Série de l'été : les femmes qui ont changé l'Histoire. Aujourd’hui, Marie-Antoinette<!-- --> | Atlantico.fr
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Marie-Antoinette Reine France Louis XVI
Marie-Antoinette Reine France Louis XVI
©DR / Kunsthistorisches Museum

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Comme les années précédentes, nous avons repris notre carnet de notes pour rencontrer les personnages de l’Histoire qui ont changé le monde. Aujourd'hui, Marie-Antoinette.

Aude Kersulec

Aude Kersulec

Aude Kersulec est diplômée de l' ESSEC, spécialiste de la banque et des questions monétaires. Elle est chroniqueuse économique sur BFMTV Business.

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Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Comme les années précédentes, nous avons repris notre carnet de notes et notre crayon pour rencontrer les personnages de l’Histoire qui ont marqué leur époque et au-delà, changé le monde.  Le projet, un peu osé convenons-en, a été de leur demander de nous accorder un entretien pour revisiter le bilan de leur action et vérifier si leur lecture de l’Histoire permettait de mieux comprendre notre actualité.

Alors bien sûr, ces personnages étant aujourd’hui disparus, leurs interviews sont imaginaires, mais beaucoup moins qu’on ne le croirait. Les historiens ne nous en voudront pas, nous avons puisé les réponses dans ce que ces personnages ont écrit dans leurs mémoires et ce que les historiens nous ont apporté sur leur parcours.

Et cette année, nous avons choisi d’interroger des femmes qui ont marqué l’histoire, dans tous les domaines, parce que notre actualité aujourd’hui est fortement impactée par les discours féministes, les révoltes et parfois les excès. Ces femmes de l’Histoire ont sans doute été précurseurs, mais pas seulement.

Aujourdhui, Marie-Antoinette : “Louis XVI n’avait aucune vision politique. Il était incapable de prendre une décision. Ça nous a mené à la catastrophe…”

Marie Antoinette n’avait pas de grandes compétences pour analyser les situations économiques ou politiques. Pourtant, elle a vécu à une période cruciale de l’histoire de France, et le règne de son époux a changé l’économie de notre pays. Surnommée "Madame Déficit",  Marie-Antoinette a dépensé sans compter et la fronde s’est levée. On ne le lui a pas pardonné. Elle revient sur son époque avec une certaine sagesse.

A propos de Marie-Antoinette

Mariée à Louis XVI à 15 ans, pour créer une alliance des deux grandes familles royales autrichienne et française, Marie-Antoinette reste dans l’Histoire pour avoir été une reine peu scrupuleuse et surtout peu à l’écoute de son peuple. On se souvient de cette phrase qu’on lui a attribuée à propos du peuple de Paris, qui criait famine et qui venait demander du pain qu’on ne trouvait plus dans les échoppes : "Mais s’il n‘y a plus de pain, qu’ils mangent de la brioche !" aurait-elle dit. Rien ne prouve qu’elle ait vraiment prononcé cette grossièreté insupportable de cynisme.  

Délaissée par son époux et agacée par l’étiquette de la cour versaillaise, elle dépense sans compter pour ses menus plaisirs : elle s’est construite son petit Trianon où elle s’adonne, en compagnie de jolies filles et de beaux et jeunes garçons, à de festives soirées. Marie-Antoinette a constitué des groupes de nobles désœuvrés comme elles mais qui lui offrent une sorte de protection. Des coteries, comme on disait à l'époque.

Elle n’a jamais pesé beaucoup sur la politique française, sauf pour chasser certains ministres qu’elle n’aimait pas ou faire nommer des courtisans qu’elle trouvait à son goût.

Progressivement, elle se met à dos la noblesse, en fuyant la cour traditionnelle de Versailles, et fâche le clergé par ses frivolités. Enfin, le peuple lui en veut, car ses tendances dépensières sont peu à peu connues de tout le monde à Paris et dans les campagnes.

Marie-Antoinette et son époux ne voient pas venir la révolte, ni même la révolution qui les mènera, entrainant tout le système monarchique dans leur sillage, à leur perte. 

Madame la reine, bonjour. Vous n’avez pas laissé l’image d’une souveraine très impliquée dans les affaires de l’Etat, mais plutôt distante et frivole...

Marie-Antoinette : Je n’ai pas laissé d’image, vous êtes gentille, mais j’ai laissé ma tête. Je n’avais pas de conseiller en communication. Ma mère peut être, en qui j’avais confiance mais qui était tellement loin de Paris. Alors, effectivement je n’ai jamais été très douée pour les études, ni appliquée pour les travaux intellectuels ou spirituels, au grand désarroi de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, ou du comte de Mercy qui m’avait accompagnée en France et venait chaque jour me donner des leçons à tomber d’ennui ! En fait, il n'était pas précepteur, il était agent secret au service de ma mère. Il me surveillait et lui rendait des comptes sur mes allers et venues. Je pense qu’il espionnait aussi le roi, pour le compte de l’Autriche.  

Je ne suis pas venue à Paris, par plaisir, croyez-moi, j'y étais en mission. En fait, être reine de France, c’était le métier qu’on avait choisi pour moi, m'obligeant à vivre avec un homme qui ne me touchait pas.

Mais alors, si je puis me permettre, que me vaut l’honneur de votre interview aujourd’hui ? Je dois avouer que je n’ai jamais aimé la presse. On racontait tant d’horreurs à mon sujet, dans ces fameux libelles…

Vous avez vécu et régné à une période charnière de l’histoire de France. Etiez vous consciente du changement qui s’opérait ? A quel moment avez-vous réalisé que la Révolution était inéluctable ?

Marie-Antoinette : J’ai toujours pensé et espéré que le peuple sauverait son roi et sa reine. C’est bête à dire, mais pour moi, la royauté a toujours été le seul et unique modèle politique, comme l’est pour vous aujourd’hui la démocratie. J’étais légitime là où j’étais, je ne devais rien à personne et tout le monde devait me vénérer. Je ne puis imaginer une seule seconde un système différent. Nous n’étions pas préparés à ça, ni mon époux, ni moi. Et tout ça a été tellement vite…

Mademoiselle l’archiduchesse d’Autriche, quelle est, pour vous, la vraie cause de la Révolution : un roi incompétent politiquement ? Une reine - c’est-à-dire vous - qui a creusé un déficit abyssal ? Le siècle des Lumières, qui est venu apporter son lot de philosophes et de concepts démocratiques ?

Marie-Antoinette : Un peu tout à la fois. Même si j’aime beaucoup votre première proposition, elle est cruelle mais pas totalement fausse. Les affaires du pays passionnaient peu mon époux, le roi Louis XVI. Vous savez, à part lui parler de chasse ou de serrure, il était impossible d’attirer un quelconque intérêt de sa part. Il n’avait aucun sens politique, ni vision, ni courage. Il était le roi des demi-mesures : gouverner sans franchement se compromettre, sans cap parce qu’il voulait mettre tout le monde d’accord. Avouez que sur ce point, il me rappelle quelques-uns de vos monarques. Espérons que l’un d’entre eux ne connaisse pas la même fin tragique que ce pauvre Louis ! Ceci dit, vous savez que le peuple de France est régicide. C’est dans ses gènes. Depuis la Révolution, tous les chefs d’Etat le savent.

L’idée s’est répandue à travers l’Europe que les peuples avaient la possibilité de renverser le roi. N’oublions pas que c’est l’Angleterre qui a connu la première une révolution qui a abouti, elle aussi, à la mise à mort du roi Charles II en 1649. Mon mari connaissait cette histoire, il avait rencontré et lu David Hume, l’auteur d'Histoire d’Angleterre. Il a voulu comprendre la révolte française à travers celle qu’avaient connu nos voisins d’outre-Manche un siècle plus tôt, mais on ne refait pas l’Histoire avec des formules réchauffées. Ça a été son erreur.

Et vous, ma très chère reine, en avez-vous commises, des erreurs ?

Marie-Antoinette : Vous allez me parler de mes dépenses, je le sens bien. J’étais jeune, j’étais capricieuse et oui, j‘étais shopping addict. Il me fallait des robes, des parures de bijoux pour faire honneur à mon rang, être la plus belle, la mieux habillée. Le roi s’endettait même sur des années pour une simple paire de boucles d’oreilles ! Il y avait les chapeaux aussi. Il faut dire que Madame Bertin, ma modiste, avait un talent fou et que je succombais à chaque fois. Elle était chère m’a-t-on dit. Le talent se paie.

Ma seconde erreur a été de m’immiscer dans la vie politique pour y placer mes amis, un sport national qui, je crois, se pratique encore aujourd’hui. Et tous n’ont pas été de bons ministres, il faut le dire.

En ce qui concerne les finances du royaume, je n’étais pas la seule responsable des dépenses ! Les guerres menées, notamment en Amérique et en Angleterre, ont été rudement coûteuses et ont laissé des traces et des dettes colossales.

Etiez-vous touchée par les inégalités entre les différentes catégories de la population, et notamment en comparant la misère de certains à votre vie fastueuse ?

Marie-Antoinette : J’avoue ne jamais avoir mis les pieds hors de mon château à Versailles, si ce n’est à Paris pour aller au bal de l’Opéra, mais nous nous arrêtions guère saluer les Parisiens. La première vision que j’ai eue de mon peuple a été le 20 juin 1791, lors de la fuite où nous avons été arrêtés à Varennes. Nous traversions la France dans l’idée de rejoindre la frontière à l’est, et j’ai enfin aperçu des villageois mais ceux-ci n’étaient pas des plus amicaux.

A cette époque-là, il y a eu une prise de conscience des inégalités de naissance, de rang, qui existaient de facto dans notre société. Alors que la notion de "privilège" était innée donc légitime pour chacun d’entre nous, cette prise de conscience s’est répandue de la capitale jusqu’aux plus profondes campagnes. Ils nous ont un peu bousculé de notre trône, mais moi, de sang royal des Habsbourg, j’ai mis un peu plus de temps à le réaliser…

Mais regardez votre société aujourd’hui : elle n’est pas exempte d’inégalités, loin de là. L’école ou l’universalité de la loi ne parviennent pas à mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Un de vos économistes, Edward Wolff, a même écrit que votre société connaissait un "retour à Marie-Antoinette".

On m’a tellement décrite comme futile, frivole et peu intellectuelle. Mais moi, j’en avais assez de toutes ces procédures longues, je les trouvais déshonorantes : des cérémonies de l’habillage au dîner. Je m’ennuyais ferme, j’aurais voulais plus de modernité, plus de simplicité. Mais c’était impossible. Au château, on ne me laissait pas faire et ma mère sans cesse me rappelait à mes obligations.

Je ne vais pas vous dire que j'aurais voulu être du peuple, mais c’est vrai que j’aimais sortir avec des filles et des garçons de mon âge.  Aller à Paris dans des bals masqués, la vingtaine, le bel âge. C’est comme sortir en boîte ! Une reine n’a-t-elle pas le droit de profiter de sa jeunesse ?

Peut-être, mais dans la limite de l’acceptable… A cause de tout cela, vous avez été surnommée "Madame Déficit". Vous deviez donc avoir une sacrée connaissance en ce qui concerne les dépenses budgétaires... Alors, dites-nous franchement, la France est-elle trop dépensière ?

Marie-Antoinette : Disons que la France a toujours dépensé sans compter, comme si elle avait une sorte de corne d’abondance. En fait, elle percevait des impôts, beaucoup trop. Mais c’est encore le cas aujourd’hui. Et votre corne d’abondance aujourd’hui s’appelle la Banque centrale européenne. Avec des taux aussi bas, ce ne sont pas vos politiciens démagos qui vont s’empêcher d’emprunter. 

Mais je ne suis pas très bien placée pour dire ça. Quand vous aviez devant vous les fastes de Versailles, il fallait les faire vivre et perpétuer; le besoin d’argent était donc croissant. Les ministres des Finances se succédaient, chacun empreint d’idées nouvelles, à l’origine même de certains courants économiques.

Turgot, qui entretenait des correspondances avec Adam Smith, avait installé le libre-échange dans le domaine des grains. Il a eu d’ailleurs des idées avant-gardistes en prônant l’abolition des privilèges avant tout le monde. Heureusement qu’il n’a pas été écouté par le roi !

Alors que d’autres, comme le ministre d’Ormesson, finançaient tout par grands emprunts. Calonne, qui lui a succédé, avait un sens économique plus aigu et était un adepte avant l’heure de la relance, un Keynes en puissance! Les seules ressources du pays - puisqu’on étranglait déjà les populations par des impôts élevés pour rembourser le service de la guerre - étaient le crédit. Il effectue une relance des dépenses publiques, et pas seulement à destination de la Cour, mais d’infrastructures, dans les transports maritimes notamment.

Necker était, lui, un fervent partisan de la réduction des dépenses et de l’équilibre des budgets, et c’est d’ailleurs pour cela qu’on l’a rappelé en 1789, quand on était presque au bord de la faillite, alors que moi, je ne l’aimais pas beaucoup.

Bref, tout ça ne nous a pas sauvés, moi et mon modeste époux. Les Français n’ont jamais été très disciplinés pour les finances, ce ne sont pas les Autrichiens ou les Suédois. Ah les Suédois, je les ai toujours admirés...

Et surtout un certain Alex de Fersen ?

Marie-Antoinette : Lui était inoubliable. Fersen est arrivé en France en 1774 alors qu’il effectuait un tour de l'Europe pour parfaire son éducation. Axel de Fersen est un cousin de la maîtresse du futur roi de Suède.

Quand il termine son voyage d’études, il débarque à la cour de France, où il fait vive impression, par son physique avantageux, à tout le monde. Nous nous sommes rencontrés au bal de l'Opéra et franchement, on s’est souvent revus. Nous étions devenus très proches. Certains ont écrit qu’il collectionnait les conquêtes féminines. Moi, il m’a consacrée beaucoup de temps. Il me protégeait.

Était-il devenu votre amant et était-il riche?

Marie-Antoinette :  Vous en avez des questions… Mais vous connaissiez le roi, ça n’était pas un foudre de guerre. Et puis je vais vous dire, dans mon contrat de travail, je devais donner un héritier à la couronne de France. Mais pour le reste, on n’était pas obligés de coucher ensemble tous les soirs... Alors moi, j'avais du temps et j'avais 20 ans. Fersen était magnifique. Et je ne couchais pas pour l'argent car j’avais évidemment tout ce que je voulais, mais j'acceptais ses cadeaux. Question de politesse. On m’a posé cette question pendant le procès, c’était absolument indécent.

Vous semblez avoir beaucoup potassé depuis tout ce temps, on dirait.  A l’époque, cela ne vous intéressait guère, je me trompe ?

Marie-Antoinette :  Ce n’est pas parce que je me suis fait couper la tête que je n’en ai pas ! Ma mère m'avait appris à compter. Rétrospectivement, je me suis intéressée à tous ces sujets bien trop tard, seulement à partir de 1789, quand nous nous sommes installés aux Tuileries. Ah, si j’avais su où cela allait me mener, j’aurais surement écouté ma mère d’une oreille plus attentive…

Propos recueillis par Aude Kersulec et Jean-Marc Sylvestre

Les livres à lire pour aller plus loin :

Marie-Antoinette de Stefan Zweig

Marie-Antoinette, Journal d’une reine d'Evelyne Lever

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