Pourquoi croire que Christiane Taubira cristallise les haines en raison de "l'impensé colonial et du néolibéralisme" ne fait qu'aggraver le problème<!-- --> | Atlantico.fr
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La ministre de la Justice Christiane Taubira.
La ministre de la Justice Christiane Taubira.
©Reuters

Théories attérantes

Christian Salmon, rédacteur d'un blog affilié à Mediapart et auteur de livres sur l'engagement et la censure, a publié un article dans lequel il théorise que l'affaire Taubira serait la conséquence de la rencontre du néo-libéralisme et de l'impensé colonial. Des arguments dénués de sens qu'Edwy Plenel s'est empressé de retweeter.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Lire le papier de Christian Salmon L’affaire Taubira ou la rencontre de l’impensé colonial et du néolibéralisme

Dans un article publié hier sur Mediapart, à propos de ce que révéleraient les provocations racistes dont Mme Taubira a été la victime, sur fond de procès d’une France accusée de racisme, on lit une diatribe curieuse. Il nous est avancé que l’affaire Taubira serait le révélateur de la rencontre de deux blocs : « le souverainisme xénophobe nourri au racisme colonial et le mondialisme néolibéral. » Ainsi, se rencontreraient une France raciste qui ne serait pas débarrassée de l’héritage de la domination coloniale et un mondialisme néolibéral qui effacerait les frontières de la souveraineté tout en flattant « l’instinct répressif des foules » en matière de sécurité et d’immigration à l’intérieur des Etats.

Il est en fait question de dénoncer ceux qui voient dans « noirs, Roms, étrangers », les « minorités visibles » un « ennemi intérieur », la souveraineté étant au service d’une politique de police tournée contre ces derniers et toute idée d’identité de la France ramenée à une conception de l’identité nationale se confondant avec la xénophobie.  La mise en accusation de ceux qui refusent de laisser les frontières ouvertes à l’immigration est le véritable sujet de cet article. Il vise à amalgamer ceux qui défendent l’idée d’une nation souveraine maitrisant ses flux migratoires, dont d’ailleurs aucun pays ne peut faire l’économie, et un néolibéralisme accusé de jouer sur le sentiment national,  par encouragement de la xénophobie, pour créer l’illusion chez les peuples qu’ils disposeraient encore d’une forme d’indépendance et d’identité. Cette thèse aboutissant à faire se confondre ceux qui refusent que la France lève ses frontières et n’acceptent pas le multiculturalisme, avec des néolibéraux de droite voire d’extrême-droite, les humanistes ne pouvant qu’être de l’autre côté.

Mais cette thèse est un mensonge, une imposture. En fait, c’est la haine de la nation et de la France républicaine qui est derrière ce discours et sert par la division qu’il entretient le néolibéralisme et son œuvre de mondialisation financière.

On met en garde contre la racialisation des esprits mais on soutient le livre de l’historien Pap Ndiaye, auteur de La Condition noire (Calmann-Lévy), qui justement défend à travers ce titre la reconnaissance d’une condition noire en France, qui ferait de cette population une population à part alors qu’il n’y rien de plus faux. A moins il est vrai de chercher l’axe communautaire comme ciment d’une nouvelle démagogie politique. La France est le pays du plus grand nombre de couples mixtes au monde, comme le rappelait il y a encore quelques jours Malek Boutih (PS), dans le journal le Parisien. Et comment oublier que la personnalité la plus aimée des français est Omar Sy, que viennent ensuite les Gad Elmaleh, Jamel Debbouze et autres Yannick Noah et Zidane. Que nous chante-t-on là alors!

A partir du délire de quelques individualités et de quelques groupuscules qui ne signifient rien, et dont les propos racistes à l’égard d‘une ministre doivent être simplement sanctionnés par la loi tout en calmant les esprits, on monte en épingles, on enfle les faits pour jouer sur le registre de la théorie du complot d’une France raciste mise en procès et exécutée avant d’être jugée. On se sert de l’accusation de racisme derrière laquelle on cherche toute autre chose, à justifier la promotion des minorités visibles, la fin des frontières et une immigration sans contrôle. En fait, ce qui est défendu derrière cette violence verbale et ces procès n’est rien d’autre que le multiculturalisme,  la discrimination positive avec son communautarisme mortifère pour notre république qui ne survivrait pas à une division de notre société sur un fondement ethnico-religieux.

L’auteur utilise les attaques racistes et archaïques de quelques-uns pour justifier un peu plus loin d’identifier la République au racisme, par un amalgame odieux dont on connait par ailleurs la pratique, lorsque d’aucun pour servir leur cause parlent de « rafles » pour les arrestations de sans-papiers, voire de déportation comme l’a fait Lilian Thuram.  On en revient à l’exposition coloniale de 1931 pour nous expliquer qu’il ne faut pas attendre de sursaut moral de cette République en raison du fait qu’elle s’est « illustrée il y a moins d’un siècle en organisant des zoos humains en plein Paris ». Un amalgame au service d’une propagande de guerre contre la République qui est pourtant le rempart de nos libertés communes et d’une égalité pour tous, quels que soient la couleur, l’origine ou la religion, qui est le résultat de cette capacité à avoir su dépasser ses contradictions devant l’histoire pour mieux affirmer justement ses valeurs. A l’appui de cette exposition indigne d’être humains montrés comme au zoo, on enchaine ainsi les amalgames pour laisser penser que les attitudes racistes archaïques, relatives à comparer Mme Taubira de façon ignoble à une guenon, seraient encore le fait de la généralité à la façon d’un héritage de l’ordre de l’atavisme concernant tout un peuple. Mais comment peut-on au passage faire oublier que le peuple français a été celui qui a le plus manifesté au monde contre le colonialisme et faire croire qu’il n’en resterait ainsi rien dans les esprits et dans notre patrimoine commun !

On parle encore d’une résurgence du racisme qui s’inscrirait dans le droit fil d’un impensé colonial qui hanterait la société française, pour nous rappeler la loi de février 2005 évoquant, dans sa première mouture, les « aspects positifs » de la colonisation. Si l’histoire ne saurait être jugée dans une loi et le colonialisme passer pour une entreprise de bienfaisance, il est bien dommage qu’on ne nous rappelle pas les termes de la pétition contre cette loi qui avait suivie. Car pour être dans le même état d’esprit d’amalgame, elle parlait de « génocides » à propos du colonialisme français qui est une calomnie,  faisant endosser à la France et à sa République l’image d’un colonialisme façon nazie.

On identifie ensuite le débat sur l’identité nationale, menée par l’ex-président de la République qui l’avait détourné de son sens à des fins électorales, avec L’Identité malheureuse, le dernier livre d’Alain Finkielkraut, désigné dans ce contexte de « navrant symptôme ». Un livre au contraire à saluer qui tente de fendre provocations et amalgames pour faire entendre, avec un certain courage sa voix, en faveur de cette France républicaine piétinée, salie avec tant de facilité. 

Les attaques violentes de l’auteur contre la France, la République et son peuple, servent à cacher les desseins réels de cette démarche. Il s’agit, par l’effet d’une victimisation à outrance avec une dramatisation relevant de la propagande, de créer un sentiment de peur selon la couleur, la religion, l’origine, pour induire de penser que la seule façon de se défendre face à cette idée fausse de racisme généralisé dont on voudrait faire un fait vrai, c’est de se réunir en communautés par affinité de différences, en faisant voler en éclat toute idée de peuple, de conscience commune. C’est la façon la plus sûre, en faisant ainsi voler en éclat les forces sociales que représentent toutes ces femmes et ces hommes de toutes différences, d’assurer au libéralisme de ne rencontrer sur son chemin plus aucune forces capables de le contenir, de le contredire. Voilà bien l’imposture de ces révolutionnaires de pacotille qui ne sont que les jouets de l’alliance entre le communautarisme et la domination libérale.

Nous vivons précisément des temps de crise des valeurs collectives qui mériteraient d’être défendues et protégées contre les attaques des diviseurs, de tous ceux qui cherchent des boucs émissaires, immigrées d’un côté faussement responsables de tout opposés au reste, France blanche de l’autre, identifiée aux riches du Sud rejetant ceux pauvres du Nord, sur un fond de raciste postcolonial. Haine contre haine ! Non, il y a une autre voie, celle de l’intérêt général et de l’humanisme de ces valeurs républicaines - liberté, égalité, fraternité - qui se traduisent dans la loi pour offrir à tous une place dans la mesure du possible. Que ne faut-il rappeler que la France est la première terre d’accueil au monde, que nous naturalisons 100 000 étrangers par ans, que l’école accueille sans condition tous les enfants que leurs parents aient des papiers ou non, que ceux qui sont sans papiers bénéficient de l’Aide médicale d’Etat au bout de trois mois de résidence sur notre sol, l’équivalent de la CMU,  dans l’esprit du plus haut niveau de protection sociale au monde d’un pays qui ne discrimine de ce point de vue personne.

Il ya quelque chose dans tout cela qui est tout de même un comble. C’est que toute cette énormité de crier au racisme tel la peste faisant contagion à partir de quelques provocations auxquelles il faut réagir mais qui sont enflées à outrance, vienne  de ceux qui se rendent responsables de cette situation d’un FN qui n’a sans doute jamais été autant en si bonne posture avec sa préférence nationale, cette discrimination revendiquée, d’atteindre un niveau d’influence inégalé. Ce qui pose problème, n’est-ce pas l’absence de nos politiques s’identifiant à de simples gestionnaires pour vider le mot politique de tout son sens jusqu’à notre démocratie et notre République, avec comme seul horizon indépassable une Europe de la récession et des inégalités sociales, de la mondialisation libérale, qui crée toutes les conditions du pire ? Voilà sans doute ce que les procureurs de cette France, qui perd l’espoir dans l’avenir et la confiance dans ses institutions, contribuent à faire oublier en enflammant les esprits avec des accents de guerre. Ils mettent en scène un climat de haine entre une population dite « majoritaire » et les étrangers ou immigrés, pour créer un climat délétère qui n’est pas sans risques pour notre paix civile, à la mesure de leur imposture. 


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