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Supprimer l’ENA, pourquoi pas ? Sauf que l’urgence aurait été de reformer l‘administration de l’Etat et le statut de fonctionnaire.
Supprimer l’ENA, pourquoi pas ? Sauf que l’urgence aurait été de reformer l‘administration de l’Etat et le statut de fonctionnaire.
©Patrick HERTZOG / AFP

Atlantico Business

Emmanuel Macron a annoncé la suppression de l’ENA et l’ouverture d’une école de formation à la fonction publique, qui fera la même chose que l’ENA. Mais c’est l’Etat lui-même qu’il faudrait réformer et surtout, le statut du fonctionnaire et son recrutement.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le président de la République a donc annoncé officiellement la suppression de l’ENA, l’Ecole Nationale d’Administration et dans la foulée, la création prochaine d’une école de formation à l’administration, l’ISP, Institut du Service Public.

Le président de la République pourra donc inscrire à son bilan cette réforme qu’il avait promise aux Gilets jaunes, alors que les Gilets jaunes, ont certes beaucoup revendiqué, mais n’ont jamais demandé la suppression de l‘École Nationale d’Administration... Peu importe, ça fait des années que l’Ecole Nationale d’Administration se retrouve dans le débat politique comme bouc émissaire de beaucoup de disfonctionnements.

On lui a reproché tout et n‘importe quoi, à cette école prestigieuse, et souvent avec raison, mais sa suppression ne règlera aucun des problèmes dont elle était soupçonnée.

D’abord, parce qu’il faudra bien trouver et former des experts pour encadrer la fonction publique et en assumer la gestion quotidienne, d’où le projet de remplacer l‘ENA par une école qui lui ressemblera beaucoup.

Ensuite, parce que ce tour de passe-passe ne règlera aucun des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Ce n’est pas la formation des cadres administratifs qu‘il faut réformer, mais le fonctionnement et le périmètre de l’Etat ainsi que le statut de fonctionnaires dont bénéficient les personnels. Mais ça eut été beaucoup plus compliqué.

La plupart des critiques formulées à l’encontre de l’ENA correspondent à la réalité. A sa création après la deuxième guerre mondiale, le Général de Gaulle avait l’ambition de reconstruire l’appareil de l‘Etat qui avait failli et (fauté) pendant l’occupation allemande. Le projet de refondation de l’appareil administratif s’appuyait sur cette grande école d’application professionnelle qui devait former une élite nouvelle, dotée d’expertises et imprégnée des valeurs fondamentales de la République. 

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Les promotions successives de l’ENA ont répondu à cette ambition et la France s’est ainsi dotée, au niveau central comme au niveau régional, d’un appareil administratif parmi les plus compétents du monde et qui a été capable de gérer l’écosystème qui a accompagné les Trente glorieuses. En bref, 30 ou 40 années pendant lesquelles la France a su redevenir une grande puissance mondiale, par sa défense nationale, par ses grandes entreprises industrielles, ses projets, ses universités et son modèle social, l’un des plus efficaces et des plus généreux.

Le problème, c’est qu‘au fil du temps et des performances, et alors que la situation économique est devenue plus tendue à partir des années 1970, l’ENA a généré une caste qui a fini par préempter la presque totalité des centres de pouvoir, publics mais aussi privés dans la mesure où les anciens de l’ENA ont souvent été cooptés dans les grandes entreprises de l’Etat ou ont pris gout au pouvoir politique.

Depuis Valery Giscard d’Estaing (1974), tous les présidents de la République ont été des anciens élèves de l’Ena, à l’exception de François Mitterrand mais qui s’est entouré, lui aussi, de beaucoup d’énarques et de Nicolas Sarkozy. Et la plupart des Premiers ministres ou des ministres, des grandes directions de l’appareil d’Etat, sans parler des grands patrons du CaC 40, tous énarques ont fini par confisquer les centres de pouvoir.

Le réseau a fourni au système des catégories de cadres formatés et issus des mêmes milieux sociaux, qui ont reçu en héritage les codes d’accès et profité d’un statut de la fonction publique très protecteur, mais aussi très conservateur dans la mesure où ce statut favorisait plus l’immobilisme que l’innovation.

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Ce système très organisé a fini par engendrer une bureaucratie très lourde et  figer l’administration dans un modèle dont le fonctionnement ne correspondait plus aux besoins de modernité, d’internationalisation et de développement économique. 

Effets directs :  l’obésité croissante des budgets de fonctionnement qui a entrainé une hausse de prélèvements obligatoires, d’autant plus forte que la croissance s’est ralentie.

La plupart des projets de réformes de l’Etat depuis plus de 10 ans passent par une réduction du périmètre de l’Etat et une flexibilité du statut de la fonction publique. L’objectif serait d’avoir un Etat ramassé sur les fonctions régaliennes et un corps de hauts fonctionnaires dont la carrière dépendrait plus de la performance et des résultats que de l’ancienneté et des réseaux politiques.

Cela dit, contribuer à la réduction du poids de l’Etat et au mode de gestion des fonctionnaires revenait à s’attaquer à des tabous parmi les plus solidement ancrés dans la culture française. Toutes les tentatives qui ont été faites ont avorté face aux résistances des corps d’Etat qui se sont toujours protégés comme on protège des privilèges.

Emmanuel Macron a très tôt su qu’il fallait réformer l’Etat et rendre plus souple la gestion des fonctionnaires. Ces réformes faisaient d’ailleurs partie des principaux projets consignés par la Commission Attali, à la demande de Nicolas Sarkozy au début de son quinquennat (mai 2007). Emmanuel Macron connaît bien le sujet puisque c’est lui qui, jeune inspecteur des Finances, avait été recruté pour rédiger le rapport comme Secrétaire général de cette Commission.

Depuis, beaucoup de ces réformes ont été oubliées dans les bureaux de l’administration ou balayées par les crises successives.

Une fois président de la République, Emmanuel Macron ressort le projet et vient de le résumer à la disparition de l’ENA, pour la remplacer par une institution très semblable. Sauf miracle, ça n’aura pas beaucoup d’impact sur l’efficacité de l’administration, sa performance et son cout.

Les mots et les symboles sont importants en politique, mais il y a des domaines où le changement nécessite autre chose qu‘un changement d’habillage.   

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