Première mondiale : le gouvernement français régule ce méchant Internet qui facilite le commerce<!-- --> | Atlantico.fr
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Près de 9 Français sur 10 consultent les avis de consommateurs sur Internet.
Près de 9 Français sur 10 consultent les avis de consommateurs sur Internet.
©Reuters

e-régulation

En laissant passer des avis de consommateurs injustement négatifs, le Web fausserait la concurrence. Pourtant, le marché libre qu'il constitue tend en réalité à une baisse des prix et à l'amélioration des prestations. Et ça en France, on le régule.

Hash H16

Hash H16

H16 tient le blog Hashtable.

Il tient à son anonymat. Tout juste sait-on, qu'à 37 ans, cet informaticien à l'humour acerbe habite en Belgique et travaille pour "une grosse boutique qui produit, gère et manipule beaucoup, beaucoup de documents".

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Vraiment, Internet est une plaie. Non content de permettre à des humains d’être improductifs en regardant des vidéos de chatons crétins (ou en lisant des blogs subversifs), Internet provoque aussi des douzaines d’opportunités commerciales qui entraînent travail, richesse et effets de bords divers que les habituels pleurnicheurs français ne pourront s’empêcher de dénoncer.

Et il n’y a guère besoin de fouiller pour trouver quelques exemples navrants : ainsi, grâce à des sites comme TripAdvisor, Booking ou Expedia, le consommateur peut de façon relativement aisée connaître l’avis d’autres congénères sur, par exemple, les prestations offertes par tout hôtel de leur choix. En quelques clics, le client potentiel peut trouver une réponse simple à la question simple qu’il se pose : « l’hôtel que j’ai choisi est-il de bonne tenue, en ai-je pour mon argent, le mini-bar offre-t-il des bières bien fraîches » et toutes ces questions indispensable au globe-trotteur, à l’homme d’affaire ou au touriste des temps modernes qui abhorre les bières tièdes.

Bien évidemment, à cette réponse pratique et indépendante de l’État correspond un nouvel espace de liberté qui n’entre pas dans les critères d’un de ces pervers polymorphes compulsifs du contrôle d’autrui qui peuplent le gouvernement et l’administration française. Forcément, cela les titille. Beaucoup. Au point qu’en juillet dernier, nous avions pu voir se pointer un bout de législation intempestive : comme le marché très particulier de l’avis de consommateur n’avait pas encore reçu l’onction (généralement extrême) de l’État, il était plus que temps d’intervenir, pardi.

Partant du constat que, parfois, de méchants individus postaient des commentaires destructifs sur un concurrent, la légendaire Administration de la République Française s’est empressée de proposer une nouvelle norme, poétiquement appelée « AFNOR NF Z74-501″, afin de bien baliser tout ça. Le fait que ce soit une « première mondiale » n’est évidemment pas fortuit : seule la France pouvait s’empresser de claquer les thunes du contribuable pour résoudre un problème qui trouve normalement sa solution, gratuitement, dans le marché même qui l’a vu naître. Car, comprenez bien, tête de mule libérale, que, comme le dit le site de l’AFNOR à ce sujet,

Près de 9 Français sur 10 consultent les avis de consommateurs sur Internet et 89% d’entre eux les jugent « utiles » ou « très utiles ». Pourtant, un défaut de confiance est manifeste : 3/4 des français pensent que parmi les avis de consommateurs, certains sont faux.

Zutalors de sabre de bois d’un petit bonhomme de nom d’une pipe en carton ! Dans les avis de consommateurs, certains sont faux ? Mais, vains dieux, où va le monde mes amis où va le monde ?! C’est incroyable ! Laisser perdurer, sur internet, de tels écarts au bon goût est insupportable ! Ce serait comme laisser tranquille le vieux grincheux du coin persifler sur le restau de son quartier parce qu’une fois, le café fut servi froid ! Ce serait comme laisser parler les gens entre eux et émettre des avis faussement positifs (parce qu’ils sont de la famille) ou abusivement négatifs (car ils sont concurrent) de telle entreprise de maçonnerie, de charcuterie ou de réparation auto ! On commence comme ça, et les gens finissent par avoir autonomie et pensée personnelle ! Vous n’y pensez pas ! Grand fou, va.

Certes, la norme est pour le moment volontaire. Le restera-t-elle ? On peut cependant se douter qu’il y aura un travail de fond pour qu’enfin, elle soit rendue obligatoire histoire de faire rentrer dans le rang ces sites webs manifestement dirigés par le capitalisme apatride, la finance mondiale, la mondialisation galopante et le turbo-libéralisme sans frein ni lois.

J’exagère ? Allons. D’une part, ce n’est pas le genre de la maison, et d’autre part, des éléments concrets laissent déjà présager de cette issue évidente… à commencer par le travail indispensable de génie civil médiatique, de terrassement de la pensée et des ponts & chaussées de la propagande par le corps journalistique de la Socialie française en pleine action. Pour cela, il faudra préparer les âmes et les opinions à l’arrivée de cette législation en insistant bien sur l’horreur de la situation présente. Après tout, on aurait du mal à justifier une intervention de la puissance publique sans en passer par le constat, évident, que des gens souffrent, des commerçants sont lésés et des chatons couinent.

C’est ainsi qu’on tombe sur ce genre d’articles, produits par la fine fleur du journalisme de propagande français. Tout commence avant même la première bordée de mots, puisque le titre est déjà lourd de signification :

« Sites de réservations en ligne : ‘On se sent écrasé’ raconte une hôtelière »

On s’attend donc, naturellement, à un article qui nous explique dans le détail pourquoi ces sites de réservation en ligne constituent le nouveau patronat qui écrase la classe laborieuse, ou, alternativement, la nouvelle machine à broyer des honnêtes gens. Et dès le premier paragraphe, on comprend l’enjeu : un député, Razzy Hammadi, qui a flairé la bonne affaire politique, est déjà sur les rangs pour déposer un amendement (à l’une des cataractes de lois en cours de vote). Mieux, une fois l’accroche passée, on sait qu’il n’y aura pas débat : « Faut-il encadrer la pratique des sites de réservations en ligne ?» Hein, c’est vrai, ça, faut-il ? La réponse tombe, immédiate :« Oui ».

Au moins, jusque là, c’est clair. Et puis Arlette Thébault, l’hôtelière interrogée à l’occasion, admet que malgré les nombreux avantages d’Internet, elle se sent parfois « écrasée ».

Cependant, cela se corse un peu après : « S’inscrire sur booking.com m’a apporté beaucoup de clientèle » … Ah, zut ! Arlette, malheureuse, vous trottinez sur une pente glissante, là ! Mais la diablesse, ne se rendant pas compte de l’erreur de trajectoire, récidive :« Je n’arrivais plus à louer mes chambres toute seule. Pour moi c’est une façon de faire du remplissage ».

Mais enfin Arlette, ce n’est pas du tout ce qu’on avait répété avant l’émission ! L’idée, c’est « les sites internet sont gros, puissants et sans scrupules. Ils vous écrasent. » Franchement, Arlette, vous nous décevez. Surtout lorsqu’on apprend ensuite que depuis cette inscription, l’hôtel n’a plus de problème pour attirer les touristes, qui sont maintenant plus jeunes et moins français(avantage : cette dernière est parfois pingre voire casse-bonbon). On comprend qu’à long terme, l’opération fut plutôt bénéficiaire pour Arlette.

Bref : on s’attendait à du Zola, on flirte plutôt avec Alphonse Allais. Heureusement, le journaliste ne se démonte pas et trouve enfin la raison intrinsèque de l’écrasement de la commerçante par le vilain gros site dérégulé de la mondialisation galopante, apatride et tout le tralala : lorsqu’on tape le nom de l’hôtel dans un moteur de recherches, on tombe directement sur booking.com. Le site de l’hôtel apparaît bien après. Zut et crotte : « on se sent écrasé ».

Sans rentrer dans l’analyse SEO de Booking.com comparée à celle du site de l’hôtelière, peut-être est-ce justement LA raison pour laquelle notre commerçante arrive maintenant à remplir ses chambres. Et peut-être est-ce précisément pour cela que Booking, ça marche, que le client (l’hôtelière) de Booking est content, et que le client de l’hôtelière l’est aussi ?

Où donc est le problème, alors ? L’écrasement (qui, après analyse, s’avère être une simple question de position dans une page de recherche, et finalement au profit de l’hôtelière) étant maintenant écarté, il faut en débusquer un autre : et nous retombons sur le proverbial « avis des consommateurs » dont on sait tous qu’il contient une part non négligeable de fourbes et de petits malins. À commencer par un hypothétique chantage (un petit déjeuner gratuit contre un bon commentaire)… même si, (patatras) Arlette admet que ça ne lui est jamais arrivé.

C’est pénible : Arlette n’y met guère du sien. Rumeur de chantage (invérifiée, invérifiable), écrasement seulement dans le rang de recherche et à son profit, opération commercialement rentable, clients satisfaits … Méchant, méchant internet, il va bien falloir te réguler !

Vite, faisons intervenir le député qui aura certainement un angle intéressant de législation à proposer ! Et ça ne loupe pas : tout à trac, il nous explique que hotels.com et booking.com auraient des positions dominantes, ce qui est très vilain, que les avis qu’ils proposent influeraient sur les tarifs pratiqués par les hôtels, ce qui est übermoche, et surtout que ces sites sont basés off-shore et ne payent pas de taxes en France. Ce qui signe, ici, la véritable raison de l’engouement législatif.

Non, vraiment, y’a pas à tortiller : Internet est une plaie. Il permet à des clients de faire jouer la concurrence et, incidemment, de baisser les prix des hôtels en forçant une amélioration de leurs prestations, ce qui est, on peut le dire, intolérable. Mais avant tout, Internet autorise des gens à s’enrichir, sans cracher au bassinet de l’État.

Et ça, en Socialie Française, c’est parfaitement interdit.

Cet article a précédemment été publié sur le site Hashtable : petites chroniques désabusées d'un pays en lente décomposition. 

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