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Pourquoi le commandant en chef des troupes de la coalition en Irak pense qu’il faudra au moins encore deux ans pour terrasser l’Etat islamique
©DELIL SOULEIMAN / AFP

THE DAILY BEAST

Il n'y a pas si longtemps, le Pentagone parlait de détruire rapidement les places fortes de l'Etat islamique. Maintenant, il faudrait attendre jusqu'à la fin de 2018 pour y arriver. Peut-être plus même.

Kimberly Dozier

Kimberly Dozier

Kimberly Dozier est contributrice pour The Daily Beast et CNN. Elle couvre les sujets relatifs aux conflits au Moyen-Orient et en Europe, ainsi que ceux concernant la sécurité nationale des Etats-Unis depuis 1992. 

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The Daily Beast par Kimberly Dozier

BAGDAD, Irak. Le commandement en chef des forces de la coalition en Irak estime qu'il faudra deux années de combat acharné pour effacer toute présence du soi-disant État Islamique de ses capitales de Mossoul et de Raqqa, puis il faudra neutraliser ceux qui vont probablement fuir dans le vaste désert qui s’étend entre la Syrie et l'Irak.

Lors d’une entrevue dans son quartier général, le jour de Noël, avec le Daily Beast,le généralStephen Townsend n’envisageait pas de calendrier précis pour cette bataille. Il voyait plutôt une longue guerre d’usure, compte tenu du temps que l'Etat Islamique a eu pour se préparer et de la violence sans limites de ses combattants.

"Un combattant de l'Etat islamique qui sort d'un immeuble à pied, sait qu’on le voit via nos systèmes ISR (Intelligence Surveillance Reconnaissance). Pour se protéger, il peut mettre un enfant sur ses épaules jusqu'à ce qu'il atteigne l'abri d'un autre bâtiment"

Cette dure bataille contre l'Etat Islamique se déroule sur fond de tensions sectaires en Irak, qui pourraient empirer si les milices arrivent à étendre leur influence. Une nouvelle loi irakienne qui entre en vigueur cette semaine rend les milices légales. De tels groupes, surtout iraniens, soutenus par les forces armées chiites, ont été accusés de crimes de guerre contre la minorité sunnite en Irak. Les Etats-Unis regardent habituellement ces unités avec méfiance.

Mais Townsend, dans une déclaration inhabituelle pour un commandant américain, dit que ces milices ont été des alliés "remarquablement disciplinés" depuis son arrivée. Ce commentaire contraste avec le passé, lorsque des bombes de fabrication iranienne ont raté de peu son véhicule, et tué plusieurs de ses hommes.

Les forces de la coalition sont nettement moins nombreuses que lors des précédents séjours de Townsend où l’on comptait plus de 100 000 Américains en Irak.

Le quartier général est niché dans la "Zone verte" de Bagdad qui était dirigée par les États-Unis avant de passer sous contrôle irakien. Les Américains se sentent désormais comme des invités. L’autorité américaine s’arrête à la porte de ce complexe, dehors, par contre, tout se fait avec la permission du gouvernement irakien. L'équipe de Townsend est très consciente qu’elle est là pour aider, pas pour diriger.

L'équipe de Bagdad, en collaboration avec la base des opérations spéciales située dans le nord, fournit grâce à des drones, un flux régulier de renseignements aux forces irakiennes sur le terrain. La plupart des conseillers sont au quartier général irakien, mais les "formateurs" chargés des opérations spéciales travaillent sur le terrain avec les forces irakiennes, tandis que les troupes américaines sont également autorisées à faire elles-mêmes des raids avec la permission irakienne.

Ce qui fait que les hommes de Townsend voient des choses qu’il ne pourront jamais oublier.

"Décapiter avec un couteau ne leur suffit plus" dit Townsend des combattants de l'Etat Islamique. Il explique qu'ils utilisent aussi des chalumeaux, des scies à chaîne, et même des bulldozers pour écraser des rangées de victimes. La coalition tente d'arrêter de telles actions macabres en frappant des cibles à proximité, mais cela ne suffit que rarement.

Le défi majeur c’est d'aider sans heurter d’éventuelles susceptibilités. Parfois, cela signifie hésiter à dire la vérité aux médias américains, alors que les généraux irakiens sont moins transparents dans un pays où admettre ouvertement des erreurs ou des difficultés ne se fait pas.

Par exemple, au cours des deux dernières semaines, des généraux irakiens ont dit à la presse locale qu'ils continuaient l'assaut sur Mossoul, sans faire de pause.

Mais Townsend dit que les forces irakiennes ont fait une pause dans leurs attaques dans Mossoul au cours de la semaine écoulée, après deux mois de campagne, pour se réapprovisionner, et combler des pertes humaines qui ont atteint 30% dans certaines unités. Les conseillers américains les avaient avertis qu'ils pourraient avoir à faire une pause de ce genre.

"Les hommes ont besoin de se reposer. Ils doivent faire le point, car les choses ne vont pas aussi vite que nous le pensions" dit Towsend.

Les Irakiens sont en train de faire venir des renforts frais, des munitions, en prenant le temps de réparer les véhicules endommagés dans l'assaut sur l'ouest de Mossoul. L'armée américaine avait fait de même quand elle est partie à l’assaut de Bagdad, en 2003, elle avait fait une pause en chemin avant de prendre la capitale, rappelle Townsend.

Il ajoute que les généraux irakiens se sont réunis pour une session de débriefing la semaine dernière, et ils ont évoqué franchement ce qui a fonctionné et ce qui a échoué dans la bataille.

La plus grande menace à laquelle les forces irakiennes sont confrontées vient des véhicules blindés suicides. Townsend montre la photo d'un Jeep Cherokee 2015 qui avait été professionnellement blindé et équipé d'une tourelle. Il y avait même une plate-forme à l'arrière du véhicule où les kamikazes avec leurs gilets d’explosifs peuvent s’accrocher jusqu'à ce qu'ils atteignent la cible.

L'armée irakienne apprend à déployer ses chars dans les combats de rue comme les forces américaines l’avaient elles-mêmes appris lors de combats dans des zones urbaines irakiennes.

"Honnêtement, je ne pense pas que nous les ayons formés pour ce genre de mission. Ils apprennent en combattant."

Il ajoute que maintenant les forces terrestres irakiennes ont appris à inspecter les maisons de part et d’autre du passage des chars, tandis que les chars les protégent des véhicules kamikazes blindés. Ils font aussi des trous à la dynamite dans les murs des maisons pour que les forces terrestres puissent les inspecter sans passer par les portes souvent piégées.

Townsend fait l’éloge des progrès rapides des Forces de mobilisation populaires (PMF) - à majorité chiites - qui ont pris d'assaut Tel Afar, le bastion de l'Etat Islamique à l'ouest de Mossoul, en empêchant les combattants de l'Etat Islamique de circuler avec des informations ou de l’approvisionnement.

"Les PMF ont avancé plus rapidement que prévu et elles ont fait un bon travail" dit-il.

Les PMF sont constituées de plusieurs dizaines de groupes de milices irrégulières venues de toutes les allégeances religieuses et politiques d’Irak, y compris sunnite et même chrétienne, mais la majorité sont chiites. Certains groupes ont été formés pour combattre les Etats-Unis après l'invasion de 2003, et d'autres formés après, lorsque le plus haut dignitaire chiite d'Irak, l'ayatollah Ali al Sistani, a émis une fatwa, un ordre religieux, appelant les Irakiens à prendre les armes contre l'Etat Islamique qui venait de s’emparer d’une grande partie de l'Irak en 2014.

Le parlement irakien a récemment adopté une loi rendant ces groupes légaux, en les plaçant sous les ordres des forces armées irakiennes, bien qu’elles dépendent directement du Premier ministre irakien Haidar al Abadi.

Porte-parole des PMF, Ahmad Al Asady, a déclaré au Daily Beast que la loi entrait en vigueur lundi, et qu'elle contribuera à professionnaliser ces groupes. Certains ont été accusés d'avoir commis des atrocités et d’avoir détenu des Irakiens, en particulier issus de la minorité sunnite, de manière illégale et par centaines, une accusation qu’Asady nie.

Il dit que les PMF ont suivi des séances d’entraînement pendant un an pour leur enseigner comment combattre en respectant les Conventions de Genève, y compris via des ateliers avec le Comité international de la Croix-Rouge et d'autres organismes humanitaires. Le CICR à Bagdad a confirmé avoir participé à des séances de formation.

Asady dit qu'ils dépendent directement du Premier ministre, mais il concède que ces forces étaient aidées par des conseillers iraniens, y compris sur le terrain lors des combats

Townsend ajoute qu’il a pu constater que les groupes PMF malgré leurs disparités agissent professionnellement.

"Avant que je n’arrive ici, j‘ai lu toutes sortes de choses au sujet des PMF, mais depuis je suis là, je n'ai pas observé de mauvais comportements. Nous n’avons pas entendu de plaintes et il n’y a eu aucune menace contre des Américains".

"Leurs services de communications internes et externes disent de maintenir la discipline et de suivre les ordres du gouvernement.  Et c'est ce que nous voyons."

Townsend estime que la nouvelle loi, qui légalise ces forces, pourrait rendre l'Irak plus sûr, si elles deviennent une sorte de garde nationale, et non pas une "marionnette" de l'Iran, comme le souhaiterait le commandant de la Force Qods, le général iranien Qasem Suleimani.

Cela serait un vrai problème si les PMF devenaient le bras armé de l’Iran en Irak comme la Force Qods est "au service de Téhéran pour ses guerres en Syrie et au Yemen".

La loi sur les PMF ne fait qu’une page et demi, elle est très vaguement écrite.

"Notre gouvernement voudrait qu’elle soit mise en forme. J'espère que les Irakiens feront le bon choix." Mais il n’est pas prévu que des conseillers américains aident ces unités principalement chiites.

La guerre se déroule au milieu des conflits sectaires qui agitent Bagdad, et un cynique changement politique est toujours possible.

Dans l'église catholique St. George de Bagdad, où plusieurs centaines de chrétiens se sont réunis pour célébrer Noël, un homme politique chiite de premier plan a parlé d'unité " Après avoir combattu l'Etat Islamique nous ne souhaitons pas la guerre civile, ni nous entretuer" a dit Ammar Al-Hakim, un des plus puissants politiciens chiites d'Irak. "La seule option que nous avons est de vivre ensemble et cela nécessite un projet de réconciliation nationale. Nous devons panser nos plaies ensemble ".

Mais il a déja assisté à des services religieux au cours des années, et la communauté chrétienne d'Irak a continué à diminuer passant d’environ 1,5 million avant l'invasion américaine à environ un demi-million aujourd'hui. L'Etat Islamique n'a fait qu’empirer les choses dit le père Meyassr Behnam de St. George.

"Les familles partent, environ 100 chaque mois" de Bagdad, et c’est pire dans le Nord où les villages chrétiens ont été rasés par l'Etat Islamique.

Devant l’église il y a une crèche installée dans ce qui ressemble à une maison détruite par l'Etat Islamique, et à côté, la maquette d'une célèbre église de la ville chrétienne de Qaraqosh, couverte par l'Etat Islamique d’un graffiti. Il fait remarquer que le graffiti a été astucieusement modifié, en changeant seulement quelques lettres pour transformer l'expression "État Islamique en Irak et au Levant" en "La paix est née en Irak et au Levant."

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