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Prix extravagant ? Ce que les moqueurs ne comprennent pas sur le pied d’ordinateur d’Apple
©Brittany Hosea-Small / AFP

Arnaque ?

Apple a présenté un nouveau Mac Pro vendu 4999 dollars. Mais il s'agit là uniquement de l'écran (qui intègre l'ordinateur). Le pied permettant de le supporter sera vendu lui...999 dollars. Une annonce qui a provoqué l'ire des consommateurs.

Gilles  Dounès

Gilles Dounès

Gilles Dounès a été directeur de la Rédaction du site MacPlus.net  jusqu’en mars 2015. Il intervient à présent régulièrement sur iWeek,  l'émission consacrée à l’écosystème Apple sur OUATCHtv  la chaîne TV dédiée à la High-Tech et aux Loisirs.

Il est le co-auteur avec Marc Geoffroy d’iPod Backstage, les coulisses d’un succès mondial, paru en 2005 aux Editions Dunod.

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Atlantico : Pour quelle raison le Pro Stand, le pied du nouveau Mac Pro, coûte-t-il aussi cher (999 dollars)? Ce prix est-il justifié?

Gilles Dounès : 

Permettez-moi d'enfoncer une porte ouverte en guise d'introduction : si le Pro Stand est vendu 999 $, c'est sans doute aussi parce qu'il a coûté fort cher à concevoir, et qui ne le sera pas moins à fabriquer. 

Tout d'abord, il y a ce qu'on sait : Apple a mis la barre très haut, y compris pour son pied optionnel. L'écran pèse à peine moins de 7,5 kg, et le pied destiné à le soutenir 4,3 kg à lui tout seul ! En outre, l'un et l'autre sont solidarisés grâce à un aimant qui doit être suffisamment puissant pour supporter le poids de l'écran. Et cela, tout en pivotant sur lui-même pour permettre de travailler en mode « portrait », c'est-à-dire orienté à la verticale. L'équipe de l'Apple Industrial Design Group qui travaille autour de Jony Ive a également opté pour un bras mobile, à la manière de l'iMac G4, afin de pouvoir positionner le Pro Display XDR de manière confortable. Or le bras sera soumis à des contraintes encore plus importantes, proportionnelles à la longueur de celui-ci mais également en fonction de la hauteur de l'écran. 

On se souvient que ce fameux bras était le point faible de l'iMac G4, qui avait tendance à fatiguer au bout d'un an ou deux de bons et loyaux services, en particulier avec le poids plus important des modèles 17, puis 20 pouces. Son écran était enchâssé dans un support de polycarbonate, beaucoup plus léger que l'aluminium du modèle 32 pouces qui sortira à l'automne. On peut espérer qu'Apple aura paré à ce type d'inconvénient, sur un accessoire dont la durée d'utilisation dépasse bien souvent les 10 ans…

Enfin, il y a ce que l'on peut raisonnablement inférer, à la lumière des annonces ou des indiscrétions plus ou moins récentes : la firme à la pomme s'était offert en 2014 une start-up baptisée LuxVue Technology, laquelle travaillait sur des LED de nouvelle génération. De plus, des rumeurs insistantes ont fait état au printemps dernier de la mise en place par Apple d'une usine de fabrication d'écrans, au voisinage immédiat de son quartier général de Cupertino. En 2016, peu avant l'annonce de l'arrêt de la commercialisation des Thunderbolt Display, une autre rumeur avait rapporté l'achat par Apple d'une usine spécialisée dans la fabrication d'écrans. Si l'on se souvient que le modèle précédent de Mac pro – en forme de cylindre – était fabriqué aux États-Unis, on peut faire l'hypothèse que le nouveau Mac Pro, son écran XDR et vraisemblablement son pied optionnel pourraient être assemblés sur le territoire états-unien, augmentant du coup sensiblement leur prix de revient.

Il faut bien garder à l'esprit que ce type de matériel est destiné à une clientèle professionnelle bien particulière, pour qui il sera de toute façon beaucoup plus rentable d'investir dans ce type de matériel permettant des gains de productivité. Ce sont ces clients qui jugeront de la pertinence de cette option à cette aune, qui auront le dernier mot.

Sortons à présent la calculatrice pour refermer cette fameuse porte béante, à travers laquelle pas mal de monde s'est engouffré depuis lundi : vendu 4499 $ dans sa version de base, l'écran XDR en compétition avec des systèmes concurrents à 10 000, 30 000 voire 40 000 $ aurait pu largement « absorber » les 999 supplémentaires du Stand Pro. Dans ce cas, le ticket de caisse de la configuration de base aurait affiché un peu moins de 12 000 $, 13 000 avec l'option Nano-Texture anti reflet. Le plus vraisemblable est donc que la marque à la pomme a cherché à rester coûte que coûte sous la barre des 11 000 $.

Apple est connu pour proposer des équipement d'excellente qualité, insérés dans un écosystème fermé, aux prix élevés. Mais en poussant cette logique toujours plus loin (et plus cher) ne risque-t-elle pas de se couper d'une partie de ses clients? Ou bien est-ce, à l'inverse, une bonne stratégie?

Apple traîne cette étiquette d'« écosystème fermé » comme un vieux chewing-gum collé à la semelle de ses chaussures, depuis plus de 35 ans, assez habilement glissée par ses concurrents il faut bien le dire, mais cela ne correspond pas pour autant à la réalité. D'une part, Apple a son propre environnement de développement, comme Windows, Linux, Android ou Chrome ont le leur. Et surtout, je vous suggère d'essayer de brancher un périphérique de stockage formaté pour Mac OS sur un ordinateur Windows, puis un périphérique formaté pour Windows sur un ordinateur Mac OS. Vous pourrez lire le disque ou la clé USB Windows et importer vos fichiers sur le Mac, mais pas faire la même chose sur le PC sous Windows : quel est du coup le système fermé ? Pour être tout à fait juste, le Mac ayant toujours été minoritaire dans un océan informatique MS-DOS puis Windows, l'adaptation était une question de survie industrielle, en particulier sur le marché professionnel. Il n'empêche, les stéréotypes ont la vie dure.

Pour répondre précisément à votre question, ce ne sont pas tant les matériels commercialisés par Apple qui sont chers, mais plutôt le reste de la concurrence qui ne l'est pas assez, à force de perdre de la valeur depuis la fin des années 90. À tel point que, à force de baisse de la valeur perçue par les utilisateurs, c'est le marché tout entier qui se contracte depuis 10 ans, également sous l'effet du transfert de la plupart des usages courants de l'ordinateur portable vers la tablette, et ce alors que, bon an mal an, Apple continu d'augmenter ses parts de marché relatives… pour peu qu' elle se donne la peine de renouveler ses gammes de produits.

En ce qui concerne ce nouveau Mac Pro et ses périphériques, il faut insister sur le fait qu'ils s'adressent à une clientèle très spécifique de professionnels, dont la plupart des coûts fixes n'est pas représentée par le parc informatique, mais bien par la masse salariale d'une main-d'œuvre très qualifiée dont la valeur ajoutée réside dans sa créativité. Et celle-ci dépend également de l'ergonomie, et même du confort du poste de travail, ce que vise précisément à améliorer le Pro Stand. La possibilité de passer de 180 à 90° représente une augmentation de 100 % de la surface de travail utile pour un metteur en page de PAO ou un photographe qui travaille sur une photo en mode portrait et, en définitive, quelques centaines ou quelques milliers de clics en moins à la fin de la journée de travail. Cela vaut-il l'investissement initial consenti ? D'une part, la durée d'utilisation d'un écran dépasse très largement celle des ordinateurs qu'il accompagne, et d'une manière générale, le « coût total de possession » du matériel Apple est estimé, année après année et depuis des décennies, inférieur de 30 % à celui de ses concurrents.

Pour l'anecdote, enfin, le prix des écrans Radius destinés à la PAO, à la fin des années 90, et qui fonctionnaient sur le même principe, n'étaient pas non plus spécialement donné, précisément pour les mêmes raisons.

Le prix élevé du Pro Stand a provoqué un "bad buzz" sur internet. Ce type de polémique peut-il porter préjudice à Apple ou pas? Pour quelle raisons?

Apple a l'habitude de ces commentaires, qui brassent de l'air immédiatement après les présentations de produits, a fortiori lorsque la sortie effective est programmée au-delà d'un trimestre. D'une manière générale, Apple mobilise des affects considérables, qui vont bien au-delà de son empreinte commerciale réelle : son logo à la pomme croquée symbolise à merveille la charge libidinale qu'elle mobilise, que ce soit de façon positive ou agressive, à chaque fois qu'il est question de la marque. La psychanalyse a beau ne plus être dans l'air du temps, elle offre une grille de lecture étonnamment éclairante dans ce cas précis. 

Ce n'est en effet pas le Mac Pro lui-même, lequel retrouve les qualités des modèles précédents par sa modularité et son design en corrigeant certaines erreurs ; ce n'est pas non plus l'écran, au bout du compte largement moins onéreux que les rares concurrents dans sa catégorie ; c'est en définitive le Pro Stand, sorte « d'objet partiel » en l'espèce, qui concentre sur lui les reproches et les sarcasmes dans un processus de déplacement, voire de clivage, et de condensation. Autant de mécanismes de défense mobilisés par l’Envie, au sens kleinien du terme, d'un matériel à la foi beau, inaccessible (et inutile) au commun des mortels. Ou, comme les raisins du renard de la fable, « trop verts (…), et bon pour des goujats… ». Ces manifestations d'agressivité, qui vont parfois jusqu'au passage à l'acte comme avec la destruction de produits à peine sortis du magasin lors du lancement de l'iPhone ou de l'iPad, ne sont d'ailleurs pas le fait des utilisateurs de la marque, lesquels ont en général bien compris l'intérêt d’un tel pied articulé : ceux-ci se sont contentés de sourire à propos du prix des roulettes (optionnels elles aussi) du nouveau Mac Pro, prix qu'Apple s’est bien gardé d'annoncer !

Plus sérieusement, personne n'est obligé d'acheter le Pro Stand avec l'écran XDR, lequel est livré par défaut avec un pied standard comparable à ce que proposent ses compétiteurs. Ce type de polémique n'est pas nouveau, et même fréquent lorsqu'il s'agit de matériel en rupture avec le reste du marché. En définitive, la question posée est plutôt de savoir si Apple, qui a fait un véritable effort en matière d'innovation, de design et de prix, à vouloir trop en faire s'est prit les pieds dans le tapis, ou si la marque s'est débrouillée pour susciter du « buzz » supplémentaire, bon mauvais peu importe.

MSI, qui commercialise des écrans de moindre résolution et d'un contraste moins important, ne s'est d'ailleurs pas privé d'ironiser, à la manière   d’un Steve Ballmer s'esclaffant bruyamment en 2007 après la présentation du premier iPhone. On connaît la suite. Celle de l'écran XD R et de son pied à 1000 $ n'est pas écrite pour autant, mais ce sont les professionnels à qui ils sont destinés qui ont leur destin en main. Peu importe les commentaires : comme toujours avec Apple ce sont les usages (et des usagers) qui ont le dernier mot.

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