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Pourquoi les applis qui comptent les calories peuvent exacerber les troubles de l’alimentation
©WILLIAM WEST / AFP

Remède pire que le mal

Nombre d'utilisateurs d'applications visant à surveiller leur alimentation confient avoir développé des troubles alimentaires à la suite de leur utilisation, notamment à cause de leurs messages culpabilisants.

Catherine Grangeard

Catherine Grangeard

Catherine Grangeard est psychanalyste. Elle est l'auteur du livre Comprendre l'obésité chez Albin Michel, et de Obésité, le poids des mots, les maux du poids chez Calmann-Lévy.

Elle est membre du Think Tank ObésitéS, premier groupe de réflexion français sur la question du surpoids. 

Co-auteur du livre "La femme qui voit de l'autre côté du miroir" chez Eyrolles. 

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Atlantico : La BBC révèle dans une enquête que bon nombre des applications de comptage de calories créent des messages punitifs ou humiliants dès que l'utilisateur mange trop. Nombre d'utilisateurs ont confié avoir développé des troubles alimentaires à la suite de l'utilisation de ce type d'applications. Qu'est-ce que cela vous inspire ? 

Catherine Grangeard : Ça ne vous surprendra pas, je parie : si chaque personne est unique, comment une appli peut convenir à tout le monde ? Ensuite, si une personne a besoin d’une appli pour cet acte si naturel que se nourrir, n’est-ce pas qu’à la base elle a déjà un léger (au minimum) problème ? Enfin, déléguer à qui que ce soit ce contrôle, qu’est- ce que ça peut donner ? Le pire, sans doute ! (Sauf pour les personnes derrière qui font leurs choux gras et ce qui explique la prolifération de ces applis…)

Qu’est- ce que les gens recherchent pour se soumettre ainsi ? Quel degré d’abandon de soi y a-t -il tapi dans l’ombre ? Tout ceci est extrêmement inquiétant.

Les conseils nutritionnels sont pourtant largement diffusés. Qui ignorerait que les aliments ultra-transformés sont plus nocifs que ceux qui sont naturels ? Qui n’aurait pas la faculté de jugement nécessaires pour un choix entre un aliment gras et sucrés et d’autres plus sains ? Au secours ! Retrouvons le minimum de bon sens pour gérer sa vie !

Créer une appli avec des messages punitifs, c’est grave. Les utiliser pose vraiment question. Toute recherche d’une maltraitance est un signe pathologique. Qu’y a- t-il dessous ? Les troubles alimentaires ne sont qu’une manifestation, visible d’une problématique globale de mal-être. Une réelle vulnérabilité mène à de telles extrémités. Toujours, le manque profond de confiance en soi est la base pour accepter une telle prise de pouvoir sur soi.

Aucun contrôle législatif n’existe donc pour ces applis ? Ce dernier point confirme alors qu’il faut les fuir.

Quelles conséquences psychiques et physiques peuvent avoir ces messages sur un utilisateur ou une utilisatrice ? Peut-il entrer dans une spirale infernale ? 

L’obsession qui mène à l’appli va bien évidemment s’amplifier avec elle. Déjà, revenons sur qui choisit ces applis. Réfléchissons un peu, tout de même ! Déléguer ce contrôle de soi doit bien avoir un sens pour ces personnes qui se font si peu confiance qu’il leur parait nécessaire de s’en remettre à un outil ayant le savoir et la compétence…. Qu’est ce qui est grave à ce point pour que la recherche d’une servitude volontaire s’empare d’une personne et la conduise à cette appli ?

De là, l’appli gère puisque c’est ce qu’on lui demande ! J’insiste lourdement sur ce comportement totalement ahurissant que de chercher à l’extérieur de soi le moyen de se réguler. Je conseille bien sûr de réviser la nutrition pour se redonner confiance. Ensuite de lire « La femme qui voit de l’autre côté du miroir » ! Cette autopromo est salvatrice ! C’est la raison pour laquelle Dahnée Leportois et moi nous avons écrit ce livre. Dans ce roman très adapté à la saison estivale, nous montrons les tours et détours pour se libérer de ces applis, mais pas uniquement, aussi des injonctions qui sont derrière des comportements plus nocifs les uns que les autres et détruisant le peu de confiance en soi qui y menait…

La spirale est vraiment à décomposer pour s’en sortir. Les conséquences psychiques comme physiques vont à l’encontre des objectifs initiaux. Il vaut mieux commencer par le commencement et consulter ! Avant d’en arriver à s’aliéner à une appli qui décide, félicite ou punit, comprendre la démarche s’impose. L’adulte veut- il rester mineur ? (Et qui contrôle qu’aucun mineur n’utilise l’appli, puisque les infos données ne sont que déclaratives ?) Comment sait-  on que c’est vraiment « de son plein gré » qu’une personne, en toute connaissance de cause, adhère ? Vous voyez bien que l’on aborde maintenant des questions de fond. Déléguer sa faculté de jugement ne saurait être sans conséquences ! C’est un process qui aggrave les troubles préexistants. Ces troubles du comportement alimentaire (TCA) sont parfois vraiment graves.

Faudrait-il que ces applications fassent plus de sensibilisation et échangent davantage sur le cheminement de l'utilisateur ? Pourquoi veut- il perdre du poids, comment peut-il le faire sans se mettre en danger ou s'auto-flageller par exemple ? 

Effectivement, « POURQUOI ? » doit venir au début avant le « COMMENT ». Pourquoi a- t-on un réel problème de poids, ou mieux pourquoi est-ce considéré comme tel ?

Il vaut mieux consulter, en face à face, et non par le truchement d’applis où vous ne savez pas du tout qui est derrière. J’en connais qui sont créées par des médecins mais croyez-vous qu’ils sont derrière leur ordi à longueur de journées et de nuits ? S’il y a des interactions, c’est avec un pool de personnes…

Plus la personne a tenté de démarches, plus l’insuccès est rendez-vous, plus elle est fragile. Sa vulnérabilité l’entraîne vers n’importe quoi. Nous avons une urgence à remettre les choses d’aplomb.

Une appli n’est pas là pour sensibiliser. C’est l’arbre qui cache la forêt. La réelle raison d’être est mercantile. C’est un marché ! Puisque la population grossit et qu’un idéal de minceur est entretenu, qu’inventer ?

Chaque personne ayant des moments de détresse vis-à-vis de son poids est une cible potentielle. Certaines applis vont avoir un discours élaboré pour donner confiance à la clientèle visée, le marketing est là pour offrir les messages adaptés et attirer ce segment de population. Y compris sous des allures très sérieuses. Et bien sûr, certaines applis sont pires que d’autres.

Le danger est réel et pour terminer je rappelle que 95 % des régimes aboutissent à des prises de poids. Le poids n’est pas un souci extérieur à la personne. Elle est concernée dans sa globalité de personne. Ainsi, cessons de considérer les kilos, comme n’étant rien d’autres qu’une question de chiffres sur une balance. Toute la personne, psychique comme physique, a besoin de creuser pourquoi elle irait vers ce type de d’applis. Pour ces outils, comme pour d’autres sujets, il est indispensable de revenir au POURQUOI ! Si les TCA se multiplient, quelles en sont les causes ?

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