Vaccins : (quasi) impuissance des politiques face à l’inertie de l’administration. Peut-on y croire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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covid-19 coronavirus vaccination vaccin
covid-19 coronavirus vaccination vaccin
©Sameer Al-Doumy / AFP

Lenteur bureaucratique

Emmanuel Macron s'est agacé de la lenteur de la campagne de vaccination qu'il impute à une bureaucratie trop tatillonne. Mais le chef de l'Etat, qui se dit "en guerre" depuis mars, peut-il vraiment s'exonérer de toute responsabilité ?

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico.fr : Le JDD de ce dimanche rapporte comment Emmanuel Macron tape du point sur la table concernant le sujet de la vaccination, bien trop lente selon lui. A-t-il des raisons objectives de s'en prendre à « la bureaucratie et la technocratie » jugées trop tatillonnes, ou est-ce un moyen d'esquiver ses propres responsabilités – étant entendu qu'il est le chef d'un Etat au régime présidentiel particulièrement vertical (ce que de très nombreux internautes n'ont pas manqué de souligner dans des Tweets moqueurs) ?

Pierre Bentata : Il y a évidemment des rigidités bureaucratiques, dans les process surtout, avec cette nécessité d'autorisation avant de vacciner qui prend plus de temps qu'ailleurs. Pour autant, c'est difficile de se cacher derrière ça. D'abord parce qu'il y a quand même des pays dans lesquels on demande l'autorisation de vacciner en entretien, ce qui prend cinq minutes. Ce n'est pas quelque chose qui peut expliquer le retard. Et puis, sur le fond, on voit bien que le problème n'est pas lié aux processus, mais est en amont. Si on n'arrive pas à faire venir des vaccins partout où on en a besoin, si on n'arrive pas à répondre à la demande des gens qui veulent se faire vacciner, c'est le système lui même qui déraille.

Emmanuel Macron a beau jeu de s'en prendre à son gouvernement. Sur le fond, ces problèmes montrent que le gouvernement et le chef de l'Etat n'étaient pas préparés. On l'entendait depuis un moment : des spécialistes disaient "attention, on a l'impression qu'il n'y a pas de plan". Dans le même temps, les Américains ont mis en place un système logistique important, notamment en envoyant dans les entreprises des questionnaires pour savoir combien de personnes allaient se faire vacciner et en mettant en place des processus entre les entreprises et les administrations. L' Allemagne a fait de même. On voit donc clairement qu'il y a eu une inertie dans le système. Il ne s'agit pas simplement de fautes ou de choses qui auraient pu passer sous le radar d'Emmanuel Macron. Ce n'est pas possible.

De plus, on a quand même le sentiment que c'est quelque chose d'habituel avec ce gouvernement. Il réagit beaucoup à des sondages et des enquêtes d'opinion. Or, nous avons été inondés ces derniers temps d'enquêtes montrant que les Français étaient parmi les plus sceptiques vis-à-vis des vaccins. On peut se demander si le gouvernement n'a pas voulu jouer la carte de la tempérance, de l'attente, pour essayer de ne pas brusquer ces anti-vaxx. C'était une erreur monumentale parce qu'au final, une majorité de la population désire quand même se faire vacciner et on se retrouve avec des pénuries de vaccins, comme on a eu au départ des pénuries de masques et de gel. C'est impossible qu'Emmanuel Macron ne l'ait pas vu.

Charles Reviens : Nous sommes aujourd’hui seulement deux semaines après l’autorisation du vaccin Pfizer par la commission européenne et une semaine et un jour après le début de la campagne de vaccination en Europe. Il faut donc analyser avec une certaine retenue une situation fluide et changeante.

Pourtant cette affaire des vaccins commence à ressembler à un chemin de croix pour la France et son exécutif. Il y a eu la polémique sur le projet de texte sur le passeport vaccinal rapidement reporté par le gouvernement, il y a la réticence d’une partie importante de la population à se faire vacciner, il y a le fait que la France est le seul membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU qui n’a pas développé un vaccin national opérationnel, il y a enfin la lenteur du plan de vaccination (le Pfifzer à date) où la France semble très en retard par rapport à de nombreux pays du monde.

Les pouvoirs publics, soumis à une désagréable volée de bois verts de toutes les oppositions sur la thématique « Caramba, encore raté ! » (après les masques, les lits, les tests, l’échec de l’isolement des personnes positives…) ne semblent pas assumer ce retard d’où la une du journal du dimanche « Vaccin : la colère de Macron » : « en public comme en privé, Emmanuel Macron tape du poing sur la table. Le chef de l'Etat veut que la campagne de vaccination accélère » après avoir indiqué ne pas vouloir s’installer une lenteur injustifiée du programme de vaccination lors de ses vœux 2021 aux Français.

Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron évoque des faiblesses administratives dans la gestion de la pandémie covid-19. Dès son allocution du 13 avril 2020 à mi-parcours du premier confinement, il indiquait : « comme vous, j'ai vu des ratés, encore trop de lenteur, de procédures inutiles, des faiblesses aussi de notre logistique. Nous en tirerons toutes les conséquences, en temps voulu, quand il s'agira de nous réorganiser. ». Idem lors de son allocution du 24 novembre 2020 : « nous avons aussi identifié certaines de nos faiblesses : une organisation imparfaite, trop de bureaucratie, parfois un sens des responsabilité inégale ».

On peut inférer de la similarité des propos d’hier avec ceux d’il y a neuf mois puis d’il y a six semaines que rien ne semble avoir beaucoup changé sous le soleil du coronavirus alors que la France comme tous les pays du monde connait des circonstances exceptionnelles qui constituent des opportunités majeures de transformation rapide en situation d’urgence.

Face à ces stabilités, on ne peut que rappeler la pertinence de la vision trentenaire de Jean-François Revel qui dénonçait « l’absolutisme inefficace » de la fin de présidence mitterrandienne alors même que plusieurs transformations institutionnelles ont renforcé encore les prérogatives Président de la République Française sans aucun équivalent dans aucun autre pays démocratique : mise en place du quinquennat en 2000, juniorisation du Parlement du fait de l’inversion du calendrier électoral à compter de 2002, reflux de fait de la décentralisation lancée au début des années 1980.

Outre les limites apparentes du système institutionnel, il faut rappeler la domination de la communication sur l’activité politique dans la France contemporaine. Cela pose la question de la part dans les mots d’Emmanuel Macron de la dimension communicationnelle (« payer son écot à la grogne anti-administrative qui monte », comme l’évoque Arnaud Benedetti) et celle d’une prise de conscience voire d’un fouettage au moins provisoire de l’administration.

Eric Verhaeghe : De fait, on ne peut pas complètement donner tort à Emmanuel Macron sur les origines factuelles de la lenteur de cette campagne de vaccination. Le Président de la République ne devrait pas avoir à s'occuper des détails techniques de cette opération, et une administration judicieuse, compétente, devrait lui présenter un plan ambitieux et raisonnable de vaccination. En l'espèce, c'est tout l'inverse qui a été conçu. La technostructure sanitaire a tout fait pour que la vaccination soit la plus lente possible. Elle est d'abord partie du principe que ce n'était pas aux gens d'aller aux vaccins, mais aux vaccins d'aller aux gens. On ne pouvait pas imaginer processus plus lent, surtout avec un vaccin qui doit être conservé à -74°C. Alors que l'Allemagne a fait le choix de constituer des vaccinodromes où le processus est fait à la chaîne, la France a choisi la solution artisanale. Ensuite, la France a priorisé les personnes les moins mobiles : les personnes âgées dépendantes. Il est incompréhensible que ce ne soit pas les soignants, qui sont tout de même les plus exposés et les plus sensibles dans la stratégie médicale, qui soient prioritaires. Enfin, la France fait le choix d'injecter deux doses par patients au lieu d'une, ce qui permet de gagner 25 points dans l'efficacité du vaccin, mais qui retarde d'autant le bouclage de la campagne de vaccination. 

Bref, une fois de plus, l'administration a fait des choix de sécurité et de perfection qui collent assez peu avec l'urgence de la situation. 

La sphère politique peut-elle se considérer comme innocente dans cette affaire ? Pas pour autant. C'est aux ministres et au Président de la République de cadrer le travail de la haute administration et, une fois de plus, nous constatons que ce cadrage n'a pas lieu. Dans la pratique, les fonctionnaires sont en roue libre et Emmanuel Macron semble incapable d'avoir une vraie autorité sur ses services. Il fait des moulinets dans l'air, il pousse des gueulantes, mais aucun haut fonctionnaire ne semble avoir peur de lui. D'ailleurs, il n'a viré aucun de ces incapables. Jérôme Salamon, qui a "oublié" de commander des masques avant la pandémie, est toujours en poste. Ce genre d'impunité ne pousse pas à l'obéissance. 

Cette « colère » d'Emmanuel Macron ne risque-t-elle pas d'entamer encore plus la crédibilité des responsables politiques, qui semblent n'être jamais responsables de rien - ni de la pénurie sur les masques, ni de celle des tests, ni maintenant de celle des vaccins ?

Pierre Bentata : Oui, on est allé de cafouillages en cafouillages dans cette crise. Jusqu'à présent, le pouvoir s'en sortait en disant que c'était de la faute des gouvernements précédents pour les masques, puis qu'on était obligés de tâtonner... On a fait un premier confinement aux effets graves sur l'économie, du coup le second était plus light, on nous a donné des objectifs absolument inatteignables de cas, des dates de réouverture des lieux culturels qui ont été repoussées... A chaque fois, en nous disant : "quand on aura un vaccin, les choses se passeront mieux". Et aujourd'hui, on voit que rien n'était prêt à leur arrivée.

Emmanuel Macron, semble-t-il, était parfaitement honnête lorsque, dans son interview à Brut, il avait dit de ne pas croire les gens qui disaient qu'il y aurait un vaccin en février ou mars. A priori, il n'y croyait vraiment pas et, du coup, rien n'a été préparé. C'est étonnant quand on voit que la plupart des pays développés avaient tout mis en place au cas où, justement, un vaccin serait disponible rapidement ! Il y a là une vraie faute de la part de nos décideurs, et même de toute l'administration : les ARS, le directeur de la santé, le ministre de la Santé qui en plus aujourd'hui quasiment devenu le ministre de l'Economie, et bien sûr le président. Dans un système comme le nôtre, il est impossible que le président ne rende pas des comptes.

Les responsables politiques ont décidé de jamais rendre des comptes. Ils n'ont jamais dit qu'ils avaient commis des erreurs au départ. Ils n'ont jamais dit qu'ils avaient confiné trop tard. Et là encore, ils ne nous disent pas que ce sont eux qui ont commis des erreurs dans cette catastrophique campagne vaccinale. Cela ne peut qu'entamer la crédibilité et la légitimité de nos politiques parce qu'au lieu d'admettre qu'ils font des erreurs, ils rejettent à chaque fois la faute sur l'autre sans que cela ne soit crédible une seule seconde. C'est impossible, quand on voit comment fonctionne aujourd'hui le gouvernement, de se dire qu'il aurait pu légitimement être pris de court. Il n'a aucune raison.

Charles Reviens : Il y a eu effectivement une très grande difficulté dans la communication des pouvoirs publics à admettre des dysfonctionnements répétés et souvent très visibles dans la gestion de la crise sanitaire depuis près d’un an.

L’enjeu des vaccins me semble toutefois d’une nature nettement plus complexe que les enjeux sanitaires précédents (masques, lits de réanimation, rapidité des tests, isolement effectif de personnes contaminées et contaminantes). En effet ces sujets posaient beaucoup moins de problèmes de principe et relevaient principalement de l’action qu’on peut attendre d’un gouvernement efficace. Pour les vaccins les questions sont beaucoup plus vastes et les réponses à date plus incertaines : doit-on rendre la vaccination obligatoire ou comment mettre en place des mécanismes d’incitation conduisant une grande partie de la population à accepter de se faire vacciner (« voluntary compliance ») ? quel est l’équilibre cout-avantage d’une vaccination au regard d’éventuels effets secondaires négatifs pour la santé ? quel impact des mutations du virus sur les stratégies vaccinales ?

Une autre difficulté de l’époque concerne l’articulation objectivement délétère en France entre responsabilité politique et responsabilité pénale des responsables publics (bien entendu dans le seul champ de la conduite de l’action publique). Il est fort probable que le syndrome de l’affaire du sang contaminé des années 1990 pèse, avec d’immenses effets pervers, sur les décisions des exécutifs dans le champ sanitaire, alors que l’essentiel devrait relever de la responsabilité politique, avec la possibilité pour le peuple de changer par le suffrage un exécutif défaillant.

Eric Verhaeghe : Comme je viens de le dire, la colère d'Emmanuel Macron interroge sur son autorité. Comme vous l'indiquez vous-mêmes, Macron pousse une gueulante au moins tous les trois mois dans cette gestion de crise (les mauvaises langues vous diront que ses gueulantes sont bien plus fréquentes). C'est bien la preuve qu'il y a un dysfonctionnement systémique qui n'est pas résolu. Or, l'armée mexicaine qui compose la haute administration ne lui laisse que l'embarras du choix pour écarter les incompétents, dont on connaît la liste. On a cité le nom de Jérôme Salamon dont les failles sont apparues au grand jour lors de son audition à l'Assemblée Nationale. On pourrait parler d'Olivier Véran, qui refuse de rendre compte de son inaction devant les parlementaires, au point que le président du Sénat a écrit une lettre de protestation au Président sur ce sujet, et qui multiplie les mauvais choix. Véran s'est montré incapable d'organiser une campagne de tests correcte, et il échoue lamentablement sur la vaccination, en cautionnant une opération sans doute cohérente d'un point de vue médical mais indéfendable politiquement.

Véran et Salomon sont pourtant les deux personnalités chargées, dans l'organigramme, de faire la jonction entre le politique et le bureaucratique. Mais que dire de la vacuité de Jean Castex, qui a endossé cette stratégie vaccinale devant l'Assemblée dont tout le monde se plaint aujourd'hui, et que le Président demande d'accélérer. Le problème d'Emmanuel Macron est évidemment qu'il a choisi tous ces gens qui échouent : depuis Castex, présenté comme le Monsieur Déconfinement, jusqu'à Salomon, qui fut conseiller du Président. C'est face aux ratés d'une équipe qu'il a choisie que Macron s'époumone aujourd'hui, et ça, c'est le signe que notre Président n'est pas ni un bon recruteur, ni un bon manager. 

Il n'y a pas acte médical plus simple que la vaccination, pratiqué des dizaines de millions de fois chaque année par les médecins, les infirmiers et même les pharmaciens dans le cas de la grippe. Pour le Covid-19, un protocole incroyablement contraignant a été mis en place par l'administration. Celles-ci, par leur peur panique de brusquer la population (et notamment les anti-vaccins) ou, une fois encore, de prendre ses responsabilités, a-t-elle saboté la procédure vaccinale ?

Charles Reviens : Je n’ai pas la légitimité scientifique et médicale pour faire des comparaisons entre les vaccinations récurrentes et la vaccination covid-19, mais il y a probablement des différences majeures à l’instar de l’obligation de conserver le vaccin Pfizer, le seul disponible à date, à une température extrêmement basse.

Toutefois si peu de vaccins ont été administrés à date, les recommandations n’ont en revanche pas manqué, qu’elles proviennent de la haute autorité de santé, du comité consultatif national d’éthique, du conseil d'orientation de la stratégie vaccinale présidé par l’immunologue Alain Fischer qui admet n’être pas un spécialiste des questions logistiques (alors que c’est l’enjeu clé pour Philippe Juvin particulièrement critique pour le plan d’action du gouvernement), un collectif citoyen bientôt tiré au sort…

Tout cela aboutit à un plan de vaccination qui semble lent au moins dans ses débuts et pour lequel on verra si la colère médiatisée d’Emmanuel Macron permet l’accélération, avec des segmentations de la population en plusieurs tranches (résidants d’Ehpad, puis personnes âgées de plus de 75 ans, puis personnel soignant et ensuite le reste de la population) déjà partiellement remises en cause.

L’importance donnée à cette impressionnante comitologie constitue clairement un facteur d’entropie et de dilution de la responsabilité politique sans oublier l’épée de Damoclès toujours présente de la responsabilité pénale évoquée plus haut.

Eric Verhaeghe : Je dirais que c'est le sabotage ordinaire de la bureaucratie, qu'elle soit sanitaire ou pas, qui aime la complication par nature et craint la simplicité. Cette complexité se justifie toujours par de prétendues bonnes raisons : la sécurité, l'exactitude, le respect d'innombrables règles et procédures. Cette complexité se donne libre cours si les hauts fonctionnaires, et surtout si les ministres ne font pas des choix politiques clairs : fixer un objectif de rapidité, et prendre la responsabilité d'assumer certains risques. On voit bien ici qu'un Véran est le maillon faible de l'équipe. C'était son rôle de demander à simplifier la procédure de recueil du consentement. Elle laisse plusieurs jours de rétractation au patient aujourd'hui, comme s'il s'agissait d'un avortement. Ce délai est incompréhensible. Soit les gens veulent se faire vacciner, soit ils ne le veulent pas. S'ils le veulent, il faut les vacciner immédiatement. On n'est pas ici face à un choix moral complexe comme un avortement. On est face à un choix sanitaire limité, où la personne sait à l'avance si elle est prête à endurer des effets secondaires potentiellement dangereux, mais très exceptionnels. Ce choix-là est lourd, mais il n'est pas nouveau et ne prend que peu de gens au dépourvu. 

Là, il faut un ministre capable de bousculer ses services et de prendre la responsabilité de simplifier les procédures pour atteindre les objectifs politiques fixés par le Président. Faute de décideur politique, l'administration suit son cours : celui de la lenteur et de la complication.

Si vraiment l'administration est responsable de cette situation, a-t-elle la possibilité de répondre à la colère d'Emmanuel Macron et, pour reprendre un terme du monde des start-up, de passer en « mode agile » pour répondre au défi de cette vaccination ?

Pierre Bentata : Oui, sur le fond, on peut. Mais l'enjeu est cette question d'agilité. On a un monstre administratif qui est ultra centralisé. Or, on voit bien que pour qu'une campagne vaccinale fonctionne, on ne peut pas l'administrer d'en haut. Il faut revenir à une échelle locale. Ce qui est vraiment catastrophique, c'est que des maires avaient tenté de prévoir un parcours logistique sur leur territoire. A chaque fois qu'ils ont essayé de contacter l'Etat, les hôpitaux ou les laboratoires, ils ont compris qu'ils ne pouvaient rien faire, car tant que les choses ne viennent pas d'en haut, rien ne bouge. Résoudre cela nécessite un changement de mentalité, pour transformer l'inertie de l'administration en décentralisant, en redonnant de l'autonomie à des acteurs qui aujourd'hui n'en ont pas. C'est un changement mental à opérer, ce qui est le plus dur. C'est pour cela qu'on peut être sceptiques sur la capacité de mettre en place d'un coup une campagne vaccinale qui soit rapide. On voit mal comment on pourrait passer, fin janvier, à 100.000 vaccins par jour alors que nous semblons aujourd'hui incapables de le faire.

Charles Reviens : La crise sanitaire covid-19 constitue depuis un an une circonstance exceptionnelle et dramatique qui teste brutalement la robustesse des écosystèmes de santé publique de tous les pays du monde.

La crise est l’occasion pour de nombreux essayiste d’instruire le procès de l’écosystème français. Jacques Julliard nous disait récemment que « beaucoup des absurdités que chacun dénonce depuis un an proviennent de ce que la France est tout à la fois suradministrée et sous-gouvernée, Erwan Le Noan indique que 2020 est l’année du naufrage de l’Etat, tandis que Michel Onfray et Eric Verhaegue ne sont pas en reste sur leurs critiques.

Ces critiques liées à l’analyse des circonstance de la crise sanitaire se combinent à des critiques plus structurelles comme celles de « l'aristocratie stato-financière » d’Emmanuel Todd ou les analyses sur les « inamovibles » de Chloé Morin, selon laquelle la question de l’Etat et de sa réforme est quasiment sortie du débat politique et les hauts fonctionnaires ont prospéré sur le vide laissé par les responsables politiques avec des conséquences délétères : aberrations technocratiques, déconnexion des élites de l’appareil d’État, lourdeurs bureaucratiques, absurdités administratives, diagnostic d’un Etat désarmé incapable d’assurer ses missions essentielles, Etat faible avec les forts et fort avec les faibles…. L’heure est donc au procès de l’Etat et de son évolution (affaiblissement ?) sur les dernières décennies.

Un livre de 1940 dont on relève la pertinence en cette période est « l’étrange défaite » de Marc Bloch, on l’on peut lire notamment les commentaires suivants sur l’institution militaire française : « il y a des militaires de profession qui ne seront jamais des guerriers et des civils, au contraire, qui, par nature, sont des guerriers. » Cette comparaison avec la situation de guerre (rapidité, prise de risques, décisions en information incomplète) et les profils qu’elle nécessite, d’ailleurs évoquée par Emmanuel Macron en mars 2020, me semble plus utile que la référence aux start up qui renvoie davantage à ses propos de 2017.

Eric Verhaeghe : L'administration, sur le papier, est capable de devenir agile, mais elle a un empêchement majeur pour y arriver : l'incompétence des hauts fonctionnaires. Ces gens, qui vivent dans l'entre-soi et pratiquent la politisation comme un art, ne sont plus du tout adaptés à leur époque : ils sont d'abord engoncés dans une culture de la verticalité qui est à l'opposé de l'agilité, ils sont fondamentalement centralisateurs, là où seule la décentralisation fonctionne pour aller vite, et ils ne comprennent rien à la démarche qualité, fondée sur une amélioration permanente des procédures. Bref, le principal obstacle à l'agilité de l'administration tient à l'encadrement de la fonction publique qui est aussi périmé qu'imbu de ses propres qualités. Sans un large plan de dégagement des cadres, nous devrons subir un Etat impotent pendant de nombreuses années encore. 

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