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La politique étrangère pourrait-elle sauver le candidat Hollande face à l'hystérie de la droite et de la gauche autour du burkini ?
©Reuters

Technique de sioux

"Semaine des ambassadeurs", rencontre avec la chancelière allemande et sommet du G20 en Chine : la semaine du président français est placée sous le signe de l'international. Alors que le Premier ministre occupe la scène médiatique avec le burkini, entraînant avec lui toute la droite, le président pourrait utiliser la politique étrangère pour se détacher de ce débat interne afin d'accroître ses chances face à ses rivaux.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Alors que le débat sur le burkini se poursuit aussi bien à gauche (où il est essentiellement incarné par Manuel Valls) qu'à droite, François Hollande se prépare à l'ouverture ce lundi de la "semaine des ambassadeurs" qui permet de fixer les grandes orientations de la politique étrangère française. Cette semaine sera marquée également par la rencontre avec Angela Merkel ce vendredi à Evian, et le sommet du G20 dimanche à Hangzhou (Chine). François Hollande peut-il utiliser la politique étrangère pour se démarquer de ses concurrents, aussi bien à droite qu'à gauche ? 

Alexandre del Valle Il pourrait effectivement utiliser la politique étrangère à cette fin, même si je ne le trouve pas spécialement proactif en ce sens, comme en témoigne notamment le défaut de leadership français en Syrie en vue de la transition. D'ailleurs, les négociations ont lieu à l'heure actuelle essentiellement entre les Américains et les Russes, la France étant elle évacuée. 

Néanmoins, le fait qu'il insiste sur ce volet international, notamment cette semaine, pourrait lui permettre de prendre de la distance par rapport aux problématiques nationales, comme le burkini, susceptibles de faire baisser sa cote de popularité. En parlant de politique étrangère, un président a toujours l'air davantage prestigieux que lorsqu'il est embourbé dans des questions électorales, économiques et sociales internes. Il paraît évident qu'il va essayer de jouer sur ce tableau. 

Quelle place revêt généralement la politique étrangère dans le cadre de la présidentielle française ? A-t-elle déjà permis à un candidat de se différencier notablement de ses concurrents, contribuant ainsi à sa victoire ? 

A l'exception du général de Gaulle, avec la guerre d'Algérie - qui était à la fois une question d'ordre interne et international - cela n'est jamais arrivé dans l'histoire de la Ve République. Contrairement aux élections législatives et autres élections locales qui favorisent notamment les jeux d'alliances, la présidentielle apparaît comme beaucoup plus démocratique. De ce point de vue, il s'agit de l'élection qui concerne le plus de Français, et notamment de "Français lambda". Or ce ne sont pas ces derniers qui s'intéressent particulièrement à la politique étrangère, sauf quand celle-ci est liée à la sécurité nationale. Ceci explique pourquoi Nicolas Sarkozy surfe sur le thème identitaire, parce qu'il sait que c'est le thème de préoccupation par excellence des Français à l'heure actuelle. Cette question identitaire est donc fondamentale pour n'importe quel candidat. En se présentant comme un chef de guerre, Hollande utilise lui aussi ce thème d'une certaine façon, et surtout le créneau de la politique étrangère, puis son statut de chef des armées, pour rassurer les Français sur les questions de sécurité. Mais cela fonctionne de moins en moins à chaque attentats. 

Dans le cadre de la présidentielle de 2017, la politique étrangère pourrait aider à la victoire d'un candidat à la seule condition que celui-ci parvienne à faire le lien entre l'international et la sécurité quotidienne des Français, comme le font seulement Nicolas Sarkozy et François Hollande. Ce qui est nouveau aujourd'hui dans le débat électoral, c'est que le discours de Daech menace l'ensemble des Français, n'importe où et n'importe quand, alors qu'avant, les Français avaient tendance à se dire qu'ils ne risquaient pas grand-chose à partir du moment où ils n'étaient pas Israéliens, pas policier ou pas un caricaturiste de Charlie Hebdo, pas un "facho" ou un "islamophobe" ou encore une personnalité politique favorables aux guerres en terre d'islam. Maintenant, tout le monde pense pouvoir être la cible de ceux qui nous détestent au nom d'une religion assimilée aux violences terroristes pas ceux-là mêmes qui tuent en criant "Allah Ouakbar". Ceci comptera très certainement dans la présidentielle française de 2017. De ce point de vue, les déclarations de Jean-Luc Mélenchon et d'autres personnalités de gauche qui se solidarisent presque avec les défenseurs du burkini visent uniquement une niche de révoltés des les quartiers défavorisés et de militants d'extrême-gauche révolutionnaire. Pour réussir à la présidentielle de 2017, il faut viser la majorité qui a peur de l'islamisme et veut être rassurée sur les thèmes de l'identité, de la sécurité et des valeurs de la France. 

A quelques mois désormais de la présidentielle 2017, quel bilan de politique étrangère peut-on dresser à l'issue de ce premier quinquennat Hollande ? Ce bilan peut-il jouer en faveur de François Hollande ?

Par rapport à l'intervention en Libye, il est certain que le bilan de François Hollande en tant que chef de guerre au Mali paraît bien meilleur que celui de son prédécesseur, même si la situation actuelle dans le pays n'est pas au beau fixe et que les islamistes menacent fortement de revenir. Il faut rappeler que la guerre au Mali a été acceptée par les Africains, y compris par l'Algérie, qui y était pourtant opposée initialement. La guerre du Mali a été lancée de manière efficace et intelligente, en concertation avec des partenaires régionaux. Pour ces raisons, cette intervention n'a pas déstabilisé l'Afrique. Là où le bât blesse pour Nicolas Sarkzoy - et il va lui falloir être très inventif pour rebondir - c'est que personne aujourd'hui ne peut nier que la guerre en Libye a été une véritable catastrophe, locale, régionale et même aux répercussions internationales. Ses conséquences se font encore sentir chaque jour : des armes en circulation en Syrie, en Somalie, au Sahel, au Mali, en Tunisie, etc, proviennent de Libye, de même que celles qu'utilise Boko Haram au Nigeria. L'intervention en Libye a déstabilisé une grande partie de l'Afrique, ainsi que le Proche-Orient. Même si Nicolas Sarkozy rétorque qu'on ne pouvait pas prédire l'évolution de cette intervention, on pourra toujours le contredire puisque tout le monde sait que cette intervention a été décidée à partir de fausses informations du Qatar selon lesquelles un génocide était imminent à Bengazi, en réalité dans le but de mettre au pouvoir dans ce pays les frères musulmans et des groupes salafistes jihadistes alliés et sponsorisés par le Qatar, notamment. 

Compte-tenu des remarques précédentes, on pourrait imaginer que François Hollande décide stratégiquement de mettre en avant la politique étrangère dans le cadre de sa campagne afin de mettre en difficulté Nicolas Sarkozy. Mais ce dernier pourra toujours lui rétorquer que ces derniers mois, des attentats meurtriers, commis avec peu de moyens, ont été perpétrés sur le territoire national compte tenu de l'absence de sécurisation et de l'inefficacité répétée et déconcertantes des forces de l'ordre. L'attentat du Bataclan a mis en lumière des carences incroyables des forces de l'ordre qui ont mis deux heures avant d'intervenir, croyant que c'était une prise d'otages alors qu'il s'agissait d'un massacre en direct. Quant à Nice, aucune barricade n'avait été mise en place pour pouvoir stopper des véhicules sur des voies tout à fait interdites, ce qui se fait souvent pourtant même dans des petites villes. Si Hollande veut jouer sur ce tableau, il risque de se prendre en pleine figure son inefficacité en tant que chef de guerre interne. 

Dans le cadre de la "semaine des ambassadeurs", François Hollande prononcera un discours mardi dans lequel il sera essentiellement question de la Syrie, et notamment d'Alep. Dans quelle mesure la France peut-elle s'imposer sur le dossier syrien ? 

Aujourd'hui, la France essaye de s'imposer sur ce dossier en s'arc-boutant sur des positions "post-fabusiennes" qui consistent à dire que les Russes et les Syriens sont les méchants parce qu'ils ne respectent pas le cessez-le-feu à Alep ou ailleurs et qu'ils bombardent des rebelles modérés. Tout ce que la France a trouvé à faire actuellement, c'est donc de venir en aide à des rebelles modérés qui sont, en fait, très liés à des mouvements djihadistes, ceci face à un Etat qui a pourtant le droit et le devoir de reprendre le contrôle de son territoire. On le sait très bien depuis deux ans : il n'y a plus aucun groupe de rebelles dits "modérés" , mais que islamistes et des djihadistes qui ont pour seul objectif d'instaurer par la force la Charia. En demandant aux Russes de cesser leurs bombardements contre les groupes « rebelles », en réalité islamistes radicaux et jihadistes rivaux de Da'ech et liés à Al-Qaïda ou aux Frères musulmans combattants, la France montre qu'elle n'a pas compris qui était l'ennemi; à aucun moment elle ne l'a hiérarchisé. L'ennemi, ce n'est pas seulement Daech, mais tous les groupes souhaitant imposer par la force un modèle chariatique totalitaire. 

Dans une interview accordée au Monde, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, a demandé aux Russes "d'arrêter de bombarder" en Syrie, appelant urgemment à la mise en place d'une solution politique. Cette approche peut-elle faire espérer un succès français dans la résolution du conflit syrien ? 

Je ne pense pas. Ce qui bloque aujourd'hui les négociations en Syrie, c'est que vous avez d'un côté les pays islamistes du Golfe, les Etats-Unis et la France qui ne veulent considérer comme groupes terroristes que le Front al-Nosra - appelé désormais Front al-Sham - et Da'ech, puis, de l'autre les Russes qui considèrent qu'il convient de mettre sur la liste des groupes terroristes non seulement al-Nosra et Daech, mais tous les groupes djihadistes qui poursuivent les mêmes objectifs avec la même méthodologie et qui seraient plus d'une quinzaine à l'heure actuelle en Syrie (dint Ahrar al-Sham, jaich al-islam, jaich al Fatah, Mourad Sultan ; Front islamique, etc). La France continue ainsi à être l'obligée du Qatar et de l'Arabie saoudite qui exercent des pressions sur les Occidentaux pour intégrer dans la Syrie du futur des personnalités qui sont, comme on a d'ailleurs fait en Libye, des totalitaires djihadistes, lesquels ont pour programme la Charià et le Califat, et qui voudront éliminer les Alaouites, les non-musulmans et tout ce qui représente l'ancien régime baathiste laïque, ce que Moscou et l'Iran ne peuvent pas accepter puisque la Syrie est leur porte d'entrée quasi exclusive sur le Proche Orient. On ne peut pas demander aux Russes, aux Iraniens et au régime de Damas des choses à la fois irréalistes et inacceptables pour eux (enjeu des bases russes de Tartous et Hmeymim, etc). En l'absence de plus de pragmatisme, ce que nous déplorons Randa Kassis et moi-même dans notre « Comprendre le chaos syrien » (2016, L'Artilleur), le conflit risque encore de durer des années. N'oublions pas que la guerre du Liban, elle, a duré quinze ans...
Propos recueillis par Thomas Sila

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