Tous égaux… ou pas : qui part à quel âge à la retraite aujourd’hui (et ce que ça nous révèle des effets d’une réforme à venir) <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron échange avec des retraités dans un Ehpad lors de son premier mandat à l'Elysée.
Emmanuel Macron échange avec des retraités dans un Ehpad lors de son premier mandat à l'Elysée.
©GEORGES GOBET / AFP

Régime par répartition

Selon une étude de l'Institut des Politiques Publiques, l’âge moyen de départ à la retraite a augmenté d’environ deux ans au cours des dix dernières années. Quels sont les facteurs qui expliquent les différences entre les catégories socio-professionnelles ?

Patrick Aubert

Patrick Aubert

Patrick Aubert est expert senior à l’IPP (Institut des Politiques Publiques), chef du projet « revenus et incapacités », ancien secrétaire général adjoint du Conseil d’orientation des retraites.

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Atlantico : Tous les Français sont-ils égaux face au départ à la retraite dans les chiffres que vous observez dans le cadre de votre étude « Les âges de départ à la retraite depuis 2010 : quels enseignements pour la réforme à venir ? » pour l’Institut des Politiques Publiques (IPP)

Patrick Aubert : Le but du travail est de faire un bilan des évolutions récentes pour éclairer la réforme à venir. Il nous semblait que de nombreuses choses avaient déjà été publiées, mais peu en fonction de la catégorie sociale et du niveau de qualification.  

Quand on regarde l’ensemble des réformes au cours des dernières années, toutes les catégories ont décalé leur départ à la retraite d’environ 2 ans, même si tout le monde n’est pas concerné par les mêmes facteurs. Il reste que toutes les catégories sociales ne partent pas à la retraite au même âge. L’âge moyen de départ dépend du niveau de qualification avec un profil en U : les catégories intermédiaires partent le plus tôt, tandis que les non-qualifiés d’un côté et les cadres et les indépendants de l’autre partent plus tard. 

Si ce décalage est de deux ans, quels facteurs jouent pour expliquer les différences entre catégories ? 

Les départs anticipés liés aux carrières longues profitent aux catégories intermédiaires. Le décalage est donc lié au resserrement des critères des départs anticipés avant 60 et suite à la réforme des régimes spéciaux.  

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Pour les moins qualifiés et les plus qualifiés, les cadres et les non-salariés, le principal effet est le décalage de 60 à 62 ans. Ils sont aussi un peu touchés par les départs anticipés et d’autres évolutions. 

Faut-il considérer que lorsqu’on travaille sur une réforme de l’âge de départ à la retraite, il faut penser en termes de catégories socio-professionnelles ? 

Il y a une telle hétérogénéité et un tel jeu de facteurs qu’il faut penser à toutes les catégories, au statut d’invalidité, de handicap … On pense souvent que les moins qualifiés partent plus tôt car ils ont commencé tôt et inversement, mais la plupart du temps ce n’est pas vrai. Nous ne sommes pas dans un débat simplificateur qualifié contre non-qualifiés car il y a en réalité plutôt trois catégories, les non-qualifiés, le niveau intermédiaire et les très qualifiés.  

Le décalage entre les femmes et les hommes observé au cours des 10 dernières années est assez proche, même si ces derniers ont décalé un peu plus. Ils partent aussi un peu plus tôt que les femmes, qui ont plus souvent tendance à ne pas valider une carrière complète. Néanmoins, plus le temps passe, plus les femmes se rapprochent des hommes et il est même possible qu’elles partent à la retraite avant les hommes dans quelques années.  

Les cadres, car ils ont fait des études plus longues, partent généralement plus tard, même si seulement une minorité part au-delà de 65 ans.  

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C’est la question centrale de votre étude mais quel va être l’effet de la réforme actuelle sur la population ? 

Il est important de savoir ce qui ira au-delà de cette mesure un peu générale de relèvement de l’âge légal d’ouverture des droits. Vu l’ampleur de tous les dispositifs dérogatoires, comme les retraites anticipées pour carrière longue, il y a certain flou et nous ne savons pas exactement ce que retiendra finalement le gouvernement. Si des carrières longues étaient maintenues de façon généreuse et que les personnes invalides n’avaient pas de relèvement de l’âge minimal, les catégories intermédiaires et moins qualifiés auraient un impact atténué. Si à l’inverse le gouvernement resserre les dispositifs dérogatoires pour carrières longues et pour l’inaptitude, on pourra avoir un impact très fort sur ces catégories. Il est difficile de savoir ce qui va se passer car il y a trop d’exceptions pour  de nombreuses catégories. 

 La réforme touchera peut-être aussi un autre paramètre légal : la durée requise. Celle-ci est souvent résumée comme concernant les personnes qui ont commencé à travailler plus tard, mais elle joue aussi sur le calcul de la pension, ce qui peut avoir un effet négatif pour les personnes ayant fait une carrière incomplète, donc les moins qualifiés. 

Dans quelle mesure la situation des retraites à l’heure actuelle correspond-elle aux aspirations que les différentes catégories peuvent avoir ? 

Il existe des enquêtes et on remarque que les nouveaux retraités déclarent souvent être partis à l’âge souhaité. 18 % auraient aimé partir un peu plus tard, 17 % auraient aimé partir un peu plus tôt. Cela peut sembler surprenant, car dans le même temps une grande majorité des actifs disent qu’ils souhaiteraient, dans l’idéal, partir à la retraite à 60 ans ou avant. Il y a donc une sorte de paradoxe, car les individus ne sont finalement pas si mécontents une fois qu’ils sont partis à la retraite. 

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À quel point le marché du travail permet de proposer des carrières et donc des retraites qui correspondent aux attentes ? 

On voit notamment qu’une fois que les seniors sont sortis du travail, ils ont beaucoup de mal à y revenir. On voit aussi que suite à la réforme de 2010, le décalage de deux ans de l’âge minimal légal s’est traduit par un allongement des carrières. La plupart des seniors ont reporté leur départ et le marché du travail s’est bien adapté. Il y a donc une certaine capacité à absorber des carrières qui s’allongent.  

Certaines personnes ne sont cependant plus en situation de travail, à cause de leur état de santé notamment. La question se pose donc de savoir si le relèvement de l’âge légal concernera uniquement les personnes sans problèmes de santé ou si on va aussi relever l’âge minimal pour les personnes invalides, auquel cas elles resteront en invalidité ou d’entre d’autres dispositifs pour le handicap au lieu de partir à la retraite à 62 ans.  

Vous relevez qu’un ouvrier non qualifié sur quatre était en invalidité ou en situation de handicap juste avant de partir à la retraite. À quel point est-ce important ? 

C’est extrêmement fort et pour le coup, il y a vraiment des disparités sociales très importantes entre les catégories. Nous sommes effectivement à presque 25% pour les ouvriers non qualifiés contre seulement 3% pour les cadres ou les professions intermédiaires. Très clairement ce dispositif de taux plein pour inaptitude aura un vrai effet différencié selon le niveau de qualification. Si il y a une exemption du relèvement de l’âge pour les personnes invalides ou handicapés, les catégories les moins qualifiées seront dans une proportion non négligeable protégées des effets de la réforme.  

Vous évoquez l’idée que le débat gagnerait à définir trois âges légaux d’ouverture des droits ?

On se focalise sur l’âge de départ de droit commun mais il y a une telle proportion de personnes qui  sont concernées par des dispositifs dérogatoires qu’il faudrait avoir un débat sur chacun de ces cas, comme l’âge d’ouverture des droits pour les personnes en inaptitude puisqu’on sait que ces personnes ne peuvent pas prolonger leur carrière. Cet âge pourrait être différent des autres.

L’âge pour les départs anticipés pour carrière longue, qui est de 60 ans aujourd’hui, concerne aussi une proportion non négligeable de personnes. Il n’y aucune raison que le même décalage soit fait avec l’âge de droit commun. 

Avez-vous d’autres conclusions ou préconisations issues de vos données sur ce à quoi devrait faire attention la réforme des retraites ? 

Pour moi, il y a vraiment un sujet sur l’inaptitude et l’invalidité. Y a-t-il un sens à reporter l’âge de départ à la retraite pour les personnes qui ne peuvent pas travailler plus longtemps ? C’est un vrai sujet. Par ailleurs, si un allongement de la durée légale était décidé en plus du report de l’âge minimal légal, on peut se demander si on allonge uniquement la durée pour atteindre le taux plein ou est-ce qu’on allonge aussi la durée qui sert au calcul de la pension en cas de période incomplète ? Ces questions restent en suspens.  

En ce qui concerne les carrières longues, ces individus peuvent prolonger leur carrière.

Pour retrouver l'étude de l'Institut des Politiques Publiques : cliquez ICI

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