Scandale des emprunts toxiques des collectivités locales : comment le dispositif de secours piège les endettés <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Finance
Ce dispositif concerne les collectivités victimes d'emprunts toxiques (comme ce champignon en illustration).
Ce dispositif concerne les collectivités victimes d'emprunts toxiques (comme ce champignon en illustration).
©Pixabay

Marché de dupes

Les collectivités territoriales ont jusqu'à ce soir, mercredi 29 avril, pour déposer leur dossier dans le but de recevoir une proposition d’aide via le fonds de soutien mis en place par Bercy. Ce dispositif concerne les collectivités victimes d'emprunts toxiques.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

Voir la bio »

Les contribuables locaux qui viennent d'apprendre le niveau assez lourd de hausse des impôts ont aussi en mémoire la question des endettements de "leur" ville ou de leur département via des emprunts dits toxiques. De même, les plus attentifs d'entre eux connaissent bien le nom de la banque Dexia qui est au centre de nombreux contentieux. Une loi de fin juillet 2014 est venue bouleverser le paysage juridique de cette question.

Une loi de circonstances en 2014 pour éviter le pire

Tout est parti d'une jurisprudence de Nanterre en 2013 favorable au département de la Seine Saint-Denis.
Face à la pente impressionnante des taux d'intérêt à payer suite aux emprunts dits toxiques, le département longtemps dirigé par Monsieur Claude Bartolone (qui avait hérité de cette situation d'endettement) avait décidé de surseoir à ces règlements. Le Tribunal de grande instance de Nanterre intime l'ordre à cette collectivité de reprendre ses paiements, mais à partir du seul taux d'intérêt légal. Le manque à gagner pour Dexia aurait dû être significatif puisque le taux de l'intérêt légal issu du décret n°2012-182 du 7 février 2012 était fixé à 0,72 % contre 5 à 9 % pour le taux unissant les parties en cause.

Or Dexia, c'est l'ancien Crédit Local de France donc l'Etat associé à la Belgique.

Il est à noter que la condamnation de la banque ne provient pas de la complexité des emprunts proposés (trois prêts pour un total de 200 millions d'euros), mais du seul fait que le taux effectif global n'avait pas été mentionné explicitement à l'emprunteur. C'est donc le défaut d'information que le Tribunal a retenu, évidemment à bon droit.

Là où l'opacité de l'évolution des taux d'intérêt va demeurer sera lorsque le formalisme de l'information du débiteur aura été respecté. Or c'est précisément le cas sur les quelques 850 collectivités directement concernées par cette incurie collective voire par cette forme masquée de tromperie.

Le cas des hôpitaux

Sans oublier plusieurs dizaines d'hôpitaux qui se trouvent, depuis la nette appréciation du franc suisse de 2015, au bord de la cessation des paiements d'où un apport d'urgence effectué par le Ministère des Affaires sociales et la confirmation du diagnostic de la Cour des comptes : la dette hospitalière a été multipliée par 3 en 10 ans. (http://www.vie-publique.fr/actualite/alaune/dette-hopitaux-situation-critique-selon-cour-comptes-20140416.html ) . Pour parer toute dérive additionnelle, la commission des Affaires sociales de l'Assemblée a voté le 19 mars dernier à l'unanimité, et contre l'avis du gouvernement (étonnant ?), un amendement au projet de loi santé présenté par Gisèle Biémouret (PS) et Pierre Morange (UMP), qui encadre les modalités d'emprunt des établissements, comme c'est  déjà le cas pour les collectivités locales.
Les hôpitaux ne pourront plus emprunter en devises ou avoir des mécanismes financiers qui renvoient à l'évolution de monnaies étrangères. Quant aux emprunts assortis de taux variables (les fameux dits toxiques), ils devront répondre à des critères de simplicité et de prévisibilité d'évolution précisés par décret.

Comment sauver Dexia, sorte de pompier pyromane

Le député Christophe Castaner, en sa qualité de rapporteur du projet de loi (devenue la loi n° 2014 – 844 du 29 juillet 2014) avait indiqué que 395 emprunts de la SFIL et 51 de Dexia sont actuellement érigés au stade de litiges judiciaires. Pour mémoire, la SFIL (société de financement local) s'est vue transférer un ensemble de prêts complexes et contestables sur décision de l'Etat et de la Belgique.
Chacun mesure l'ampleur des contentieux et le caractère incertain de leur dénouement pour le prêteur Dexia aux pratiques audacieuses. A titre d'exemple, retenons le cas d'Angoulême qui a obtenu, d'une décision du 4 juillet 2014 (TGI de Nanterre) le remboursement de 3,4 millions d'euros pour une erreur de détermination des taux d'intérêt : l'assignation portant frontalement sur une annulation d'un emprunt toxique de 16 millions d'euros.

Selon un chiffrage prévisionnel de la réparation du préjudice et du coût de son éradication, l'Etat avait fixé le risque à hauteur de 17 milliards d'euros. Autrement dit, si les contentieux avaient abouti de manière hautement probable, l'Etat aurait été contraint de soutenir SFIL et Dexia à hauteur de près de 20 milliards d'euros par recapitalisation ou par cautions à retrouver dans sa dette hors-bilan (jusqu'à un certain seuil).
Perplexe face à cette perspective, l'Etat a procédé par voie législative mais a du s'y reprendre à deux fois.

Le hoquet législatif et "le motif impérieux d'intérêt général"

En date du 25 septembre 2013, le PLF 2014 ( projet de loi de finances ) a vu se glisser une disposition destinée "à apporter une solution pérenne et globale au problème des emprunts structurés les plus risqués". Quel était son contenu ? Un dispositif visant à prémunir les établissements de crédit contre l'impact des recours en justice.
Hélas pour les apprentis alchimistes, le Conseil constitutionnel a d'évidence invalidé cette disposition au motif qu'elle constituait "un champ d'application extrêmement large" ce qui est textuellement incontestable. Certaines collectivités locales, en litige, ont repris leur respiration après ce coup de canif dont la lame était déjà sévère.
En date du 17 juillet 2014, l'Etat a repris l'offensive et le Parlement a ainsi adopté un projet de loi "relatif à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public". Sept jours plus tard, le Conseil constitutionnel a validé les quatre articles que contient ce qui est devenu la loi du 29 juillet.

Les considérants 13 à 15 de la décision du Conseil ( 2014-695 DC du 24 juillet 2014 ) sont d'importance :

"13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le législateur a strictement limité la portée de ces validations en adéquation avec l'objectif poursuivi ; 



14. Considérant que l'incertitude quant au montant exact du risque financier global est inhérente à l'existence de nombreuses procédures juridictionnelles en cours portant sur des cas d'espèce différents et à l'existence de procédures susceptibles d'être encore introduites ; 



15. Considérant que, par suite, eu égard à l'ampleur des conséquences financières qui résultent du risque de la généralisation des solutions retenues par les jugements précités, l'atteinte aux droits des personnes morales de droit public emprunteuses est justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ;
"Atteinte au droit des personnes morales de droit public" et "motif impérieuxd'intérêt général". Lorsque de telles notions sont mises en avant, l'Etat de droit ne perd rien en légalité mais qui osera dire dans le cas d'espèce de ces fameux emprunts toxiques qu'il ne s'agit pas ici d'une sorte d'amnistie bancaire au parfum de fait du prince. En droit administratif, distinct de la théorie de l'imprévision qui ne trouve pas à s'appliquer ici, le fait du prince vise tout acte arbitraire du gouvernement qui nuit au cocontractant qui peut alors prétendre à indemnisation.

En ne retenant pas la voie du décret et en s'abritant derrière les voix des parlementaires, l'Etat réalise une opération de pur opportunisme en se protégeant au détriment des finances locales. En avalisant de facto les pratiques parfois hasardeuses (devoir de conseil, etc.) de Dexia et autres, l'Etat donne un sauf-conduit juridique à des décideurs qui ont élaboré et commercialisé des produits de portée répréhensible.

Le conseiller d'Etat Bernard Tricot, ancien haut collaborateur du Général de Gaulle n'aurait guère goûté une telle pratique étatique : pas davantage qu'un de ces successeurs à la Présidence, Monsieur Jouyet. Mais le devoir de réserve est là, en théorie.

Ainsi, chacun d'entre nous peut mesurer l'impact du poids des 2035 milliards de dette publique : si nous n'étions pas altérés par ce fardeau, l'Etat aurait honoré le dossier Dexia et ses divers engagements. Par impécuniosité, la morale du droit a été limogée pour se retrouver laminée dans un coup de Jarnac au demeurant subtilement construit.

La loi du 29 juillet 2014 et les prêts toxiques

Le 29 juillet est, dans notre histoire, une date fondamentale en matière de libertés publiques : songeons à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
La loi visée du 29 juillet 2014 contient en son article 1 le début de phrase suivant : "Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, est validée la stipulation d'intérêts prévue par tout écrit constatant un contrat de prêt ou un avenant conclu antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi entre un établissement de crédit et une personne morale de droit public.... "

Le lecteur, même novice en droit, a perçu le bruit de corne de brume de la rétroactivité qui aura, dans certains cas, (ou pas ?) une influence sur le destin des contentieux actuellement en cours et qui, par ailleurs, ferme la porte à bien des contestations ultérieures.

La loi ne permet plus de contester soit le défaut de mention du TEG (taux effectif global), soit celle du taux de période ou même de la durée de période. De même, cette construction législative permet de ne plus opposer contestation à des irrégularités de taux ou de durée au regard de l'article L 313 – 1 du code de la consommation.

Face à ce nouveau dispositif, il sera intéressant un jour (beaucoup plus tard...) de connaître la position de Monsieur Michel Charasse, juge au Conseil constitutionnel, qui a très fréquemment défendu les collectivités territoriales contre le pouvoir central.

En attendant – le diable se cachant dans les détails -, il faut garder en mémoire que le PLF 2014 n'avait été que partiellement invalidé par les sages du Palais-Royal. Ainsi, le fonds de soutien de 1,5 milliard d'euros a bien été créé et sera, pendant quinze ans, partiellement financé par l'Etat et les banques (taxe sur le risque systémique). Autant dire que l'impact financier de ce dossier n'est pas totalement clos pour le contribuable national.

Au plan local, l'APCET (Association des Acteurs publics contre les emprunts toxiques) envisage plusieurs recours et la formulation formelle d'une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) : démarche légitime étant donné l'objet de l'association mais résultat bien incertain compte-tenu des motivations de la décision du 24 juillet du Conseil.

La date-butoir du 29 Avril

Pour l'heure, la date-butoir est celle....du 29 avril : dernier jour possible de dépôt d'un dossier de recours devant le fonds de soutien dont le montant total a été doublé en février pour atteindre 3 milliards d'euros.

Un site internet décrit les modalités pratiques de recours (http://www.collectivites-locales.gouv.fr/fonds-soutien-aux-emprunts-a-risque ) et fait référence à l'existence d'un barème qui sera de portée universelle et non segmenté selon les types de collectivités territoriales.

"Le dépôt d'un dossier permet de recevoir une proposition d'aide chiffrée sans, pour autant, renoncer à aucun droit ni prendre aucun engagement définitif". Les propositions du fonds seront émises pendant l'été, les élus auront alors trois mois pour formuler leur réponse. Il y aurait environ 300 dossiers déposés sur les 850 cas ce qui augure mal de la suite.

Un dossier où le droit est tordu par la pratique

Là où ce dossier est assez terrible pour les finances locales, c'est qu'il existe un principe général selon lequel le paiement s'impute d'abord sur les intérêts (code civil, article 1254). Au nom de la règle ancienne du " computatio in sortem ", les mairies ou les départements vont d'abord devoir honorer les intérêts qui sont précisément déterminés de manière hautement variable et fortement haussière (cas des indexations euro / franc suisse). Ainsi cela repousse d'autant la date de sortie de leur endettement.

D'autant qu'en cas de remboursement anticipé, rien n'a été prévu pour écarter les traditionnelles pénalités dues à l'emprunteur.

En sa tradition républicaine, le Conseil constitutionnel nous semblait en mesure d'imposer à l'Etat un règlement plus nuancé du dossier des emprunts toxiques. Il a été choisi une autre voie plus maximaliste et unilatérale. En pensant au futur bilan global de toute cette opération, et en se calant sur des chiffrages raisonnables, je ne suis pas certain que le tandem Etat & Collectivités territoriales sortent en positif grâce au chemin retenu.

Pour émettre une note conséquente à titre conclusif, il est clair que le Conseil est dans sa tradition selon laquelle l'autorité de la chose jugée est intangible (décision n°80-119 du 22 juillet 1980). Mais en matière de rétroactivité des lois, les considérants n'emportent pas une adhésion immédiate, loin s'en faut. Faut-il remonter à l'arrêt de principe de la Cour de cassation en 1932 : "Si toute loi nouvelle régit, en principe, les situations établies et les rapports juridiques formés dès avant sa promulgation, il est fait échec à ce principe par la règle de la non-rétroactivité des lois formulée par l'article 2 du Code civil, lorsque l'application d'une loi nouvelle porterait atteinte à des droits acquis sous l'empire de la législation antérieure". Qui peut nier que des droits acquis sont soumis à altération pour les collectivités territoriales ?

Enfin, respectueux du Parlement en tant qu'organe majeur de la démocratie représentative, il n'est pas illégitime de poser la question de son "ingérence" (sic) dans ce dossier des emprunts toxiques.

Voir l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 28 octobre 1999 : "le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l'article 6 s'opposent, sauf pour d'impérieux motifs d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice dans le but d'influer sur le dénouement judiciaire du litige".

Est-on loin du cas d'espèce ?  Manifestement non !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !