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Tous végétariens ou vegans ? Quand l’OMS met le hola sur les régimes universels écologiques
©Reuters

Je ne mange pas de graines !

La Commission "EAT-Lancet" sur l'alimentation a publié en janvier 2019 un article qui défend l'idée d'un régime alimentaire universel dans une perspective écologique. Or l'OMS vient de désapprouver l'étude en utilisant comme argument la santé, mais aussi l'économie, notamment dans les pays pauvres.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Quels sont dans le détail les arguments de l'OMS et vous semblent-ils satisfaisants ?

Guy-André Pelouze : L’alimentation est indispensable à la survie et à la qualité de vie de l’espèce humaine.

Ce n’est que grâce à la production alimentaire que l’espèce s’est développée dans l’histoire et notamment qu’elle est sortie des famines et des épidémies au 18ème siècle. Il faut rappeler les faits qui ont été décrits dans le livre du Prix Nobel Robert William Fogel en 2004: The escape from hunger and premature death, 1700-2100. En France au début du 18ème siècle la ration calorique journalière était de 1657 calories (Figure n°1). Ce qui laissait 439 calories en moyenne pour la production et d’autres activités. Cette énergie excédentaire disponible est aujourd’hui de plus de 2000 calories. La ration calorique qui aujourd’hui est excédentaire était jusque là un facteur limitant de la productivité, des loisirs, de l’espérance de vie et de la qualité de vie. C’est ce que démontre par ailleurs la distribution de cette consommation calorique journalière (Figure n°2).  Historiquement cette production alimentaire ancestrale est adaptée à la niche écologique qu’occupe une population. La production industrielle et l’essor des échanges commerciaux (ce que l’on appelle la globalisation) ne doivent pas faire sous estimer la production locale. Cette dernière malgré des différences de modèle économique est en moyenne meilleur marché et de surcroît adaptée aux goûts et cultures locales.  De plus elle assure une indépendance alimentaire aux populations qui la pratiquent.

Les rations caloriques depuis 1700 en France et en Grande Bretagne. La production alimentaire a permis la sortie d’un monde de famines et de mort prématurées.

Distribution de la consommation journalière de calories en France et en Angleterre à la fin du 18ème siècle mettant en évidence des différences du simple au triple.

L'Organisation Mondiale de la Santé abandonne son adhésion au régime EAT-Lancet

Le sens du revirement de l’OMS est multiple. L’OMS a constaté que si des pays qui ont un PIB/habitant faible étaient privés de certaines productions animales pour des raisons de planification à l’échelle mondiale une crise grave surviendrait à la fois alimentaire et sociétale. Plus grave encore l’OMS constate qu’il s’agit d’une initiative qui demande un gouvernement autoritaire:

“La Commission identifie différents types d'interventions publiques visant à «changer le système alimentaire mondial», qui vont de mesures moins contraignantes (telles que «l'éducation» du public par le biais de campagnes d'information grand public) à des mesures plus strictes, qui incluent des incitations à certaines catégories spécifiques d'aliments, dissuasion par mesures désincitatives pour les autres catégories, restriction de la liberté de choix des consommateurs et, en dernier lieu, élimination TOTALE de la liberté de choix des consommateurs. Une fois cette dernière étape franchie, la Commission indique que l'industrie alimentaire devra simplement "retirer les produits inappropriés" et "diversifier son activité".

Enfin l’OMS pose la question des carences d’un tel régime nous y reviendrons. C’est à mon avis plutôt inquiétant, c’est pourquoi la marche arrière de l’OMS est fondée.

Les arguments de l'OMS ne font valoir que les risques d'un régime universel dans les pays pauvres. En quoi est-ce insuffisant ?

Les pays ayant un faible PIB/habitant sont incapables de faire une transition agricole vers le végétarisme car le coût est très élevé. De surcroît pour certains elle est impossible car les animaux transforment une ressource abondante mais de peu d’intérêt pour l’homme (car indigestible)  la cellulose des végétaux en aliment de haute qualité le lait ou la viande. Ensuite de nombreux pays ne pourraient cultiver des céréales pour subvenir à tous les besoins alimentaires de  leur population: sécheresse, mécanisation, fertilisants représentent, entre autres, un ensemble de conditions insurmontables.

Dans les pays développés la question de la ration calorique ne se pose pas mais nos systèmes de production sont menacés par ces changements préconisés. En effet nous devons poser la question des conséquences de cette offensive contre les produits animaux en Europe. Nos pays ont des productions animales (viande et lait) extrêmement variées, qualitativement élevées et traditionnellement ancrées dans le paysage qu’elles contribuent à entretenir. De plus l’élevage extensif à l’herbe notamment dans toutes les zones de demi-montagne n’a pas l’impact environnemental des élevages confinés. C’est pourquoi les changements prônés par l’équipe de EAT-Lancet auraient des conséquences dramatiques sur ce secteur très menacé par les nouveaux modes de vie et les subventions publiques aux élevages confinés avec alimentation céréalière. Les populations européennes iraient elles mieux? Rien n’est moins sur tant les arguments de l’équipe EAT-Lancet sont dénués de bases scientifiques solides. Ni la viande, ni les produits laitiers, ni le poisson ni les fruits de mer ne sont les causes principales des maladies non transmissibles appelées maladies de civilisation.  En Europe le tabac fumé, l’alcool consommé en grande quantité, l’abondance de calories et l’alimentation industrielle ont un impact majeur sur l'épidémie de diabésité, les cancers, les maladies cardiovasculaires et neurodégénératives. Ce n’est pas en transformant notre agriculture en une vaste usine à céréales et à soja que la santé de la population va s’améliorer. Aucune étude, aucun modèle ne permet d’affirmer cela. Mais il y a plus préoccupant dans cette initiative EAT-Lancet, il s’agit de l’impact environnemental. De ce point de vue ce qu’avance les membres d’EAT-Lancet n’est pas un vœu pieux, c’est une série de contrevérités. La principale est classique. Supprimer les vaches est populaire car on a martelé que finalement c’était elles qui “mettaient en danger la planète” une expression passe partout répétée sans réfléchir à son contenu. En réalité il faut distinguer les élevages extensifs et ceux confinés en batterie. Leur impact sur le cycle du carbone  est très différent (le CO2 n’est pas un polluant il est simplement un état du carbone dans un cycle entre atmosphère, terre, mer, êtres vivants et activités consommant de l’énergie extérieure). Mais surtout la suppression de l’élevage entraîne une activité agricole de substitution (cultures de céréales et d’autres végétaux) qui suppose déforestation,  mécanisation, engrais et désherbants. Il n’est pas établi que cette substitution soit moins ou plus délétère pour le cycle du carbone notamment dans nos pays tempérés. De cela il n’est pas question dans le rapport.

Les critiques de l'OMS portent aussi sur l'indépendance de cette commission qui serait financée par des entreprises de l'agro-alimentaire, de la biotechnologie et des laboratoires pharmaceutiques. Est-ce que cela vous paraît être un argument recevable ? Plus largement, quelle est la part d'idéologie dans ces résultats ?

Le financement de la recherche indique au moins l’intérêt d’une des parties.

Aucune initiative de cette envergure ne surgit du néant même si les principaux acteurs sont académiques et donc déjà rémunérés par leurs institutions. Nous avons du mal à comprendre cela en France car nos dépenses publiques, nos postes académiques ne sont ni fléchés ni audités. Dans beaucoup de pays les postes universitaires sont contractuels et le service rendu aux étudiants et à l’institution est le coeur du contrat. Toute activité qui n’entre pas dans ce champ doit être financée par des subventions extérieures et du temps supplémentaire à celui prévu par le contrat avec l’Université. Première constatation les membres de EAT-Lancet sont à 80% des tenants d’un régime végétarien ou végétalien ce qui est une surreprésentation considérable. En France les végétariens représentent, en 2018,  5% de la population. Les moyens mis à leur disposition sont entre autres une subvention du Wellcome trust: “Le Wellcome Trust et la Stordalen Foundation investiront chacun 3 millions de livres sterling dans EAT Foundation au cours des trois prochaines années pour soutenir les politiques et la science. L’activité scientifique de la fondation sera coordonnée par le Stockholm Resilience Centre, qui jouit d’une réputation internationale pour son excellence en matière de science de la durabilité et de gestion responsable de l’environnement.” La fondation Stordalen est clairement orientée vers la soutenabilité de notre production alimentaire: “L’objectif général d’EAT est d’élargir la plateforme de connaissances scientifiques interdisciplinaires sur les interconnexions entre la durabilité alimentaire, sanitaire et environnementale, de suivre l’innovation tout au long de la chaîne de valeur alimentaire, de faciliter l’élaboration de politiques fondées sur des données factuelles ainsi que de stratégies pour induire un changement de comportement au sein d’une population vers des aliments plus sains et plus durables.” La famille Stordalen a créé cette fondation philanthropique pour supposément résoudre des défis de santé publique, d’environnement et de climat.

Mais quels sont les liens entre ces trois “défis” santé publique environnement et climat?

Encore une fois force est de constater que si des liens existent ils sont loin d’être univoques et pour la plupart inexplorés. Le régime planétaire pour la santé de la Commission EAT-Lancet est une tentative très médiatisée de sauver la planète grâce à la nourriture que nous mangeons. Ce genre d’annonce ne repose pas sur des bases scientifiques. Premier exemple la santé publique. Dans une autre publication récente qui est aussi une opinion et non une étude, les auteurs toujours dans The Lancet ont tenté de fondre les risques de mortalité à l’échelle mondiale et concluent à trois grands fléaux dans l’alimentation humaine: le sel en excès, les fruits et les céréales complètes en défaut. C’est extrêmement trompeur car la diversité des régimes alimentaires et des causes de mortalité rend toute généralisation inopérante pour une population donnée. Braquer la population française contre le sel est stupide puisque nous consommons des quantités de sel conformes aux recommandations. Appeler à manger plus de fruits sans préciser le type de fruits ni leur transformation est totalement inopérant. Inciter à manger des céréales complètes alors que les preuves avancées de leur avantage nutritionnel sont si disparates ne peut être validé qu’après des études interventionnelles aléatoires. Pour l’instant cela conduit par effet de substitution (ces céréales intégrales étant difficiles à trouver) à consommer des amidons raffinés dont on connaît le rôle dans l’épidémie jumelle d’obésité et de diabète type 2… L’OMS évoque même une altération de la santé des populations:

“Le régime alimentaire indiqué par la Commission pourrait en fait devenir déficient sur le plan nutritionnel et même dangereux, à long terme, pour la santé humaine.”

Force est de constater que cette initiative, fortement idéologisée au départ autour du véganisme crée une opportunité pour différents secteurs marchands ainsi coalisés

De quoi s’agit il? La Commission veut promouvoir une transformation radicale de la manière dont nous produisons et consommons les aliments, sur la base d'une référence mondiale d'alimentation saine. Du point de vue nutritionnel ce régime présente des risques de déficience en fer, vitamine B12, vitamine A, vitamine D3, vitamine K2, acides gras oméga 3 longue chaîne et sodium. Un régime alimentaire standard pour toute la planète, indépendamment de l'âge, du sexe, du métabolisme, de l'état de santé général et des habitudes alimentaires de chaque personne, est impossible à définir. En outre, cela signifierait la destruction des régimes traditionnels millénaires et ayant fait la preuve de leur apport à la santé, la longévité et la qualité de vie. Ces régimes font partie du patrimoine culturel et de l'harmonie sociale dans de nombreux pays et c’est justement ces différences qui sont intéressantes car elles permettent de constater des associations favorables à la santé comme dans les fameuses Blue Zones. De quelle coalition parle-t-on?

1/ Les producteurs de graines de céréales et légumineuses (blé, maïs, soja, lentilles, quinoa etc)

L’intérêt principal de ces producteurs et des transformateurs en aval est de vendre à des consommateurs végétariens des produits à plus forte valeur ajoutée que les graines ou leur farine qui alimentent les animaux en élevage confiné.

2/ La viande de laboratoire, steak de soja et muscle de boîte de Pétri

Ces entreprises en plein développement ne peuvent conquérir des parts de marché que si l’élevage (je veux parler de l’élevage extensif mais aussi confiné) est entravé. En effet leurs produits sont des produits de niche qui n’ont pas les caractéristiques gustatives de la viande ou du poisson. Autre inconnue, leur production ne présente pas a priori les avantages supposés sur le cycle du carbone.
3/ Les fabricants et vendeurs de suppléments nutritionnels ou de médicaments pour les carencés du régime universel.

Ce régime universel est source de plusieurs carences. En France où le marché des suppléments nutritionnels est en pleine expansion à 1,8 milliard d’euros alors qu’il ne fournit que très peu de garanties de sécurité, c’est clairement une opportunité. Pourtant les preuves de l’efficacité des suppléments nutritionnels ou des compléments alimentaires sont inexistantes. Certains sont même source de complications.

Avons-nous des preuves de cette collusion entre ces acteurs et EAT-Lancet?

Il suffit de citer l’analyse faite par l’OMS qui a cherché les conflits d’intérêt derrière la devanture très politiquement correcte de la fondation Stordalen.
“Qui a produit le rapport?

Le rapport EAT-Lancet a été produit par une commission de 37 membres, qui participent en tant qu'experts indépendants.

Des critiques ont toutefois été formulées sur l'indépendance réelle de la Commission, compte tenu des liens existant entre cette initiative et d'importantes organisations financières et économiques: EAT-Forum a en fait été fondé par la fondation Stordalen, qu'il est financé, entre autres, par le Wellcome Trust. L’un des principaux partenariats EAT est conclu avec FReSH (réforme de l’alimentation pour le développement durable et la santé, https://eatforum.org/initiatives/fresh/ ), l’une des initiatives clés du Conseil mondial des entreprises pour le développement durable (WBCSD), qui regroupe certaines des plus grandes entreprises du secteur de l’alimentation, de la biotechnologie , secteur pharmaceutique et chimique.

Le rapport EAT-Lancet “a reconnu le financement du Wellcome Trust, y compris un soutien financier au secrétariat pour coordonner la compilation de la Commission et pour les tarifs de déplacement, l'hébergement et la nourriture pour les réunions de la Commission de la Commission EAT-Lancet” et a confirmé que les auteurs ont reçu un financement de EAT et du Wellcome Trust .

Malheureusement, la Commission compte parmi ses membres des hauts fonctionnaires de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).”.

En conclusion ces recherches qui, rappelons le, ne sont pas expérimentales sont biaisées par deux faiblesses: un agenda politique et une méthodologie dépassée. La première est récente c’est un exemple type d'immixtion de la politique dans la science, et ce n’est pas le seul. Il n’est pas rationnel de s'affranchir  des bonnes pratiques scientifiques au motif qu’on aurait moralement ou idéologiquement “raison”. La seconde est ancienne. Il est urgent de revenir aux faits, à leur signification dans des études expérimentales de qualité. La nutrition humaine est une science qui pâtit encore d’approximations dangereuses par défaut méthodologique. L’épidémiologie observationnelle est dépassée et trompeuse car les associations qu’elle met en évidence sont rarement causales. Les grandes bases de données sont souvent la devanture d’un magasin dont les produits sont incertains. Ce n’est pas un hasard si parmi les membres de EAT-Lancet figurent des protagonistes des recommandations « universelles » qui ont favorisé dans le passé l’épidémie d’obésité et de diabète à travers l’obsession anti-gras.

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