Vers une nouvelle crise de l’Euro : alerte vigilance jaune, orange ou rouge ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le siège de la BCE à Francfort-sur-le-Main, en Allemagne
Le siège de la BCE à Francfort-sur-le-Main, en Allemagne
©JOHN MACDOUGALL / AFP

Alerte

La BCE appelle les gouvernements des pays de la zone euro à améliorer « immédiatement » leurs finances publiques face aux risques sur le long terme liés au vieillissement démographique, à l'augmentation des dépenses de défense, au climat et au numérique.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Un nombre grandissant de pays de l’Union européenne fait désormais face à un problème de déficit budgétaire et doit consacrer une part non négligeable de son budget au remboursement de sa dette publique. Dans quelle mesure faut-il s’inquiéter de cette situation ? 

Alexandre Delaigue : La situation, il est vrai, est problématique. Elle l’est d’autant plus qu’il est difficile de dire avec précision quand est-ce qu’un déficit budgétaire devient trop lourd pour rester décemment soutenable. L’évaluation de la capacité fiscale d’un Etat est un exercice complexe, qui s’appuie sur de nombreux critères et de nombreux élements. Si l’on revient en arrière et que l’on regarde dans le rétroviseur, il est possible de constater, néanmoins, que ce n’est pas la première fois que les pays qui composent aujourd’hui la zone euro font face à des dettes publiques aussi élevées. Dans certains cas, il faut bien le reconnaître, ils ont dû faire face à des dettes plus importantes encore… mais il faut aussi rappeler que ce genre de situation résultait dans la majorité des cas de situations de guerre ou de conflits. A l’issue d’une guerre, c’est-à-dire après un évènement proprement exceptionnel, les facteurs susceptibles d’alimenter la montée du déficit disparaissent. Notre situation actuelle a cela d’historique qu’elle ne fait suite à aucun conflit de cet ordre. Elle résulte au contraire de tendances lourdes, qui ne sont pas prêtes ou pas vouées à s’arrêter.

Naturellement, ce constat a de quoi inquiéter beaucoup. Cela ne signifie pas qu’il n’existe aucun contre-exemple sur lequel nous pourrions nous appuyer dans l’espoir de mieux comprendre ce qui se passe ! Certains l’ont d’ailleurs déjà fait, comme cela peut-être le cas de tous ceux qui comparent la situation actuelle à celle du Japon entre 1995 et 2020. Celui-ci a su subsister même avec des niveaux de dette publique très élevés en comparaison avec son PIB. Et, dès lors, la question qui doit se poser est la suivante : faut-il croire que la situation qui s’annonce en Europe pour les trois prochaines décennies sera comparable à celle du Japon ? Il y a de bonnes raisons de penser que ce ne sera pas le cas. Bien sûr, il existe des points communs (le vieillissement de la population et ses conséquences budgétaires, par exemple), mais force est de constater que les dangers auxquels l’Europe fait face sont extrêmement différents. Il est ici question de la nécessité de la nécessité de réarmement d’un certain nombre des nations de l’Union (et donc la fin de ce que nous appelions, dans les années 90, les dividendes de la paix). Sans oublier, bien sûr, la transition énergétique qui nécessite d’engager sans cesse davantage en matière budgétaire. D'autant plus qu’il faudra composer avec les conséquences du réchauffement climatique, notamment sur l’activité économique. 

C’est une situation inquiétante, que nous abordons avec d’autant plus de fragilité du fait des fortes dettes européennes.

Dans le contexte qui est celui que nous venons de décrire, faut-il craindre une nouvelle crise européenne ? Une crise de l’euro, en somme ?

Commençons par rappeler ce qu’était la crise initiale de la zone euro. Il s’agissait avant tout d’une crise politique, issue du conflit entre les différents intérêts des nations européennes. C’est assez différent de ce que nous venons d’évoquer, puisqu’il sera moins question de divergence politique fondamentale : la situation dont nous parlions (qu’il s’agisse de la nécessité de se réarmer ou le réchauffement climatique et ses conséquences) s’impose à tous les européens, peu ou prou. Ce n’est pas la structure même de la zone euro qui engendre un déséquilibre, comme c’était le cas à l’époque.

Bien évidemment, nul ne peut exclure la possibilité que les pays d’Europe cherchent à s’adapter à ce nouveau contexte et le fasse en ordre dispersé. Le risque serait alors de voir émerger de nouveaux déséquilibres politiques autour de cette situation et donc, en effet, de raviver la flamme de la crise de la zone euro. Pour l’heure, le problème demeure convergent, et j’ai tendance à penser que cela pourrait nous pousser à chercher une solution collective, ce qui n’était pas nécessairement possible quand nous faisons face à des problèmes contradictoires.

Ce premier point évacué, il faut tout de même reconnaître que les situations budgétaires européennes sont parfois très différentes. Dans les faits, tous les pays de la zone euro font aujourd’hui face à la perspective d'une augmentation de leur dette publique. Il est clair, cependant, qu'ils ne partent pas tous du même point de départ. La France, pour ne citer qu’elle, fait partie des nations qui doivent composer avec un important déficit primaire et qui n’arrivent pas à le résorber. Or, on nous annonce désormais un tour de vis assez significatif. D’autres nations, dans le même temps, entament la période avec une situation budgétaire considérablement moins complexe. Ce décalage pourrait engendrer d’importants problèmes au travers de la zone euro.  

La BCE, ne l’oublions pas, est le seul organe fédéral au sein de l’Union. Or, la situation est d’autant plus incertaine que les problèmes politiques en France peuvent engendrer de graves tensions sur notre dette publique et qu’il reviendrait à la banque centrale d’intervenir. Elle commence à savoir quoi faire, compte tenu des précédents, mais une telle crise ne serait évidemment pas sans impact. J’ai tendance à penser que nous avons fait preuve d’une capacité d’adaptation dans des situations comparables, mais cela ne veut pas dire que cela ne génèrerait pas de tensions pour autant.

Ce qu’il faut noter, c’est que les éléments dont nous parlons s’inscrivent dans le temps long. Le propre d’une crise, en théorie, relève de son caractère ponctuel. Dans ce cas précis, le problème de fond n’a rien de temporaire : il émane de tendances lourdes qu’il faudra prendre en compte de façon potentiellement pérenne et qui, encore une fois, devraient toucher l’ensemble des nations européennes. L’exemple COVID laisse espérer que l’Europe saura faire preuve de coordination, quand bien même il aurait évidemment été possible de faire mieux à l’époque.

Quel devrait être notre degré de vigilance, au juste ?

C’est difficile à dire, notamment parce que la majorité des gens qui s’essaient à ce type de pronostic ont tendance à se tromper. Ce que l’on sait, c’est que le contexte est loin d’être apaisé et qu’il valait mieux afficher une dette publique équivalente à 200% du PIB quand on s’appellait le Japon, dans les années 1995-2000. Bien évidemment, la période était déjà complexe, mais la situation actuelle l’est plus encore aujourd'hui.

Quelles sont, selon-vous, les nations les plus à risque en Europe ?

En dehors de la France, que nous avons évoquée précédemment et qui est à la source d’une forte incertitude, il faudrait citer l’Italie. Sa dette publique est très élevée par rapport à son PIB et, depuis des années, elle doit composer avec l’absence de croissance économique. De plus, l’élection de Giorgia Meloni a aussi pu engendrer une certaine forme d'inquiétude, au moins au début de son mandat. Depuis, elle a donné un certain nombre de gages sur le plan budgétaire et les marchés ont réalisé que son élection ne donnerait pas nécessairement lieu à un grand moment de populisme économique. Cela a fini par se tasser mais l’Italie a longtemps constitué un “gros morceau” des inquiétudes concernant une potentielle crise de la zone euro.

Autre nation que l’on pourrait aussi citer : la Belgique. Comme la France ou l’Italie, il s’agit d’un pays qui affiche une forte dette comparativement à son PIB quand bien même il va de soi que le problème ne se pose pas du tout de la même façon.

D’après Bloomberg, il devient urgent pour les nations d’Europe de réduire leur dette publique, au risque sinon de faire face à de graves conséquences financières sur le long terme. De quel enjeu parle-t-on, exactement ?

Comme j’ai pu le dire précédemment, la zone euro s’apprête à attaquer une situation ô combien risquée en étant alourdie par une dette publique très élevée. Permettez-moi un exemple (qu’il conviendra de nuancer puisqu’il ne faut pas confondre finances publiques et finances d’un particulier) : un particulier qui dispose de trois mois de salaire sur son livret A et qui a fini de payer sa maison sera beaucoup plus à même de faire face aux risques de la vie que s'il doit composer avec un encours de 10 000 euros sur sa carte de crédit alors qu’il vient tout juste d'acheter un logis et qu’il est à limite de ce que son salaire actuel lui permet de payer. Face au moindre pépin, dans ce deuxième cas de figure, il se retrouvera dans une situation infiniment plus complexe que dans le premier scénario. C’est peu ou prou ce à quoi nous pourrions faire face.

Reste à voir s’il serait possible de limiter la casse. La question des finances publiques françaises est importante et il faudra évaluer la stratégie annoncée par Mario Draghi pour sortir de la crise par le haut. Il cherche en effet à permettre un retour de la croissance pour l’Union européenne à l’aide d’une série d’investissements et le passage par une transition économique pour l’Europe. Le chemin est difficile, piqué de contraintes çà et là, mais je ne suis pas sûr que nous ayons vraiment le choix.

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