Tensions sur Taïwan : conciliation ou fermeté face aux régimes autoritaires, le match des résultats produits <!-- --> | Atlantico.fr
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La présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, salue les journalistes lors de son arrivée au Parlement à Taipei, le 3 août 2022.
La présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, salue les journalistes lors de son arrivée au Parlement à Taipei, le 3 août 2022.
©Sam Yeh / AFP

Chine - Etats-Unis

Alors que la Chine déploie des vastes manœuvres militaires sans précédent autour de Taïwan, Nancy Pelosi fait l’objet de critiques pour sa visite sur l’île. Mais l’histoire donne-t-elle raison à ceux qui cherchent la conciliation avec les régimes autoritaires ?

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Atlantico : On reproche beaucoup à Nancy Pelosi son passage à Taiwan, et la Chine affiche clairement son mécontentement. Mais la Chine ne cherche-t-elle pas, de toute manière, le moindre prétexte pour rompre le statu quo de Taiwan ?

Guillaume Lagane : Je pense que, dans cette affaire, la Chine met en scène une colère très artificielle. Les visites d'officiels américains à Taïwan ne datent pas d’aujourd’hui. En 1997, le président de la chambre des représentants de l’époque, Newt Gingrich, avait déjà visité l’ancienne Formose. Cela avait provoqué des tensions, mais Pékin semble s’irriter davantage aujourd’hui, considérant que ces visites font partie d’un plan pour modifier le statu quo et reconnaître l’indépendance de Taïwan. Il est certes vrai que les visites d’officiels américains se sont multipliées et qu’il existe, aux Etats-Unis, un débat sur la conduite à tenir. C'est particulièrement vrai chez les Républicains. Il faut rappeler que depuis 1979, les Etats-Unis reconnaissent officiellement la Chine communiste et n’entretiennent que des relations officieuses avec Taïwan. Certains se demandent si, Taïwan étant une démocratie, il ne faudrait pas reconnaître son ambition à l’indépendance. Mais ce n’est ni la position officielle américaine ni une opinion majoritaire au Congrès. Pékin agite cet épouvantail pour tendre les relations avec les Etats-Unis, faire oublier ses turpitudes dans le Xinjiang et unifier la société chinoise. 

Plusieurs observateurs ont estimé que Nancy Pelosi n’aurait pas dû provoquer ainsi Pékin. Un argument que l’on a pu entendre aussi vis-à-vis de Poutine. Mais l’histoire donne-t-elle raison à ceux qui cherchent la conciliation plutôt que le rapport de force avec les régimes autoritaires ?

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Il n’y a pas de réponse univoque à cette question. Il a existé des époques où un système international équilibré s’est mis en place et où des Etats aux régimes différents, voire hostiles, ont réussi à trouver des compromis et une forme de cohabitation. Cela a été le cas avec le système de Metternich, où aucune puissance ne prenait le pas sur les autres, permettant une paix globale après 1815 pendant une cinquantaine d’années. L'autre exemple, c’est celui de la coexistence pacifique après la mort de Staline et jusque dans les années 1970. Les Etats-Unis et l’URSS ont réussi à maintenir une forme de statu quo car les deux avaient intérêts à le faire. Les Etats-Unis étaient occupés à construire l’Etat providence et la grande société de Johnson. L’URSS était confrontée au ralentissement de son économie. Donc l’équilibre est possible et parfois souhaitable. Mais il n’est pas facile à construire. Lors de la Détente, Kissinger, artisan d’un rapprochement avec Pekin, a été très critiqué. On estimait qu’il trahissait la cause occidentale et abandonnait ses valeurs. 

Mais, il faut reconnaître que le système international est essentiellement darwinien. Les Etats ne cessent d’être en concurrence et, plus ils ont de différences idéologiques, plus ils ont tendance à s’opposer. Dans cette « guerre de tous contre tous », imaginer qu’on puisse trouver des compromis, concilier des points de vue opposés paraît un peu illusoire. On s’en est rendu compte dans l’entre-deux-guerres. On a cru, avec la SDN, pouvoir avoir un ordre international pacifique. Mais on s’est rendu compte que l’Italie, le Japon et l’Allemagne nazie ont fini par provoquer un gigantesque conflit mondial parce que personne n’a répondu à leur provocation. Les tentatives de conciliation – typiquement les accords de Munich en 1938 - n’ont abouti qu’à davantage de violations du droit international et d’agressivité des Etats autoritaires.  

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Dans les premiers moments de la guerre froide, et jusqu’à la mort de Staline en 1953, les Etats-Unis, qui rechignaient à s’engager dans les affaires internationales, ont mené une politique hésitante fondée sur l’idée qu’il fallait empêcher la Russie d’avancer (containment) et trouver une forme de terrain d’entente. Mais cela a abouti à l’augmentation de l’influence soviétique. Les Etats-Unis sont restés longtemps dans l’idée que la politique de conciliation pouvait marcher, là où Churchill était plus lucide (le discours de Fulton, en 1946, en atteste). Cette posture américaine a débouché sur la perte de la Chine en 1949. Les Américains n’ont pas soutenu les nationalistes de Tchang Kaï-chek contre les communistes. Et quand ils se sont rendu compte de leur erreur, ils ont changé de stratégie en Corée et sont intervenus. Ils ont ainsi préservé l’indépendance de la Corée du Sud au prix d’une guerre sanglante (1950-1953). C’était important mais cela reste un enjeu secondaire par rapport à la perte du géant chinois. Croire que l’on pouvait trouver un compromis avec Staline a affaibli l’Occident.  

Qu’en est-il pour la période actuelle ?

Et il me semble qu’actuellement nous sommes plutôt dans ce second cas de figure. La Russie, la Chine, ne sont pas des nations pacifiques cherchant l’équilibre du système international. Ce sont des États révisionnistes qui détestent le système international tel qu’il existe et souhaitent le remettre en question. L'exemple le plus probant étant le refus d’indépendance de l’Ukraine. Il faut être deux pour danser un tango et si le partenaire n’a de cesse que d’avancer ses pions, cela n’aboutit qu’à l’affaiblissement de celui qui ne le fait pas.  

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Face aux régimes actuels de Pékin, de Moscou et d’autres, la conciliation a-t-elle marché par le passé ?

La position conciliatrice peut avoir des bénéfices, notamment économiques. C'est souvent ce qui est mis en avant. S'agissant de la Russie, l’Allemagne a mené une politique relativement conciliante à partir des années 1990-2000. Elle en a tiré un bénéfice au moins énergétique, avec la livraison de gaz russe. De la même manière, les économies occidentales ayant décidé de collaborer avec la Chine après 1979 en ont tiré un bénéfice. L'entrée de la Chine dans l’OMC en 2001 lui a ouvert de nombreux marchés et en a fait la deuxième économie mondiale. Mais cela a aussi bénéficié aux Occidentaux avec l’accès à des produits peu chers qui nous ont fait gagner du pouvoir d’achat. Mais on voit bien que l’idée que l’on puisse régler par la coopération économique des différends politiques a de fortes limites. Obtenir par le commerce un changement des états autoritaires, ce que Montesquieu appelait le “doux commerce”, n’a pas vraiment marché s’agissant de Oekin et Moscou. L'invasion russe en Ukraine en est une preuve évidente et on peut considérer que les prétentions chinoises en Mer de Chine le sont aussi. L'ouverture du commerce, loin de modérer la Chine, lui a donné plus de poids et les moyens d’être plus agressive. Idem avec les exportations de gaz russe.

 Dans quelle mesure une fermeté mal à propos peut aggraver une situation surtout quand elle n’est que rhétorique et que les mots dépassent les moyens effectifs de la déployer concrètement ?

La politique de fermeté peut déboucher sur un conflit si personne n’est décidé à céder. L'exemple historique de cela étant la course à la Première Guerre mondiale, récemment analysée par l’historien australien Christopher Clark dans un livre sur ce qu’il appelle « les somnambules » (2013). La montée en puissance de la Weltpolitik allemande est entrée en conflit de plus en plus fréquemment avec la politique impériale de Londres, la France voulait retrouver un territoire perdu 44 ans auparavant tandis que l’Autriche et la Russie rivalisaient dans les Balkans, et ces rivalités ont fini par mener à une guerre mondiale. Dans la situation actuelle, les Occidentaux doivent déterminer s'ils réagissent ou pas à une politique de force, celle de la Russie contre l’Ukraine. De même, si demain la Chine envahit Taïwan, la question ne sera pas rhétorique mais militaire. Toutefois, contrairement à 1914, l’existence de l’arme nucléaire nous préserve, il me semble, d’un conflit généralisé. Un affrontement resterait localisé et sous le seuil nucléaire comme le montre l’actuelle guerre en Ukraine.

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