Transparence au sein de la classe politique : comment Emmanuel Macron s’est emparé de la moralisation de la vie publique après l’affaire Fillon<!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme colle des affiches électorales dans la ville de Rennes, dans l'ouest de la France, le 10 avril 2017.
Une femme colle des affiches électorales dans la ville de Rennes, dans l'ouest de la France, le 10 avril 2017.
©DAMIEN MEYER / AFP

Bonnes feuilles

François Aubel et Soazig Quéméner publient « La dictature des vertueux. Pourquoi le moralement correct est devenu la nouvelle religion du monde ? » aux éditions Buchet Chastel. Au secours, les vertueux sont de retour ! Politique, entreprise, médias, culture : partout, ces défenseurs autoproclamés du camp du bien tentent d'imposer au forceps leur vision d'un monde qu'ils rêvent sous cloche, avec pour seule boussole leur propre morale. Extrait.

François Aubel

François Aubel

François Aubel est rédacteur en chef du service culture du Figaro. Spécialiste de la culture, il a travaillé à Libération, au Monde, au Journal du dimanche, à Epok et à Madame Figaro, où il a exercé, en 2007, la fonction de chef de rubrique.

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Soazig Quéméner

Soazig Quéméner

Soazig Quéméner est rédactrice en chef politique à Marianne, dont elle a rejoint la rédaction en 2014, après 15 années passées au Journal du dimanche au service Société, en charge successivement des rubriques Famille, Santé, Environnement et Religion, puis au service Politique. Elle a notamment publié NKM, la présidente (JC Lattès, 2014) et co-auteur de Julie Gayet, une intermittente à l’Elysée (Editions du Moment, 2016).

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Autre membre du club des ex-locataires de Matignon, François Fillon n’est pas loin de partager cet avis. Lui clame depuis cinq ans que le recrutement de membres de sa famille par un député était une pratique courante à l’Assemblée où il a siégé pour la première fois en 1981 et qu’il n’y avait donc rien de répréhensible ni d’amoral à ce qu’il salarie son épouse.

Il semble oublier que c’est le possible caractère « fictif » de l’emploi de Penelope Fillon qui a mis le monde politico-médiatique en émoi et a percuté la campagne présidentielle du grand vainqueur de la primaire de la droite et du centre…

Le principal tort de François Fillon n’est-il pas avant tout de s’être fait passer pour un chevalier blanc ? Il faut dire qu’il s’était extirpé du quinquennat Sarkozy sans la moindre tache au revers de son élégant veston. Un petit exploit, tant les affaires ont pullulé dans la période 2007-2012. Tout juste l’avait-on croisé dans les prétoires en 2015. Mais c’est lui qui attaquait ; en l’occurrence les journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme, qu’il accusait de l’avoir diffamé, en écrivant dans leur livre Sarko s’est tuer (Stock, 2014) qu’il avait supplié, lors d’un déjeuner organisé le 24 juin 2014, le secrétaire général de l’Élysée Jean-Pierre Jouyet d’accélérer les poursuites contre Nicolas Sarkozy, visant notamment ses comptes de campagne  2012. « Tapez vite, sinon vous allez le laisser revenir », aurait lancé François Fillon, espérant ainsi empêcher le retour en politique de son rival. Finalement, l’ancien Premier ministre n’avait pas eu gain de cause devant le tribunal correctionnel. Mais c’était la seule ombre au tableau.

François Fillon se croyait en tout cas assez vertueux, ou du moins assez inattaquable pour pouvoir, le 28 août 2016, galvaniser ses troupes à Sablé-sur-Sarthe, avec une sortie qui a fait date dans l’histoire de la droite et même de la politique française. Comme souvent chez le député de Paris, le discours est monté crescendo : « Ceux qui ne respectent pas les lois de la République ne devraient pas pouvoir se présenter devant les électeurs.  Il ne sert à rien de parler d’autorité quand on n’est pas soi-même irréprochable. » Tout le monde avait compris la référence à Nicolas Sarkozy, alors enferré dans l’affaire Bygmalion, celle du financement de sa campagne de 2012. Mais le « conservateur bien coiffé », comme l’avait dépeint son ancien ministre Jean-Louis Borloo, n’avait pas pu s’empêcher d’aller plus loin, avec une phrase à valeur d’assassinat politique : « Qui, qui imagine un seul instant le général de Gaulle mis en examen ?! » s’était-il exclamé. Pire qu’une félonie, une haute trahison de la part d’un ancien Premier ministre resté cinq ans à Matignon, justement grâce à cet homme qu’il mettait ce jour-là en joue ! Ces neuf mots désormais fameux allaient le poursuivre pendant toute sa campagne électorale puisqu’il serait lui-même mis en examen et poursuivrait, malgré ses promesses, sa marche vers la présidentielle.

On l’a oublié, dans la toute dernière ligne droite avant l’élection, une autre affaire, concernant des montres offertes en cadeau, avait, elle aussi, éclaté. François Fillon aurait reçu trois montres de luxe, offertes par des hommes d’affaires, dont au moins une alors qu’il était Premier ministre. Le Sarthois avait pourtant signé en 2007 une circulaire demandant à ses ministres de ne pas conserver les présents reçus dans l’exercice de leurs fonctions gouvernementales. Un nouvel exemple du « Faites ce que je dis, pas ce que je fais »…

Nourri de cet instructif précédent auquel il doit en partie sa victoire à la présidentielle, Emmanuel Macron s’élance lui aussi à pleine allure dans le train de la moralisation de la vie publique. À peine élu, le huitième président de la Ve  République en fait même son tout premier marqueur politique. Cette aspiration populaire à plus de vertu, ses troupes l’ont rapportée de la Grande Marche lancée en avril 2016 pour préparer sa candidature. Mais Emmanuel Macron répond aussi à la demande pressante de son allié François Bayrou. Cela fait partie des termes de l’accord qu’ils ont scellé en février 2017 : en échange du soutien du Béarnais pour la présidentielle, le candidat a promis des circonscriptions aux législatives pour le MoDem, l’instauration d’une dose de proportionnelle pour les élections législatives et un texte de moralisation de la vie publique. Ce sera la toute première loi de la nouvelle présidence. Il s’agit d’interdire l’emploi par des parlementaires de membres de leur famille, une référence évidente au Penelope Gate, mais aussi de supprimer la réserve parlementaire, l’enveloppe dont disposent les députés pour distribuer, comme bon leur semble, des subventions. Comme une nouvelle remise à zéro des compteurs de la vertu.

Pour une fois, cette loi ne suit pas, mais accompagne, hasard fâcheux du calendrier, le déclenchement des deux premières affaires du quinquennat Macron : Richard Ferrand, ministre de la Cohésion des territoires et grognard de la vieille garde d’Emmanuel Macron, est mis en cause pour une transaction immobilière réalisée au profit de sa compagne par les Mutuelles de Bretagne, organisme dont il est alors directeur général. Plus gênant encore, le MoDem, le parti de François Bayrou, garde des Sceaux, est accusé, tout comme le mouvement de Jean-Luc Mélenchon, d’avoir profité d’emplois fictifs au Parlement européen. Dans ce contexte tendu, avant même d’arriver au Conseil des ministres, le texte donne lieu à une dispute sémantique des plus instructives entre François Bayrou et le Premier ministre Édouard Philippe, qui n’est, quant à lui, lié par aucun pacte avec le président du MoDem et qui tient à changer l’intitulé de cette loi. « Édouard disait que la moralisation est un terme fumeux, jamais abouti et qu’il ne s’agit pas de morale mais avant tout de droit. Bayrou tenait à sa moralisation mais Édouard trouvait ça infondé, bébête même. Il avait en tête l’idée qu’on n’irait jamais assez loin aux yeux des électeurs », confie l’un des proches du maire du Havre.

Matignon remporte la bataille et le projet de loi est rebaptisé « Pour la confiance dans notre vie démocratique ». « Rétablir la confiance, c’est un objectif atteignable », explique encore un ancien de Matignon. Piqué au vif, François Bayrou présente tout de même son texte campé derrière un pupitre barré de l’intitulé « Moralisation de la vie publique » mais précise au passage sa pensée : « Il ne s’agit pas de laisser penser qu’on va régler les problèmes de morale individuelle par un texte. La morale est une question personnelle et même une question de conscience personnelle. Mais personne ne peut imaginer qu’un texte va rendre tous les acteurs de la vie publique vertueux. »

Le terme « morale » devenait de toute manière radioactif, pour François Bayrou comme pour Richard Ferrand. « Le réel est tellement dur avec ce genre de questions », soupire encore un proche de l’ancien locataire de Matignon. Cela sous-entend que, de la même manière qu’il n’y aura jamais d’homme « pur », il n’y aura jamais d’homme politique « pur », n’en déplaise à Jean-Jacques Rousseau. François Bayrou finit par acter sa reddition. « J’entends bien les remarques sur le fait que “moralisation”, ça a un caractère qui peut être discuté du point de vue des principes philosphiques. Donc, on a pensé que la suggestion d’appeler le texte “Loi pour la confiance dans la vie politique” était fondée », consent-il alors. Peu importe l’intitulé du texte, il sera vite oublié.

La suite du quinquennat a montré qu’il n’avait en rien permis de rapprocher les politiques des Français. Dix-huit mois plus tard, Emmanuel Macron reconnaissait d’ailleurs son échec lors d’une interview réalisée depuis le porte-avions Charles de Gaulle. « Il y a une chose que je n’ai pas réussi à faire. Je n’ai pas réussi à réconcilier le peuple français avec ses dirigeants. Ce divorce est au cœur de toutes les démocraties occidentales », expose alors le président de la République. Avant d’expliquer : « Nos concitoyens attendent de la protection, de la considération et du respect. La considération, on  ne l’a sans doute pas assez montrée. » Il faut, selon lui, « les écouter et décider d’une manière différente, pas toujours à Paris, aller se confronter au terrain, beaucoup plus ». La considération comme vertu cardinale ? Voilà qui aurait sans doute permis de régler la crise des Gilets jaunes bien plus vite. Depuis cette allocution, Emmanuel Macron ne se risque plus à parler de moralisation, mais n’a pas pour autant renoncé à s’efforcer d’incarner la vertu, concept décidément élastique en politique, sous une autre forme.

Prenant à la lettre la première partie de la définition du mot – « Force morale avec laquelle l’être humain tend au bien » –, il a même profité de l’effacement du clivage droite/gauche pour tenter d’y substituer un autre axe : le bien contre le mal. Il figurerait le bien, le camp de la raison, comme le serinent ses proches, face aux déraisonnables, qu’ils soient incarnés par l’extrême  droite, la gauche écologiste, le mouvement woke, ou encore la droite qui prétend désormais s’affranchir des contraintes européennes et constitutionnelles. Mais confisqué par le politique, le bien  devient une valeur toute relative. Ainsi, très tôt durant son quinquennat, Emmanuel Macron se trouve confronté à un mal facilement identifiable par toute une partie de ses soutiens : le mouvement des Gilets jaunes, ce mouvement de revendication sociale rapidement étouffé par sa propre violence, symbolisée par l’incendie de la préfecture du Puy-en-Velay, le saccage de l’Arc de Triomphe, ainsi que la destruction de la porte du ministère des Relations avec le Parlement.

Mais qui peut réellement dire où se situe le bien en politique ? L’Assemblée nationale résonne encore de la fameuse saillie de François Baroin, ministre de l’Économie sous le quinquennat Sarkozy, assenant aux socialistes qu’ils seraient arrivés au pouvoir « par effraction » après la calamiteuse dissolution de 1997. Est-ce à dire que quand la gauche est au pouvoir, c’est à la suite d’une mauvaise action, délictueuse ? Que ce serait « mal » ? Il fallait également entendre le cri de Baroin comme le reflet d’une certaine frustration d’une droite qui a soupé d’entendre répéter que la gauche est nimbée de toutes les vertus, quand elle incarnerait au contraire l’argent, l’intérêt et parfois même l’immoralité.

L’historien Christophe Prochasson a consacré un essai historique à la question de savoir si la gauche est morale, depuis l’affaire Dreyfus, en passant par une forte critique du molletisme pendant la guerre d’Algérie. Il incite à trouver une troisième voie entre « le carcan d’un discours technocratique ou le moralisme nourri d’une indignation sans effet ». Interrogé par la Fondation Jean-Jaurès, il avait défendu une « réforme intellectuelle et morale du socialisme. Pour que la gauche ne se contente pas de plaider pour des politiques de redistribution et de lutte contre les inégalités, mais mette ses discours en actes. » C’était en 2010, deux ans avant l’élection de François Hollande, trois ans avant l’affaire Cahuzac.

Extrait du livre de François Aubel et Soazig Quéméner, « La dictature des vertueux. Pourquoi le moralement correct est devenu la nouvelle religion du monde ? », publié aux éditions Buchet Chastel

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