Une récession qui ne dit pas son nom : les indicateurs économiques des Etats-Unis sont manipulés (et c’est un institut américain qui le dit)<!-- --> | Atlantico.fr
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Le marché du travail Américain est en très mauvais état.
Le marché du travail Américain est en très mauvais état.
©Flickr

A tort ou à raison

Si les chiffres officiels font état d'une croissance de 1% aux Etats-Unis, selon l'Economic Cycle Research Institute (ECRI) le pays serait en réalité en pleine récession. Explications.

Bruno Bertez

Bruno Bertez

Bruno Bertez est un des anciens propriétaires de l'Agefi France (l'Agence économique et financière), repris en 1987 par le groupe Expansion sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber.

Il est un participant actif du Blog a Lupus, pour lequel il rédige de nombreux articles en économie et finance.

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Vous connaissez notre position, nous ne cessons d’écrire que les indicateurs économiques américains sont mitigés. Tantôt, ils pointent dans le sens d’une croissance modérée ; tantôt, ils pointent dans le sens de la récession. Présentement, le rythme de croissance est faible puisque les derniers chiffres ressortent autour des 1%. Compte tenu des marges d’erreur et compte tenu des incertitudes sur la collecte des données, ces 1% de croissance annoncée peuvent très bien recouvrir une récession. Nous pensons que la meilleure caractérisation de la situation économique américaine consiste à dire que l’on flirte avec la récession.

L'ECRI, Economic Cycle Research Institute, fait autorité dans l’étude conjoncturelle et dans le diagnostic de retournement des cycles des affaires. Vous pouvez trouver ses méthodologies et ses références sur son site. Les références passées sont convaincantes, cet institut ne semble avoir aucun biais, pas plus idéologique que politique.



Lakshman Achuthan est le porte-parole de l’ECRI. Il intervient régulièrement sur les médias pour commenter les divers indicateurs que publie l’institut. Bloomberg l’a invité récemment et nous pensons que cet interview, laquelle intervient en plein débat sur la politique monétaire américaine, est importante. On est en train de débattre de l’opportunité ou de la nécessité de ralentir  les achats de titres de la Réserve fédérale ; on est en train de supputer et de tirer des conjectures sur le futur remplaçant de Bernanke. Les indications que l’on peut tirer de l’analyse de la conjoncture américaine constituent des éléments indispensables pour éclairer les débats en cours. Donc, Achuthan était sur Bloomberg. Voici l’essentiel de son intervention :
-          Achuthan considère que les Etats-Unis sont entrés en récession en 2012
-          Achuthan considère que les Etats-Unis sont dans une situation qui est comparable à celle que connaît le Japon depuis 1992
-          La croissance globale marque une tendance au ralentissement généralisé et cette tendance a commencé bien avant le début de la crise financière de 2008/2009.

Voici les propos d’Achuthan rapportés de façon un peu plus explicites. Nous avons privilégié le sens sur le formel. Les pouvoirs publics ont toujours la même politique, ils nient la réalité. Personne parmi les responsables n’a envie de reconnaître que l’économie est en récession. Au-delà des chiffres, il y a cependant une indication qui ne trompe pas : « vous n’auriez pas une politique de taux d’intérêt zéro et de Quantitative Easing qui dure depuis 4 ans si tout était OK ».

On objecte souvent que les statistiques de l’emploi s’améliorent. La réalité est que si l’on dépasse les headlines, les titres des journaux, le marché du travail est en très mauvais état. Il faut fouiller et voir en profondeur et, là, on s’aperçoit que la qualité des emplois est déplorable. Ce que l’on crée, ce ne sont pas des emplois qui font de l’argent.  Si vous avez entre 35 et 54 ans, et que vous vous placez dans la perspective des trois dernières années et demi, c’est-à-dire dans cette période de soi-disant reprise de l’emploi, vous constatez en réalité que ce qu’il y a eu, ce sont des pertes d’emplois et non pas des gains.

Dans cette tranche d’âge et au cours de cette période, près d’un million d’emplois ont été perdus. Dans cette tranche d’âge, c’est la période où vous êtes censé gagner le plus d’argent et dépenser le plus. Les gens que vous interrogez n’ont pas cette impression de gagner plus d’argent et de pouvoir dépenser plus et ceci est au cœur de la situation économique présente.



Il y a une sorte de bulle des inégalités et de bulle du luxe. Ceci s’explique par la vive remontée des prix de l’immobilier et la hausse du marché financier. « Si vous êtes dans l’environnement Wall Street, vous êtes près des hélicoptères qui déversent le cash ».

Hélas, tout le monde n’est pas près de Wall Street et la plupart des gens habitent Main Street. Il y a une sorte de déconnexion. Les opinions sur ce qu’il faut faire divergent. Les conservateurs disent : il y a trop de règlementations et trop de taxes. Les « liberaux » disent : « faisons un peu plus de keynésianisme » et de répartition. Nous, à l’ECRI, nous pensons que tout le monde passe à côté de l’essentiel. Et l’essentiel, c’est que la croissance a commencé à baisser bien avant la Grande Récession. C’est un phénomène de long terme qui résulte de problèmes structurels. Et ce phénomène ne concerne pas que les Etats-Unis.
Dans son interview, Achuthan ne suggère pas que les indicateurs économiques sont manipulés. Il insiste sur le fait que les chiffres publiés dans l’actualité sont toujours des chiffres préliminaires. Ils sont révisés massivement par la suite.

Et ces révisions sont, dans la plupart des cas, négatives. Les responsables de la conduite des affaires se gardent bien d’y insister. Les médias les ignorent. On applaudit des croissances de 1% alors que les révisions montrent systématiquement que des variations aussi faibles recouvrent, en réalité, des situations très incertaines et bien souvent, derrière,  la croissance masque un recul.

The GDP revision chart (pre- and post-revisions):


Another GDP revision chart (pre- and post-revisions):


Si l’on reconnaissait qu’il n’y a pas de croissance, cela pénaliserait l’action de la Fed. La Fed recherche l’effet de richesse, elle impose des taux d’intérêt zéro et il est évident qu’il faut qu’elle le justifie. C’est de la politique.
Sur la question de la comparaison avec le Japon, Achuthan est explicite. Il décortique la structure de la croissance depuis le début des années 70 et il constate que tout va dans le même sens : le ralentissement structurel. Ce ralentissement est antérieur à la phase de deleveraging qui a été provoqué par la GFC, la Grande Crise Financière. Les récessions, depuis 1970, sont en fait plus fréquentes qu’on ne veut bien le reconnaître ; les reprises se succèdent, mais elles sont de plus en plus faibles.
Dans ce schéma, on a utilisé de plus en plus la politique monétaire. Cette utilisation n’a pas permis de casser la tendance au ralentissement ; en revanche, elle a conduit à l’excès de dettes qui a débouché sur la crise de 2008.


Cet article a auparavant été publié sur le blog à lupus.

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