Suspension de l’AstraZeneca : et l’Europe ajouta un clou à son cercueil... <!-- --> | Atlantico.fr
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Sept Etats européens, dont la France, ont suspendu lundi la vaccination avec AstraZeneca, par crainte d'effets secondaires.
Sept Etats européens, dont la France, ont suspendu lundi la vaccination avec AstraZeneca, par crainte d'effets secondaires.
©THOMAS KIENZLE / AFP

Faute politique ?

Plusieurs pays européens, dont la France, ont pris la décision de suspendre les injections de vaccin AstraZeneca. Une réponse européenne est attendue jeudi sur ce vaccin, soupçonné d’être à l’origine d'effets secondaires et d’accidents de la coagulation chez certains patients. Au Royaume-Uni ou en Belgique, le vaccin AstraZeneca continue d'être utilisé.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Le vaccin AstraZeneca et son autorisation sont au cœur d’une polémique européenne. Pour des raisons, médicales de nombreux pays de l’U-E suspendent les injections sans avis des institutions européennes, suspectant le produit de provoquer des complications. Nous avons décidé de gérer la vaccination en commun, puis il semble qu’à la moindre difficulté nous n’arrivons plus à nous unir. Pourquoi n'arrivons-nous pas à gérer les complexités ? Sommes-nous incapables de dialoguer quand les embûches sont sur notre chemin ?

Christophe Bouillaud : En l’occurrence, cela tient d’abord à la manière dont remonte l’information. Les problèmes sont constatés au niveau local, ils remontent ensuite au niveau régional ou national, et enfin européen. Tous ces filtres successifs, prenant eux-mêmes quelques jours ou semaines, s’ajoutent à des situations différentes vis-à-vis de la pandémie. Il y a des pays où elle  fait beaucoup de victimes et d’autres où elle en fait moins. La perception des risques pris dans le cadre de la vaccination proprement dite peut donc varier fortement. Il est assez logique que les autorités sanitaires de chaque pays veuillent aller au plus vite pour parer aux problèmes éventuels sans attendre le résultat d’une concertation européenne, qui, nécessairement, prend du temps. L’Union européenne, c’est 27 pays. Un simple tour de table à 27 personnes, en supposant que chacun parle à peine plus une minute, c’est déjà une demi-heure. La concertation est très couteuse en temps. Les interminables réunions autour d’Angela Merkel en Allemagne sont aussi une illustration de ce coût temporel de la concertation entre autorités exécutives voulant traiter un problème commun.

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Surtout, les systèmes de santé restent nationaux, et globalement les acteurs de ces systèmes travaillent ordinairement dans la langue nationale du pays. Lorsqu’il faut se concerter à l’échelle européenne, même si l’anglais sert de langue de communication, il y a probablement des pertes d’information, et il faut aussi supposer que le travail en vidéoconférence ne simplifie pas vraiment les choses, même s’il économise aux personnes concernées de nombreux voyages.

A mon avis, le dialogue existe bel et bien, mais, dans l’urgence, chacun préfère prendre ses propres dispositions, plutôt que d’attendre le résultat de la concertation, qui prend trop de temps.

La manière dont les interdictions se font progressivement, et pas partout, ne révèle-t-elle pas l’absence totale d’opinion publique européenne malgré l’affirmation par Emmanuel Macron que la décision s’inscrivait dans une "réponse européenne" ?

Elle révèle surtout que chaque gouvernement et chaque autorité de santé nationale se sentent d’abord redevables devant leur électorat national, leur opinion publique nationale. Par contre, l’aspect européen se situe dans le fait que chaque opinion publique nationale est informée des décisions prises par les autorités des Etats voisins. Cela provoque du coup chez les gouvernements la crainte d’être en retard sur la supposée « bonne décision du voisin ». C’est ce qu’on a observé dans le cas du vaccin Astra-Zeneca. Comme les gouvernements ne savent trop quoi faire face à l’incertitude croissante autour de ce vaccin (ou peut-être de certains lots de ce vaccin), ils imitent le voisin le plus proche dont ils pensent que leurs propres électeurs suivent les décisions. En l’occurrence, comme on l’a vu hier, si les Allemands freinent sec sur l’Astra-Zeneca, on se dit à Paris qu’ils doivent avoir de bonnes raisons, donc nous freinons aussi.

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C’est une sorte de « Méthode ouverte de coordination » (MOC) en temps de crise sanitaire, où l’on s’imite les uns les autres sans bien arriver à savoir au fond qui a raison dans ses choix. Il faut ajouter en effet que les pays de l’Union européenne doivent tenir compte de ce qui se passe dans les pays hors Union européenne (sur le continent européen ou ailleurs) et aussi de ce que leur dit l’Organisation mondiale de la santé.

L’Union européenne a voulu faire preuve d’unité sur les vaccins et montrer qu’ensemble les États membres étaient plus forts. Les échecs relatifs successifs sur le sujet témoignent-t-il du fait que l’Europe n’arrive pas à apprendre de ses erreurs depuis le début de la pandémie ? Cela ne donne-t-il pas des arguments faciles aux détracteurs de l’Union européenne ?

L’achat en commun de vaccins a sans doute tiré les prix vers le bas, et cela explique peut-être que les pays de l’Union européenne soient servis moins vite que d’autres pays, comme Israël qui a visiblement accepté de payer le prix fort pour être servi massivement en premier. Des achats pays par pays européen auraient sans doute été particulièrement désavantageux pour les pays les moins riches de l’Union. Ces pays se plaignent déjà d’être défavorisés dans les livraisons, que serait-ce alors si ces commandes n’avaient pas été prise en commun ?

Mais ce que retiendrons surtout les opinions publiques, c’est cette impression, vraie ou fausse d’ailleurs, que l’Union européenne est tellement désindustrialisée qu’elle est incapable de produire en masse rapidement des vaccins. Et surtout les Européens du continent retiendront que nos gouvernements sont bien en peine aussi de vacciner massivement ensuite.

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Le contraste avec les Etats-Unis est actuellement de ce point de vue saisissant. Ce pays est entré dans une véritable économie de guerre sur la vaccination. Les doses de vaccin sont là, et, surtout, tout est mis en place pour vacciner à tour de bras. Les chiffres sont impressionnants. Force est de constater que la première puissance économique mondiale sait encore ce que veut dire le mot « urgent », et qu’elle sait collectivement réagir une fois la décision prise. Aucun pays, en dehors du Royaume-Uni, n’arrive à suivre ce rythme. Le cas français représente de son côté une caricature de lenteur et de désorganisation. Personnellement, même en me forçant à suivre au jour le jour ce que le gouvernement fait, ou plutôt prétend faire, je n’y comprends plus grand-chose.

Du coup, ce n’est pas tant l’Union européenne qui va apparaître comme mal en point après cette pandémie, que certains Etats européens, dont probablement l’Etat français, qui se seront révélés d’une rare impéritie face à l’épreuve. Nous n’en sommes d’ailleurs sans doute pas au bout de nos peines tant certains pays européens semblent incapables de se réadapter à une situation exceptionnelle.  Or, à situation exceptionnelle, remèdes exceptionnels.

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