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Raif Badawi, ce jeune blogueur saoudien condamné à 1000 coups de fouet pour avoir défendu la laïcité
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Bonnes feuilles

Raif Badawi a ému le monde entier. Ce jeune blogueur saoudien est arrêté en 2012 et condamné à 10 ans de prison et 1000 coups de fouet, parce qu’il a osé écrire ce qui déplait aux religieux et aux politiques de son pays. Extrait de "1 000 coups de fouet parce que j'ai osé parler librement", de Raif Badawi, publié aux Editions Kero (2/2).

Raif Badawi

Raif Badawi

Raïf Badawi, 31 ans, est un blogueur et écrivain saoudien. Après avoir animé le blog Free Saudi Liberals il a été incarcéré puis condamné à une peine de prison de 10 ans, une forte amende financière et 1000 coups de fouets.

Voir la bio »

Paru sur le site web Al-Hiwar al-Mutamaddin, le 18 février 2012

Dans notre pays, de nombreux activistes islamistes rêvent de réinstaurer ce que nous ont légué le calife abbasside Al-Mahdi, les califes omeyades Al-Ma’moun et Al-Moutawakkil, et d’autres califes dont on sait qu’ils ont assassiné leurs opposants – sous prétexte d’hérésie et sous couvert d’islam politique.

Personne ne leur dénie ici leur droit au rêve, sauf qu’il ne s’agit plus simplement de rêve. C’est devenu une activité stratégique et organisée, qui consiste à assommer le grand public de religion et de religiosité, ou au moins de ce que les islamistes considèrent comme telles. Et chacun enchérit sur l’autre en professant son amour du Prophète – Paix et Salut soient sur Lui.

Oui, messieurs, c’est ce qui se passe en ce moment, au xxie siècle. Car, […] sans attendre que soit émis un jugement officiel, certains ont osé attaquer ouvertement les tweets de Hamza Kashgari1, en l’accusant d’être lié au courant progressiste des Lumières en général. Ils se sont mis à dresser les gens contre lui, et à menacer d’entamer une guerre féroce contre tous ceux qui se réclament de la culture et des Lumières, qu’ils considèrent comme une hérésie, une preuve d’athéisme, et une atteinte au sacré.

En effet, un certain courant islamiste extrémiste s’acharne à vouloir rattacher le jeune Hamza Kashgari au mouvement libéral, allant jusqu’à le décrire comme un des plus importants libéraux de ce pays, ce qui est faux ; Kashgari est beaucoup plus proche des Frères musulmans saoudiens, et nul ne le connaissait avant qu’il ne devienne il y a quelques mois chroniqueur au journal Al-Bilad. En outre, il n’a jamais parlé explicitement du libéralisme, ni reconnu une éventuelle affiliation à ce mouvement.

Tout cela n’est qu’une vaine et misérable transgression des lois, édictées en haut lieu, qui régissent la presse et l’édition. Les islamistes espèrent en effet traîner devant la justice tout écrivain ou penseur qui n’est pas de la même tendance ou n’est pas d’accord avec eux, et les juger selon les lois de la charia qui s’accordent avec leurs convictions personnelles, et non selon celles de la justice royale prévalant actuellement.

La première affaire de ce genre a débuté en 1998, lorsque l’écrivain et docteur Turki al-Hamad a été excommunié. Les puristes ont réclamé sa tête à cor et à cri, et les réformistes ont été mis au pilori. Leur sanglant appel d’alors fut aussi enflammé que celui dont je vois de nouveau se profiler le spectre cette année.

La question principale est la suivante : qu’a dit Turki al-Hamad pour s’exposer non pas une mais deux fois à la saisie de ses biens, à une arrestation, et à une nouvelle guerre contre lui ? Souvenons-nous, cher lecteur, de cette phrase tirée d’un de ses romans : « Dieu et le diable sont les deux faces de la même pièce. » Al-Hamad s’est expliqué à ce sujet à plusieurs reprises, dans bon nombre d’interviews, et il faut préciser ici que ces mots sont ceux d’un des personnages du roman, et non ceux d’Al-Hamad lui-même. Or citer un blasphème n’est pas blasphémer, comme l’a dit le cheikh Mohammed Ibn Saleh al-Uthaymin1 – Dieu ait son âme. Du point de vue linguistique, la phrase d’Al-Hamad est correcte et signifie que Dieu et le diable ne se rencontrent jamais et ne s’accordent sur rien, car Dieu le Très-Haut prêche la voie du bien, tandis que Satan le Maudit prêche la voie du mal, la pièce de monnaie représentant la voie ou l’attitude, et ses deux faces ne se rejoignant jamais. C’est la profonde dépression de Hisham (celui qui dit ces mots dans le roman d’Al-Hamad intitulé Al-Karadib) qui le conduit à s’exprimer ainsi. À l’époque, les décideurs, avec une sagesse qu’il nous faut saluer, ont annulé la fatwa de ceux qui criaient à l’apostat et en appelaient au sang, et le sujet fut officiellement clos.

Mais le courant islamiste a continué pendant quatorze ans à dénoncer dans la sphère publique le blasphème et l’hérésie de Turki al-Hamad, et à répandre la rumeur selon laquelle il représentait un danger, à coups de fausses allégations, en citant seulement la phrase ci-dessus, hors de son contexte et vidée de tout sens et de toute signification. Ce qui souleva les foules contre Al-Hamad dans cette affaire fut que ses détracteurs se saisirent de cette phrase, la postèrent telle quelle sur YouTube, et omirent de citer le commentaire de l’auteur dans lequel il expliquait en détail le rôle de la phrase dans le roman, montant ainsi l’opinion publique contre lui, et réussissant à embrigader les petites gens et les pauvres. Je me souviens d’un incident lorsque Al-Hamad s’est produit au Cercle littéraire de Djeddah. Quand le débat a été ouvert au public, un vieillard s’est approché de l’estrade et a dit ceci : « Je jure que je ne connais pas le dénommé Al-Hamad, et que je n’ai pas lu une seule ligne de lui, mais j’ai entendu dire qu’il a écrit ces mots, et je suis venu pour que Dieu triomphe de cet individu ! » Cet homme n’était qu’un être simple parmi tant d’autres, que ces faussaires de vérité enrôlent en manipulant leurs sentiments, et en exploitant l’ignorance des masses.

Extrait de "1 000 coups de fouet parce que j'ai osé parler librement", de Raif Badawi, publié aux Editions Kero, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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