Vincent Delahaye : "Au regard de l'ampleur de leurs profits, l'heure est venue que l'Etat engage un bras de fer avec les concessionnaires d’autoroutes"<!-- --> | Atlantico.fr
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Des véhicules sont pris dans les embouteillages au niveau du péage de Virsac, près de Bordeaux, sur l'A10.
Des véhicules sont pris dans les embouteillages au niveau du péage de Virsac, près de Bordeaux, sur l'A10.
©PIERRE ANDRIEU / AFP

Rapport enterré

Alors que le Canard Enchaîné accuse Bercy d'avoir enterré un rapport sur les profits des concessionnaires d’autoroutes, le sénateur de l’Essonne, auteur d’un rapport d’enquête sur le sujet analyse la situation pour Atlantico.

Vincent Delahaye

Vincent Delahaye

Vincent Delahaye est sénateur de l'Essonne et rapporteur de la Commission d'enquête sur la régulation des concessions autoroutières.

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Atlantico : Le Canard Enchaîné a révélé l'existence d'un document de l'Inspection Générale des Finances, remis à Bruno Le Maire en février 2021, peu enclin à le révéler au public. Ce document suggérait de baisser de 60% le prix des péages, face aux gains réalisés par les acteurs du secteur. Que vous inspire ce document ? 

Vincent Delahaye : L'Inspection Générale des Finances, à la demande du ministre de l’Économie, a fait un rapport sur la rentabilité des sociétés concessionnaires d’autoroutes. Si certains rapports de l’IGF sont publics, ce n’est pas le cas de celui-ci. Selon l’article du Canard Enchaîné, les sociétés concessionnaires, comme Vinci ou Eiffage, auront atteint fin 2023 ou début 2024 la rentabilité prévue pour 2036. Tous les profits réalisés jusqu'à l’échéance des contrats peuvent être assimilés à une surrentabilité. Je n'ai pas eu accès à ce rapport, mais les chiffres avancés sont cohérents avec ceux que notre commission d’enquête avait démontré en 2020. 

Selon Le Canard Enchaîné, Bercy aurait volontairement enterré ce rapport. Cela vous semble-t-il plausible ? 

Ce rapport n’est pas public. Je pense qu’ils devraient tous l’être, puisqu’en démocratie la transparence et l’accès à l’information devraient être la base de la notre sytème. Ce qui est certain, c’est qu’il n’y a pas de réelle volonté du gouvernement d’avoir un suivi et des négociations rigoureuses avec ces sociétés. Quand on voit l’augmentation des tarifs au 1er février, de 4,75%, on remarque bien qu’il n’y a eu aucune négociation. Le contrat a été appliqué alors que le gouvernement aurait pu négocier de façon plus stricte dans l’intérêt des automobilistes.   

Vous avez remis en 2020 au Sénat le Rapport de la commission d'enquête sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières. De votre expérience qu’aurait-il été possible de négocier ? 

Je pense que le système de concession est souvent une bonne chose pour gérer les équipements ou les services publics. Je n’y suis pas opposé à condition qu’il y ait un bon contrat et un suivi régulier. On voit pourtant dans cette affaire qu’il n’y a aucune clause de revoyure, que le gouvernement n’a jamais cherché à mettre la pression sur ces concessionnaires. En cas de négociation, ces sociétés auraient pu entamer un contentieux avec l’État, mais à long terme, elles auraient eu beaucoup à perdre. In fine, les conditions financières doivent être intéressantes pour tout le monde, y compris les usagers.  

Le 9 juin dernier, vous avez émis un communiqué intitulé "Sociétés d'autoroutes en 2021 : pour un meilleur partage des recettes de péage entre actionnaires, État et automobilistes ». Selon vous, à quoi ce meilleur partage devrait-il ressembler ? 

Les informations fournies par ces sociétés sont toujours couvertes par le secret des affaires. Nous avons donc réalisé nos propres prévisions de résultats, qui étaient en phase avec celles des concessionnaires. À la fin 2024, jusqu’à la fin des contrats, il devrait y avoir entre 30 et 35 milliards de sur-rentabilité que nous devrions redistribuer. Cet argent doit permettre de favoriser les comportements vertueux comme le covoiturage, l’utilisation de véhicules propres ou l’entretien d’infrastructures. C’est à mes yeux le meilleur partage et tout le monde pourrait être gagnant.  

Comment expliquer une telle sur-rentabilité ? 

C’est à la fois lié aux contrats initiaux et à la pratique de ces sociétés autoroutières. Dans les 1eres années ces dernières réduisaient le coût des péages des tronçons les moins empruntés et augmentaient ceux des plus fréquentés, ce qui permet de maintenir un coût global conforme à la norme. De plus, lorsque l’inflation a baissé en 2021, il n’y a pas eu de baisse des tarifs, alors que ça aurait dû être le cas. Cette fois-ci, l’État n’a pas tenu compte des contrats, ce qui a été clairement favorable aux sociétés.  

Que pensez-vous des trois propositions des rapporteurs évoquées par le gouvernement ? 

Ce sont des illustrations plus que des propositions. Elles consistent à présenter ce qui pourrait être un meilleur partage, pour éviter cette sur-rentabilité. Ainsi, avec des tarifs des péages diminués de 60%, ces sociétés seraient toujours dans la rentabilité prévue de 8%. Pour moi, la meilleure solution passe par une pression maximale du gouvernement y compris sur la pérennité des contrats actuels. Le gouvernement ne doit pas avoir peur d’éventuels contentieux.  

Face à la sur-rentabilité des concessionnaires, l’État pourrait-il être gagnant ? 

C’est évident car cela générerait plus d’impôts. Mais en même temps, l’État a réduit l’impôt sur les sociétés de 33 à 25% et les concessionnaires d’autoroutes en ont largement bénéficié. On estime à 7,5 milliards d’euros d’ici la fin des contrats de gains supplémentaires , ce qui n’était pas prévu lors de la signature des contrats. Ce n’est pas acceptable et je pense qu’il faut aller au bras de fer. Le gouvernement devrait affirmer sa volonté, ce qu’on ne ressent clairement pas actuellement. Peut-être que le fait de parler de ces rapports pourra aider à faire pression sur le gouvernement.  

Selon vous, pourquoi le rapport que vous avez sorti en octobre 2020 n’a pas fait de bruit à l’époque ? 

Evidemment, nous souhaitions que cela fasse plus de bruit. L’impact a été limité mais il a eu lieu. Jusqu'à ce rapport, on prorogeait les contrats de quelques années en échange de travaux.C’est ce qui s’est passé en 2015 avec Macron et Royal qui ont prorogé de 3 ans les contrats contre des travaux de l'ordre de 4 milliards d'euros. Depuis il n’y a plus eu de prorogation de ces contrats mal adaptés. Nous devons désormais atteindre notre objectif initial, à savoir définir la méthode de calcul de la rentabilité. Si on considère que l’équilibre économique et financier a été atteint, il y a aura sans doute une compensation à donner, mais celle-ci sera inférieure aux bénéfices réalisés.

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