiellement d’autres sources de revenus qui pourraient faire l’objet d’autres impôts. Ainsi, on sait que le Nouveau Front Populaire souhaite mettre en place une CSG progressive (doit-on y voir une substitution à la proportionnalité ou un système complémentaire ?) mais le détail de la mesure n’est, à ma connaissance, pas encore précisé. De même, il ont annoncé leur désir de supprimer plusieurs dispositifs dont la flat tax sur les revenus financiers. Autant dire que c’est la question de l’attractivité même de la France qui est remise sur la table. Sans oublier, bien sûr, la mise en place d’une taxe sur les super-profits… dont les gains sont estimés (par les tenants de ce programme) à 15 milliards d’euros. L’étude la plus récente au sujet de cet impôt chiffrait pour sa part les recettes à 69 millions. Si l’on voulait être taquin, on dirait simplement qu’il suffit d’ajouter un 0 à toutes les recettes fiscales pour ne plus avoir de problème.
Le problème de ce programme, pour les cadres comme pour les autres, c’est qu’il s’agit d’un “kinder surprise” : ce n’est qu’après l’avoir acheté que l’on sait véritablement ce qu’il y a dedans.
Le programme du NFP comprend aussi un volet relatif à la fiscalité du capital ainsi qu’à la fiscalité du revenu. Les cadres devraient-il s’en inquiéter ? Faut-il penser que, à gauche, d’aucuns oublient que lorsque l’on taxe le capital, on taxe aussi des individus (ceux qui le détiennent) et non une entité abstraite ?
Thomas Carbonnier : Le capital, c’est le patrimoine. Dès lors, la fiscalité du capital rejoint le sujet déjà évoqué de l’ISF. Il faut aussi parler de l’exit tax, mise en place sous le gouvernement Jospin par DSK, supprimée puis remis au goût du jour par Sarkozy pour finalement être supprimée pendant le 1er mandat d’Emmanuel Macron, que le NFP prévoit de remettre à jour. C'est une histoire sans fin. Concrètement, il s’agit de taxer les plus-values latentes (c’est-à-dire non réalisées) sur les actions au moment de quitter le territoire national. C’est une mesure hautement symbolique, qui avait d’ailleurs été supprimée en raison de son incompatibilité criante avec la liberté de circulation des personnes et des capitaux prévue par les normes juridiques européennes.
En soi, on peut donc dire du Nouveau Front Populaire qu’il reprend des vieilles idées dont on a déjà pu s’assurer de l’efficacité… et qui ont d’ores et déjà été invalidées. L’ISF, rappelons-le, pèse avant tout sur ceux dont le patrimoine n’est pas mobile et représente un pourcentage du capital qui sera prélevé.
Je ne suis pas convaincu, pour autant, que la gauche oublie qui elle taxe quand elle s’en prend au capital. Ce n’est pas impossible, bien sûr, mais je pense que la question de fond est celle de la solidarité : après tout, si l’on paye l'ISF c’est qu’on est riche ! Et si l’on est riche, c’est bien qu’il faut payer, par solidarité pour celui qui, moins riche, a besoin de d'argent. L'ISF représente le symbole de l'outil de nivellement des richesses. Dans bien des cas, c’est peut-être le raisonnement de ces cadres qui, en dépit de la réalité de l’impact sur leurs revenus, se décident à voter pour le programme du Nouveau Front Populaire.
Je doute aussi qu’ils soient nombreux à rentrer dans ce luxe de détails, si je puis dire. Le vote est souvent guidé, me semble-t-il, par le sentiment d’appartenir à un certain groupe ou un certain ensemble de valeurs plutôt que par rationalité économique. Une grande partie de l’électorat vote en fonction de sa sensibilité sans nécessairement avoir pris le temps de consulter le programme du parti pour lequel il pense voter. Ceci étant dit, cela ne veut pas dire qu’il n’est jamais rationnel, pour un cadre, de voter pour le NFP : certains bénéficieront potentiellement de baisses d’impôts si et seulement si le Nouveau Front Populaire est élu et peut appliquer son programme (ce qui, en soi demeure très discutable). 
Jacques Chirac avait lui aussi promis une baisse d'impôts, 30% au totale. Ses électeurs n'en ont jamais vu la couleur. A l'heure où le déficit de la France fait l'objet de sanctions de la part de l'UE, je suis prêt à parier qu'aucune baisse d'impôt n'aura lieu, quelque soit la couleur du parti qui obtiendra une majorité lors des prochaines élections législatives.

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