Syndicats et patronat main dans la main pour s’opposer au gouvernement<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean Castex Premier ministre
Jean Castex Premier ministre
©LUDOVIC MARIN / AFP

Atlantico Business

Jean Castex est formidable, il a réussi ce paradoxe de liguer tous les partenaires sociaux, syndicats et patronat, contre les propositions du gouvernement, ce qui l’oblige à reporter des réformes politiquement importantes mais qui ne répondent pas là à l’urgence.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le mouvement est quasiment passé inaperçu, noyé dans une actualité violente, mais tout se passe aujourd’hui comme si les syndicats (tous les syndicats) étaient tombés d’accord avec le patronat pour s’opposer aux projets du gouvernement Castex et rejeter en bloc le projet de ressortir le dossier de la réforme des retraites, et surtout tout ce qui touche à la formation professionnelle et aux reconversions professionnelles.

Les syndicats et le patronat l’ont dit au Premier ministre qui comptait recevoir tous les partenaires sociaux lundi prochain et à la ministre du Travail, qui pensait occuper le terrain et apporter sa pierre à la mise en place des conditions de sortie de crise. Pour que ce soit plus clair encore, les cinq principales organisations syndicales qui avaient déjà écrit au Premier ministre avec copie au chef de l’Etat pour demander un report des discussions sur la réforme des retraites, viennent d’envoyer un nouveau mail au ministère du travail pour l’informer que ça n’était pas la peine de déranger la terre entière lundi prochain pour revisiter les dossiers en cours. Non seulement celui des retraites, mais aussi celui de la formation et des procédures de reconversions professionnelles. Le Medef, la CPME et l’U2P, c’est à dire les trois plus grosses organisations patronales, se sont alignées sur la position des syndicats de refuser d’aborder les dossiers que l‘État voulait ouvrir. La réforme des retraites  ou des procédures de reconversions peuvent attendre. Il y a des choses plus urgentes liées à la crise sanitaire et surtout des niveaux de négociation à mettre en place pour faciliter le travail concret plutôt que d’ouvrir une grand-messe comme on en a l’habitude et dont le seul intérêt est de créer de la résonnance politique.

Pour Jean Castex, c’est quand même un tour de force que d’avoir réussi en si peu de temps  à liguer les partenaires sociaux contre lui.

Mais ce qui est intéressant, c’est que ça peut aussi traduire un changement d’attitude et de rapport de force, changement fondé sur les réalités profondes de la crise et la nécessité d’adopter des positions plus pragmatiques qu’idéologiques. On ne peut pas dire que la violence de la crise sanitaire ait inoculé dans les rapports sociaux une culture du compromis qui nous était quand même assez étrangère, mais on peut penser que cette crise n’a pas encouragé la culture du conflit ou du rapport de force qui nous était si familière.

1er point : les études d’opinion et les discours montrent que sur le volet économique, le gouvernement et le chef de l‘État n’ont pas fait les erreurs qu’ils ont malheureusement collectionnées dans la gestion de la crise sanitaire. L’analyse des effets économiques a été comprise très vite et les moyens mobilisés ont été à la hauteur des besoins. Le patronat comme les syndicats reconnaissent que le gouvernement n’avait pas d’autre choix que le confinement total au moment où le chef de l’État l’a décidé. Les syndicats (tous les syndicats) et le patronat ont d’ailleurs fait ce qu’il fallait pour que cette période douloureuse se passe sans drame et sans risque de conflit ou même de guerre civile en jouant sur la responsabilisation des populations.

Par ailleurs, tous les partenaires sociaux reconnaissent que le gouvernement a tout fait pour éviter la destruction des actifs de production. Le chômage partiel et la diffusion des PGE (Prêts garantis par l’État) a été calquée sur le modèle allemand mais correspondait à la situation. Enfin, tout le monde s’est félicité, que le débat ne dérape pas sur le thème de savoir « qui va payer ». Le quoi qu’il en coute a laissé penser qu’il existait de l’argent magique. Les partenaires sociaux, y compris la CGT, ont bien intégré le fait que de réclamer une augmentation d’impôts n’était pas le sujet et que la magie en l’occurrence viendrait de la croissance, de l’intelligence de la banque centrale, de la solidarité européenne, et du fléchage vers l’investissement des masses d’épargne accumulées.

2 e point, dans ce contexte-là , la priorité des priorités n’était donc pas pour les partenaires sociaux de ressortir les dossiers qui fâchent (comme la retraite) ou même ceux qui reviendraient à donner à l’Etat encore plus de pouvoir qu‘il en a. On le savait , mais la crise sanitaire a révélé les incapacités de l’Etat a gérer, à s’organiser et à manager des grands nombres. La gestion a été un fiasco administratif alors qu’on pensait avoir le meilleur système du monde. Pour les syndicats, cette découverte a été douloureuse mais utile pour l’avenir. Ce qui signifie que même à la CGT, on considère que l 'Etat ne devrait pas avoir l’ambition de s’occuper de tout et de n’importe quoi. Donc les syndicats et le patronat se retrouvent finalement sur l’idée que l’Etat peut être stratège en matière régalienne, que l’Etat peut accompagner les acteurs économiques dans leur mutation , mais surtout que l’Etat évite d’imposer de nouvelles règlementations ou directives. Qu’on laisse faire les entreprises et les partenaires sociaux. La ligne CFDT du compromis a sans doute gagné du terrain.

La mise en place du télétravail illustre parfaitement cette approche pragmatique. Lors de la mise en place du couvre-feu, le gouvernement était à deux doigts d’imposer l’obligation du télétravail. Une forme d’organisation qu’au fond, ni les organisations syndicales ni les patrons ne défendent avec beaucoup d’enthousiasme. Pendant la phase de confinement, le télétravail était incontournable, sauf à condamner complètement le système économique. A l’époque, le télétravail a permis de préserver une bonne moitié du PIB. Mais très honnêtement, personne ne pense sérieusement qu'on puisse pérenniser le télétravail. Et s’organiser dans le cadre digital. A titre provisoire oui, mais à titre définitif, le progrès et l'intelligence passent par le maintien du lien social en présentiel.

Dans un autre domaine, il sera très intéressant de savoir avec précision quel a été le rôle des organisations syndicales face à la fronde des restaurateurs et des gérants de brasserie, mais la plupart des organisations syndicales ont tout fait pour calmer le jeu et respectent en final la décision du couvre-feu.

Les grands syndicats savent bien que d’autre l’impact que peut avoir des mouvements très corporatistes. Que des corporations défendent leurs intérêts c’est légitime, mais qu'ils en arrivent à bouleverser l‘ordre public est plus difficile à défendre. Or, les restaurateurs et les gérants de brasserie ou de bistrot ont une capacité d’influence dont on connaît l’impact. Tout le monde se souvient du lobbying qu’ils avaient fait pour obtenir du gouvernement une baisse de leur TVA, en permettant de baisser les prix et de faire des embauches. Le résultat a été désolant. Les prix n’ont pas baissé, l’emploi n’a pas bondi mais les restaurateurs en ont profité. Les grandes centrales syndicales n’apprécient guère des mouvements corporatistes et populistes de ce type. 

3e point. Les partenaires sociaux savent que la clef de la sortie de crise est essentiellement dans le règlement de la crise sanitaire. Il faut parvenir à trouver un vaccin, un traitement ou même à étouffer le virus soit par une gestion assez fine du confinement ou l'accès à une immunité collective si c’est possible. En attendant, ils ne provoqueront rien (ni dans les transports , ni même dans la santé) qui puisse aggraver le ressenti de la crise. Mais personne ne sait si le changement d’attitude et de rapport de force préfigure un changement durable de culture syndicale. Si c’était le cas, on pourrait dire que le virus aurait permis de sauver le système paritaire. Mais ça n’est pas encore gagné.

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