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Emmanuel Macron marche avec le sénateur François Patriat et le maire de Dijon François Rebsamen après une visite à Dijon, le 28 mars 2022.
Emmanuel Macron marche avec le sénateur François Patriat et le maire de Dijon François Rebsamen après une visite à Dijon, le 28 mars 2022.
©Ludovic MARIN / AFP

Très petit dénominateur commun

Une majorité aussi hétéroclite -qui plus est, formée après une campagne électorale n’ayant pas enthousiasmé les Français- peut-elle s’accorder sur autre chose que de vagues slogans ?

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Alors que François Rebsamen lance "Fédération progressiste" pour "attirer tous les déçus du PS" et soutenir Macron, il rejoint une majorité hétéroclite de micro partis allant jusqu’au parti radical ou Horizons, le parti d’Edouard Philippe, bien plus marqué à droite. Quelle est la diversité des positionnements que l’on retrouve dans cette majorité ? A quel point y a-t-il des incompatibilités ?

Jean Petaux : La majorité présidentielle sortante (dont le « spectre »est  plus large que la majorité législative élue en juin 2017) occupe un espace politique qui va en effet de la « social-démocratie » assumée et revendiquée (à la différence de celle de certaines personnalités ou anciens cadres dirigeants du Parti Socialiste qui « pratiquent » la « social-démocratie » à la manière des Juifs marranes, clandestinement….) à une forme de « gaullisme » que l’on aurait qualifié « de gauche » sous de Gaulle (tendance Léo Hamon, René Capitant, André Fontan) ou de « gaullisme social » (Chaban, « La Nouvelle société ») ou de « gaullisme de progrès » (le Séguin contre « la fracture sociale ») à moins que ce ne soit, quelques années auparavant, le « radical-chiraquisme » du discours d’Egletons (1976) qui avait trouvé en Chirac un promoteur du « travaillisme à la française » (ce qui ne voulait rien dire, mais qui était du pur Chirac dans sa capacité à faire des phrases, justement, pour ne rien dire…). Ce large spectre politique n’est pas homothétique d’un même spectre idéologique. Sa diversité est essentiellement organisationnelle et partisane. Car, bien évidemment, tous ces « pantones » politiques ne sont que les composantes d’un nuancier idéologique qui va de « l’orange sanguine » à « l’orange pâle » en passant par « l’orange-citronnée » (on évitera la référence à la couleur « jaune » pas forcément tolérée par les macronistes… on se demande pourquoi…). Sur le fond et même dans la plupart des détails, ils sont d’accord sur tout ce qu’ont proposé le président de la République et le gouvernement depuis 2017. On m’objectera que le groupe LREM majoritaire à lui-seul à l’Assemblée après le second tour des législatives de juin 2017 a fondu comme neige au soleil au point de ne plus avoir la majorité en cours de législature. Mais les « démissionnaires » ne sont pas partis dans l’opposition, ni à LR ni au PS… encore moins à LFI. Ils ont trouvé un « point de chute » dans des groupes plus petits, « Libertés et Territoires », le MODEM bien sûr, se récupérant au passage des fonctions et des « cordons » qu’ils ne pouvaient obtenir noyés dans la « masse » du groupe LREM…

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En réalité on peut considérer que la « majorité parlementaire macronienne », avec les formations que vous énoncez dans votre question, est un peu la reproduction fractale de toute la scène politique française considérablement fragmentée elle aussi. Le paysage politique national relève désormais du « Principe des Matriochkas ». Les célèbres poupées russes traditionnelles contiennent d’autres poupées à l’intérieur, jusqu’au plus petites d’entre elles. Ainsi peut-on considérer que dans celle de l’extrême-droite figure la « poupée Marine », qui a recouvert un temps la « poupée Z » et la « poupée Marion », sans parler encore antérieurement de la « poupée Patriote ». Celles-ci ont quitté la plus volumineuse des « Matriochkas » pour s’autonomiser, mais la plus petite, celle nommée « Marion », vient de rentrer dans la « Z »… Elle en sortira avec la même « fluidité » quand « Reconquête ! » sera devenue une mauvaise étiquette… Il en va de même entre les différentes sensibilités de la droite Républicaine. Pour ce qui est de la gauche l’exemple vaut de manière éclatante aussi bien au sein des écologistes, que des socialistes (canal historique), etc. : dans ces formations partisanes mais aussi entre elles.

Le phénomène de l’éclatement de la scène politique française en formations autonomes a été renforcé par le financement public des partis politiques et par le phénomène des « micro-partis » permettant de se constituer un « trésor de guerre » en marge des grandes formations d’élus, « machines électorales ». Il s’est agi alors, pour nombre de potentiels leaders, autoproclamés tels, ou parce que leurs maitresses (ou leurs amants) le leur susurraient tous les matins au réveil, de « se mettre à leur compte », tout en sauvegardant les apparences, en ne quittant pas « leur parti » ou en « s’en affranchissant » sans couper totalement les ponts… .  Les partis politiques structurés qui répondaient aux définitions « canoniques » formulées par La Palombara et Weiner (1966) par exemple ont « explosé » sous les coups répétés des primaires, véritables bombes à fragmentation des organisations partisanes, engendrant la multiplication des clans, écuries, fractions, autant de regroupements d’intérêts soutenants une femme ou un homme dans la compétition interne. Le phénomène a toujours existé, les primaires l’ont démultiplié. Robert Michels, le grand sociologue italien, dès les années 1920, avait établi sa fameuse « loi d’airain de l’oligarchie » en vigueur dans les partis sociaux-démocrates qui reconnaissaient pleinement les « tendances » et les « courants ». En France, le PS  après 1971 et avant lui la SFIO, depuis 1905, ont fonctionné sur ces reconnaissances des « sensibilités » politiques, au sein même de l’organisation partisane. Mais progressivement les « courants » qui recouvraient de véritables nuances politiques voire différences idéologiques (« jacobinisme centralisteur » vs « girondinisme décentralisateur » ou « autogestion » vs « étatisation ») vont perdre de leur contenu pour n’être plus que des « groupes de supporters ». A partir de 1986 le Parti Socialiste est atteint par cette dérive qui mélange « personnalisation » et « concours de beauté ». Au temps de la splendeur du PS, tous les habitués de « Solfé » (nom donné à la direction nationale du PS installée « rue de Solférino ») le savait : dans la répartition des postes et des responsabilités, voire des mandats, il était préférable d’être l’un des rares représentants du courant « Poperen » (un vague truc qui a existé derrière Jean Poperen après 1971, lequel, venu du PCF, son frère Claude était resté dans l’entourage immédiat de la direction de Georges Marchais, était passé par l’UGCS, un regroupement de clubs socialisants dans les années 60 puis par le PSU de Rocard avant de rejoindre le NPS au congrès d’Alfortville en 1969)… Etre « Popereniste » (comme Jean-Marc Ayrault par exemple, d’abord élu maire de Saint-Herblain en 1977 puis maire de Nantes en mars 1989, nommé premier ministre par François Hollande en mai 2012) c’était l’assurance de faire une belle carrière politique nationale au sein du PS… Plutôt inespérée pour le titulaire d’un CAPES de langue allemande…

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On observe la même situation aujourd’hui avec la majorité parlementaire sortante : toutes les formations politiques que l’on trouve à l’intérieur de la « Matriochka » nommée « Macronisme » n’ont qu’une fonction : assurer à leurs animateurs, à la petite escouade qui l’entoure, une ou quelques chaises à la table de la commission des investitures aux prochaines législatives et obtenir un ou deux maroquins ministériels en guise de « partage des trophées »… Etant entendu que le paradigme de Pareto produit pleinement ses effets : ce qui est utile ici c’est d’être marginal. C’est la garantie d’être représenté… Il est préférable d’être premier dans le hameau du plus petit village de la majorité présidentielle que d’être dans le « top ten » de la direction de la plus importante de ses composantes…

Une majorité aussi hétéroclite - qui plus est, formée après une campagne électorale n’ayant pas enthousiasmé les Français- peut-elle s’accorder sur autre chose que de vagues slogans et proposer un vrai programme commun ?

Jean Petaux : Bien sûr… parce que justement elle n’est pas si hétéroclite que cela. Elle est « organisationnellement composite », cela ne veut pas dire qu’elle est « idéologiquement fragmentée ». D’ailleurs les « matériaux composites » peuvent être très solides, avec une résistance au feu et à la chaleur d’ailleurs qui les font être préférés à certains aciers : freins des trains d’atterrissage d’avions ; têtes de rentrée dans l’atmosphère des missiles nucléaires M51 qui sont ceux de la dissuasion atomique française, etc. Le programme de la majorité présidentielle à venir (à la condition que le Président sortant soir réélu, ce qui est loin d’être fait…) sera forcément « commun » puisqu’il sera celui d’un seul.

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Dans un sens alors tout différent, ’expression « Programme commun » renvoie au « Programme commun d’Union de la Gauche » signé entre trois grandes formations politiques de gauche, en 1972. L’une surpuissamment organisée (le PCF) ; la deuxième en phase de « renaissance » (ou plutôt de « résurrection ») (le PS) et la troisième, une composante minoritaire du plus vieux parti politique français (le MRG,  Mouvement des Radicaux de Gauche, issu du parti majoritaire sous la Troisième République et encore « (dé)faiseur de gouvernement » sous la Quatrième). Les négociations et discussions entre ces trois partis, entre 1971 et 1972 pour élaborer le « fameux » « Programme commun » ont été extrêmement longues, passionnantes et passionnées, mobilisant des groupes d’experts de haut niveau… Quand il a fallu entamer la fameuse phase « d’actualisation du Programme commun » (été 1977), les « rounds » de négociations ont, rapidement, mal tourné. La direction du PCF emmenée par Georges Marchais a quand même fini par comprendre que le PS de François Mitterrand lui « mangeait la laine sur le dos » et « plumait la volaille communiste » avec ferveur, méthode et sourires carnassiers. L’Union de la Gauche explosa, au plan national seulement, elle se poursuit encore dans de nombreuses municipalités, 50 ans après la signature du Programme commun qui en portait le nom. C’est dire son impact et sa portée symbolique non seulement dans l’imaginaire politique français, dans la culture de la gauche et dans sa dimension encore concrète aujourd’hui.

Les municipales de 2021 ont montré que quelques villes ou grandes villes sont passées « à gauche » (de fait moins de 10), avec des maires écologistes élus à leur tête. En dehors de Strasbourg et de Lyon, ou de Poitiers, les écologistes étaient dans une « grande coalition » et pas sous leur seule « casaque ». Il est donc totalement inexact de parler de « vague verte » aux dernières municipales. On a  assisté à de véritables « coalitions » d’intérêts qui se sont constituées de « bric et de broc » allant, dans certaines situations, jusqu’à des listes municipales qui ont compté  8 ou 9 logos de partis et mouvements différents sur les affiches et les professions de foi. Avec parfois des surprises. Tel représentant, dans une ville, membre du « Mouvement des Progressistes » (MDP), parti fondé en 2009 par l’ancien premier secrétaire du PCF, Robert Hue, qui a soutenu la candidature d’Emmanuel Macron en 2017, a rejoint une liste « plurielle » de gauche, emmenée par une tête de liste écologiste. On a l’occasion de constater, aujourd’hui, que ces listes « composites » procèdent davantage du « salad bowl » que du « melting pot ». Autrement dit les « morceaux » constituant la salade restent très autonomes et ne se fondent pas forcément dans une harmonie onctueuse. C’est que la culture du débat permanent à gauche est très différente de ce qu’imprime (ou qu’impose) le « césarisme macronien ». Là où une petite dizaine de formations politiques peuvent cohabiter dans une « majorité de gouvernement » chez les macronistes, sans s’autobloquer ; avec le même nombre, une dizaine, les organisations partisanes, à gauche, s’ingénieront à s’invectiver, à se neutraliser et donc à paralyser la machine gouvernementale locale, chacune estimant détenir un morceau de la « vraie croix » de la « social-écologie-woké-décoloniale-et-végano-antispéciste », tout cela bien sûr dans un « genre déstructuré » et/ou « décroissant, forcément décroissant » pour paraphraser Marguerite D.

Si, comme la rumeur le raconte, Nicolas Sarkozy soutient Emmanuel Macron et rallie à lui une partie de LR, avec cette neuvième composante, l’équation deviendrait-elle encore plus difficile à réaliser? La cohérence ne se fera-t-elle que sur le plus petit dénominateur commun ?

Jean Petaux : Je ne le pense pas. À la fois pour les raisons que j’ai exposées précédemment mais surtout parce que Nicolas Sarkozy n’est sans doute plus vraiment en mesure de peser, en nombre,  sur une partie de LR. On se souvient de la phrase terrible de Staline : « Le pape ? Combien de divisions ? ». La question peut être posée au sujet de celui qui fut président de la République entre 2007 et 2012. Les sifflets qui ont retenti lors du dernier meeting de Valérie Pécresse ont eu, d’après la presse, l’effet de plonger celui qui en a été la « cible », dans une « colère froide ». Chez Nicolas Sarkozy cette expression est un oxymore. Mais retenons-en le symbole : la statue de celui qui fut « le chef » autant adulé que craint est bien déboulonnée désormais de la galerie des héros LR. Qu’il soutienne Emmanuel Macron ou pas, surtout pour le premier tour, n’aura qu’un faible effet électoral… S’il doit en avoir un d’ailleurs il serait plutôt négatif. Dans l’hypothèse d’une qualification de Macron au second tour, un appel dans le cadre d’une forme « d’Union sacrée » contre Marine Le Pen, à condition qu’il ne soit pas isolé, aurait peut-être plus d’impact… Le doute subsiste.

Le fait donc que Nicolas Sarkozy vienne ajouter sa petite pierre au « massif macronien » n’aura donc aucun effet sur le degré de cohérence ou de dispersion du « puzzle majoritaire », après juin 2022, encore une fois si Emmanuel Macron l’emporte le 24 mai au soir. Tout simplement, comme je l’ai dit, parce que la cohésion majoritaire ne se fera pas sur un « dénominateur commun » (grand ou petit) mais sur un leader d’autant plus incontesté qu’il aura réussi la prouesse de se faire réélire pour un second mandat, sans être passé par le « régénérateur de confiance » qu’ont été les deux cohabitations de 1986-88 pour Mitterrand et de 1997-2002 pour Chirac. Le « dénominateur » sera, en fait, le « grand dominateur ».

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