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Pourquoi selon cette étude, télévision et vote populiste font bon ménage en Italie (et pourquoi c'est probablement le cas en France)
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Influence au vote à la télévision

Dans une étude récemment publiée dans l'American Economic Review, trois économistes ont montré, à partir de l'exemple de l'Italie depuis les années 1980 et en particulier sous Berlusconi, et avec des preuves chiffrées à l'appui, que la consommation de télévision de divertissement joue en la faveur du vote populiste.

Francis Balle

Francis Balle

Francis Balle est professeur de Science politique à Pantheon-Assas. Il est l’auteur de Médias et sociétés 18 ème édition, ed Lextenso et de Le choc des inculture , ed L’Archipel.

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Atlantico : Selon les auteurs de l'étude, "l'exposition précoce à la télévision de divertissement a influencé les préférences politiques par un appauvrissement des compétences cognitives". Quelles seraient, selon vous, les raisons de cette corrélation ? Selon quel procédé logique la consommation de télévision de divertissement influence-t-elle le vote populiste ?

Francis Balle : En ce qui concerne Berlusconi, ce dernier a constitué un réseau de chaînes de télévision régionales non pas pour des raisons politiques au départ, mais parce qu'il avait construit tout autour de Milan de nouvelles résidences et que la meilleure manière pour lui de rentabiliser cet investissement immobilier était de les raccorder avec l'intention de constituer un véritable réseau de télévision. S'il a véritablement joué la carte du divertissement et d'un divertissement qui n'était pas forcément très averti ni éducatif, c'était simplement pour conquérir une audience aussi large que possible, et non avec des visées politiques. Il n'y a qu'une coïncidence entre le fait que les Italiens qui se sont montrés favorables à Force Italienne qu'il avait constituée étaient justement clients des émissions de divertissement qui lui ont permis de rentabiliser sa campagne.
En revanche, ce qui nous revient d'Italie, c'est la formule d'Umberto Eco qui disait que "la télévision rend intelligent les gens qui n'ont pas accès à la culture et abrutit ceux qui se croient cultivés." Il est certain que l'instruction et l'éducation reçues influencent fortement quant au choix des programmes politiques (lorsque le choix est laissé).
Il y a divertissement et divertissement. Il y a des divertissements qui sont véritablement abrutissants, même pour les gens abrutis par le travail et qui ont besoin de se divertir (au bon sens du terme), mais il y a aussi des divertissements qui peuvent éventuellement ne pas être éducatifs du tout mais qui peuvent divertir des personnes cultivées. Il ne faut pas établir de lien trop direct entre les deux, d'autant plus que dans les études sur ce que les gens regardent à la télévision, il y a une sous-estimation de ceux qui regardent des émissions de divertissement et une surestimation de ceux qui déclarent regarder des émissions culturelles ou politiques : il faut se méfier des études d'audience qui portent sur des programmes de télévision.
Qu'il y ait, parmi ceux qui fréquentent les programmes de divertissement les plus abrutissants, vulgaires et les moins éducatifs, une proportion plus grande de personnes qui votent plutôt pour les extrémismes de gauche ou de droite, ceux qu'on appelle les partis populistes, ce n'est pas du tout exclu et sûrement parfaitement avéré et vérifiables.
Ce ne sont pas les programmes de divertissement vulgaires qui conduisent vers le vote populiste, c'est le fait qu'un tiers facteur intervienne. Ceux qui votent plutôt pour les partis populistes et ceux qui regardent les programmes de divertissement les plus abrutissants sont ceux qui sont les moins cultivés, les moins instruits et ceux qui ont par conséquent les "prérequis" les moins élevés. Il n'y a pas de lien direct entre les deux : cette corrélation est liée au fait que le vote populiste comme le choix pour les programmes de divertissement dépendent l'un et l'autre d'un même facteur qui est la précarité intellectuelle, le faible niveau d'instruction et le faible niveau par conséquent d'exigence intellectuelle. Il n'y a donc pas de lien de cause à effet entre les deux.
Ce qui peut expliquer que les personnes les moins instruites votent pour des partis populistes, c'est certainement le fait que les programmes populistes ont l'art de tout expliquer par un seul facteur, une seule idée et ainsi de simplifier le réel pour le rendre facilement accessible à n'importe qui : ce sont des idéocrates, des idéologues qui ramènent tout à un seul facteur.

Selon les auteurs, les partis populistes font délibérément appel à des électeurs moins informés sur la politique. Les consommateurs de divertissement télévisuel n'offrent-ils pas une clientèle politique idéale pour les partis populistes dans la mesure où ils pratiquent délibérément une désinformation ?

C'est vrai que l'ignorance est un terreau tout à fait favorable aux populismes, dont l'art ou la tactique consiste à tout expliquer par un seul facteur, et par conséquent à rendre les choses aisément intelligibles à partir d'un seul élément d'explication que ce soit la mondialisation, la concurrence, la présence des étrangers etc.) L'inculture politique est en effet un terreau pour tous les propagandistes en puissance. Après tout, la propagande n'existe que parce qu'il y a des propagandés en puissance, c'est-à-dire des gens qui sont "propagandables". Évidemment, les propagandistes en priorité à ceux qui sont les plus aisément "propagandables", c'est-à-dire ceux qui sont les moins instruits et qui sont en quête d'une explication aux maux dont ils subissent les conséquences.
Tous les pays sont concernés de la même façon dans la mesure où une proportion de personnes qui n'est pas de moins en moins importante est suffisamment instruite sur les choses politiques pour être vulnérables à la propagande mais insuffisamment cultivées pour pouvoir lui opposer un esprit critique et une espèce de contre-poison. Les gens ont globalement un niveau juste suffisant pour être accessible à la propagande mais ils sont insuffisamment instruits pour pouvoir opposer à cette désinformation une espèce de contre-poison. Le seul contre-poison à opposer à ceux qui veulent vous inculquer une propagande, c'est l'esprit critique. Or l'esprit critique, c'est ce à quoi conduisent normalement la culture et l'instruction, si en tout cas l'une et l'autre sont bien conduites.

Quelles autres conséquences politiques pourrait logiquement avoir la consommation de télévision de divertissement (désintéressement, indifférence, opinions politiques plus modérées etc.) ?

Ceux qui sont véritablement abrutis par le travail et qui sont dans une situation de précarité sont plus nombreux que les autres à regarder les programmes de divertissement proposés par les chaînes de grande audience et dans les heures de grande écoute, mais cela ne veut pas dire qu'il ne cherche pas une explication aux maux dont ils souffrent. Cherchant une explication à cette souffrance sociale et n'ayant pas un esprit critique suffisamment averti, ils sont vulnérables et perméables à toute propagande ou idéologie qui tend à rendre compte de la complexité de la réalité politique par un seul facteur. Le fait qu'ils cèdent au vote populiste ne veut pas dire qu'ils ne s'intéressent pas à la chose politique : cependant, ils tombent dans une explication simpliste qui ne rend pas compte de la réalité politique dans laquelle nous vivons.
De la même façon, il y a beaucoup de dérision dans les émissions de divertissement, une espèce de culture qui sape les fondements de l'autorité et qui fait que les gouvernants ne sont plus respectés, et que les gouvernés n'ont plus envie d'obéir. Cet esprit de dérision met à mal toutes les formes d'autorité (politique, intellectuelle, culturelle, religieuse etc.) et pousse davantage à un vote radical, contestataire et non modéré.
De manière générale, la consommation de programmes de divertissement peut conduire à deux attitudes différentes : une attitude de protestation qui conduit au vote islamiste ou un désintérêt de la chose politique et un mépris pour les hommes politiques eux-mêmes. Ou bien on se détourne des programmes, des projets politiques et des hommes qui les incarnent ; ou bien, au contraire, on se jette à bras raccourcis dans les explications les plus simplistes qui conduisent au vote extrémiste. Cela conduit donc soit à l'abstention, soit à la dépolitisation, les deux principales composantes de l'ADN du vote populiste.

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