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Séquestré, torturé, découpé... Christophe Rambour, le martyr picard : la société française face au vertige de la violence gratuite
©Reuters

Déréliction

Le Courrier Picard a récemment relaté comment Christophe Rambour, jeune maître-chien de 27 ans au chômage, a été torturé pendant plusieurs semaines de l'année 2012 puis tué et découpé en morceaux par une fratrie de cinq jeunes personnes âgées de 25 à 31 ans. Des faits qui rappellent ceux commis en janvier 2006 par le Gang des Barbares contre Ilan Halimi.

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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Atlantico : L'atroce histoire de Christophe Rambour qui a été torturé, séquestré pour finir découpé en morceaux qui ont ensuite été brûlés, ou encore l'affaire d'Ilan Halimi, séquestré puis torturé à son tour et laissé sur des rails, sont des faits pourtant divers. Sommes-nous en train d'assister à une recrudescence des actes barbares ? 

Michel Maffesoli : L’analyse des faits divers se fait trop souvent dans une hystérie qui laisse peu de place  à la raison. Pourtant, il faut faire attention à ne pas amalgamer les faits divers, sous prétexte de leur caractère atroce.

L’affaire Christophe Rambour n’est sans doute pas encore assez explicitée pour qu’on puisse parler d’une affaire semblable à celle d’Ilan Halimi. Et en tout cas, la volonté de “compétition dans l’atrocité” et dans la condamnation qu’on trouve dans certains médias est malsaine.

La question est donc de savoir s’il y a une recrudescence d’actes barbares. Peut-on faire une telle conclusion à partir d’un fait divers, fût-il atroce ? Jusqu’alors, il me semblait que les crimes de sang avaient plutôt tendance à reculer.

Sans être cynique, le fait que des meurtriers cherchent à faire disparaître les traces de leur meurtre est fréquent, qu’ils découpent et brûlent un corps l’est aussi. Peut-être que ce qui frappe dans ce fait divers est plutôt le fait qu’il ait fallu si longtemps pour découvrir le meurtre, qu’il ait été commis par des proches de la victime (un maître chien comme lui) et pire encore, par une fratrie.

On retrouve d’ailleurs là un point de comparaison avec Fofana, puisque lui aussi avait l’ascendant sur une bande, non pas de frères, mais de gars de la cité qui étaient à sa botte.

Il est cependant peu rigoureux de conclure de cette affaire qu’il y aurait une recrudescence d’actes barbares.

Comment expliquer ces actes violents et gratuits ? Témoignent-ils d'une perte de valeurs dans notre société ? 

Les histoires humaines sont remplies de tueries et de barbarie. Le siècle passé n’en a pas été avare, et comparé aux tortures des camps de concentration, des divers  goulags, de Pol Pot, de la révolution culturelle chinoise, des tortures et actes barbares qui émaillent les multiples conflits, ces actes-là paraissent isolés.

On peut se demander comment les hommes peuvent s’entretuer, se torturer hors des périodes de guerre, pendant lesquelles ils tuent de peur d’être tués. C’est sans doute ce que vous appelez une violence gratuite.

On peut se dire que la violence guerrière, celle qui a poussé Français et Allemands, Américains et Vietnamiens, Français et Algériens à tuer et torturer était également insensée.

On croit que la violence guerrière a un sens, parce qu’elle a un but, mais il est clair qu’elle n’a pas de sens, au sens de signification.

La violence des meurtriers présumés de Christophe Rambour avait-elle un but ? On a parlé d’argent, mais en même temps, il s’agit véritablement de pauvres gens et tuer quelqu’un pour revendre sa voiture ou son téléphone ne paraît pas un acte très raisonnable ni raisonné.

Cette violence a-t-elle une signification ? Ou traduit-elle l’absence de sens à leur vie qui anime ces personnes hyperviolentes ? On ne sait pas grand chose de ce qui anime ces hommes et ces femmes qui frappent et font mal et vont jusqu’à tuer “pour rien”, sinon dans une escalade de la violence.

On est là devant un mystère, le mystère du mal. Dès lors, de tels faits divers nous amènent à ne pas dénier le mal, à ne pas faire comme s’il n’existait pas et comme si l’homme devait être toujours bon. La violence gratuite témoigne de la réalité du mal dans la condition humaine. Il n’y a sans doute rien à en dire d’autre. C’est le tragique pur.

La société est-elle encore capable de s'indigner de ce type de crimes ? 

Bien évidemment que la société s’indigne, il suffit de se rendre sur Internet pour s’en rendre compte. Ceci dit, que signifie cette indignation ? Il y a sans doute dans quelque chose de l’ordre du besoin d’exprimer ensemble de la peur et de la compassion.

Mais il n’est pas sûr que cette indignation soit très efficace pour réguler ces types de violence. Il s’agit plutôt d’une expression éphémère. Je pense que l’indignation dans ces cas n’est pas forcément bonne conseillère. Nous devons en effet, collectivement, nous poser la question de la régulation des pulsions violentes qui font partie inhérente de la condition humaine.

S’indigner, en dénier l’existence, vouloir éradiquer la violence, l’envie de violence ne me paraît pas la bonne méthode. Il s’agirait plutôt de trouver des moyens d’expression régulée, atténuée de la violence et des conflits. Les sociétés anciennes connaissaient de tels moyens : les jeux guerriers, les tournois, les joutes diverses.

On peut se dire que pour part les affrontements entre bandes, les rodéos et autres dégradations de véhicules constituent une manière moins risquée d’exprimer la violence. Notamment parce qu’ elle est dans ces cas collective, qu’elle s’exprime sous le regard de tous et est donc pour part contrôlée.

Dans le cas d’Ilan Halimi comme dans celui de Christophe Rambour, il s’agissait d’un petit groupe, isolé, désaffilié, qui vivait sans regard ni de voisins, ni d’amis. C’est cet isolement et cette absence de rite social qui favorise l’escalade vers la barbarie. Il n’y a plus le frein du regard de l’autre.

Dans les deux cas de figure, les agresseurs avaient pour motivation l'argent, est-ce la situation de crise actuelle qui favorise une montée de la violence ?

La crise a ceci d’extraordinaire, qu’elle finit par servir d’explication à tout, y compris absurde.

Si la pauvreté en pays riche, l’absence de revenu face à une offre de consommation ostentatoire peut expliquer les vols, les escroqueries, il ne paraît pas sérieux “de prendre au sérieux” l’explication selon laquelle les meurtriers auraient pensé faire une bonne affaire en torturant et tuant un pauvre chômeur. Très clairement, le processus de violence qui s’est enclenché n’avait rien à voir avec un intérêt économique rationnel.

En revanche, si l’on pense que la crise traduit plutôt un changement de valeurs, le passage d’un monde à un autre, alors on peut effectivement penser que des personnes qui n’ont pas réussi à s’intégrer dans une communauté de vie, qui n’appartiennent à aucune tribu, qui sont sans doute au sens propre du mot, désaffiliées, par rapport à une culture, une spiritualité, une solidarité, de telles personnes peuvent glisser dans cette violence pathologique.

Ces drames bien souvent inexplicables sont-ils le signe d'une déperdition de sens de la société ? La situation tend-elle à s'aggraver ? 

Les périodes de grand changement sont généralement des périodes dans lesquelles les personnes les plus fragiles, celles qui sont le moins intégrées dans un groupe de pairs, risquent d’adopter des comportements anomiques. L’anomie, c’est l’absence de règles communes.

Or nous vivons une époque dans laquelle les règles communes changent. Ce qui constituait le terreau du vivre ensemble, les règles républicaines, démocratiques, la méritocratie scolaire, le travail et les vertus qui y sont attachées, tout ceci se délite.

Mais ceci ne signifie pas la perte de toute valeur et de toute signification. Nous avons été habitués à amalgamer les deux significations du mot sens : l’orientation, le but et la signification.

La société moderne, celle des 19ème et 20ème siècles fonctionnait dans l’attente de la réalisation d’un but. But au nom duquel d’ailleurs beaucoup de comportements violents étaient justifiés. La guerre, les exterminations en sont le paradigme.

Notre société ne croit plus aux lendemains meilleurs, ni au paradis. Est-ce à dire qu’il n’y a plus de sens à la vie en société ? Je ne le crois pas et à côté des actes barbares que vous relatez, il faut noter nombre d’actes quotidiens de solidarité, d’entraide et de véritable socialité.

La question est bien celle de permettre à tous de se constituer en communautés de vie, d’étayer ces solidarités de proximité quand il s’agit de personnes désaffiliées.

Vous l’avez compris, je ne suis pas pessimiste. Pas d’un optimisme béat non plus. Les périodes de passage d’une culture à une autre, d’un monde à un autre sont en général des périodes de turbulence et connaissent des recrudescences de barbarie.

Mais il faut être aussi attentif à ce qui renaît, pas seulement à ce qui meurt. Il nous faut accepter notre part d’ombre plutôt que la dénier. Ce qui nous amènera à voir également la lumière et donc à être lucide sur le clair obscur de l’existence. Je renvoie , ici à mon livre “ Essais sur la violence” ( CNRS Éditions).

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