Faut-il craindre une poussée de l'extrême droite en Europe ?<!-- --> | Atlantico.fr
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54% des Autrichiens pensent que le parti nazi gagnerait des sièges au Parlement s'il était autorisé (illustration).
54% des Autrichiens pensent que le parti nazi gagnerait des sièges au Parlement s'il était autorisé (illustration).
©Reuters

Idée reçue

Selon un récent sondage, une majorité des Autrichiens estiment que les Nazis remporteraient aujourd'hui un succès politique aux élections. Un effet trompe-l'œil qui en dit long sur la perception parfois biaisée des extrêmes-droites sur le Vieux Continent.

Jean-Yves Camus et Stéphane François

Jean-Yves Camus et Stéphane François

Jean-Yves Camus est chercheur associé à l'IRIS, Jean-Yves Camus est un spécialiste reconnu des questions liées aux nationalisme européens et de l'extrême-droite.

Juif orthodoxe, il collabore à la revue Mishpacha (La Famille)

Stéphane François est politologue et historien des idées. Spécialiste de l'extrême droite.

Il est chercheur au sein du GSRL et rattaché à l'IDPSP de l'université de Rennes I et enseignant à l'IPAG de Valenciennes

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Atlantico : Selon un sondage local, 54% des Autrichiens pensent que le parti Nazi gagnerait des sièges au Palais Epstein (Parlement) s'il était autorisé. Ce type de phénomène nous démontre-t-il qu'il y a une montée notoire des extrêmes-droites en Europe ?

Jean Yves Camus : Je commencerai par une réflexion légèrement annexe mais pas inutile selon moi, à savoir la manière d'interpréter les sondages d'opinion.  Ces enquêtes, qui sont par ailleurs crédibles et sérieuses, sont souvent commentées avec un art de la déformation qui va jusqu’à transformer le sens de la question posée. Je donne un exemple : lorsque l'on demande "Voyez vous Marine Le Pen au second tour de la présidentielle de 2017" on en déduit hâtivement que les Français qui répondent par l'affirmative seraient prêts à voter pour elle le jour venu.

Quant à ce fameux sondage autrichien. 54% des autrichiens ont répondu oui à la question " si le parti nazi existait aujourd'hui obtiendrait-il des sièges à l'Assemblée ?" ce qui n'a strictement rien à voir avec l'idée que 54% d'entre eux seraient prêts à plébisciter ce parti. On peut par ailleurs ajouter que l'Autriche a été la première à interdire toute formation nazi en 1945, avant l'Allemagne.

J'en reviens donc à la question posée pour vous répondre que non, il n'y a pas de remontée de l'extrême droite en Europe. Ce qui a pu le plus ressembler à une "vague" a été ce que la littérature scientifique baptise la troisième vague néo-populiste, dans les années 1980. On a pu à cette époque effectivement constater une hausse conjointe de différentes formations de droite dures :  le Front National en France, le Vlaams Belang en Belgique, la Ligue du Nord en Italie ou encore le FPÖ en Autriche. Néanmoins, depuis, le mouvement est redevenu extrêmement hétérogène. Les élections législatives italiennes de février ont par exemple donné en cumulé seulement 5% de voix à tous les mouvements situés à droite à Berlusconi (on peut dire de ce dernier qu'il et populiste, mais pas d'extrême droite). Plus récemment, le premier tour des élections à Malte, petit pays où l'immigration illégale est un sujet de société constant, n'a pas fait émerger de formations se réclamant d'un populisme xénophobe. Le problème doit être vu différemment, puisque ce n'est pas tellement d'une nouvelle émergence électorale de l'extrême droite qu'il s'agit mais plutôt d'une avancée de certaines de ses idées dans la société. 

Stéphane François : S’il y a bien actuellement une volonté de repli sur soi en Europe, on ne peut pas dire qu’elle soit uniforme. Les raisons de ce repli varient d’un pays à l’autre, en fonction des histoires nationales, particulières. En affinant, on peut voir qu’il existe au sein d’un même pays différentes variantes d’extrême droite : il n’y a pas une mais des extrêmes droites ayant chacune leur idéologie propre, les unes insistant sur l’aspect identitaire, les autres sur le nationalisme, certaines étant chrétiennes, d’autre païennes, etc. Parfois, et cela arrive assez fréquemment, ces différentes tendances s’opposent. Malgré tout, on peut tout de même dire que les ravages de la mondialisation sont à l’origine de la montée globale de l’extrême droite.

N'y a-t-il pas plutôt une émergence d'une nouvelle droite "néo-populiste" au détriment d'une extrême droite plus traditionaliste ?

Jean Yves Camus : Je parlerai plutôt d'un éloignement des référents de l'extrême-droite historique, nous sommes après tout en 2013. Les hommes politiques qui autrefois s'étaient formés pendant les deux Guerres Mondiales ou durant les guerres coloniales se sont faits extrêmement rares de nos jours. Nous sommes encore une fois dans une avancée des idées plutôt que des partis. Un personnage comme Beppe Grillo, malgré une tonalité très altermondialiste et anti-capitaliste, n'hésite pas ainsi à manipuler certaines discours empruntés à l'extrême-droite locale, notamment le rejet des partis politiques et l'opposition au droit du sol. Ce dernier est un populiste, dans le sens ou il oppose la démocratie directe à la démocratie représentative, celle des élus et qu'il attribue au peuple un bon sens naturel capable de surmonter les difficultés de la sphère politique. Cet argument de la démocratie par et pour le peuple se retrouve dans le discours du FN ou de l'UDC Suisse, qui usent souvent de l'argument du référendum d'initiative populaire. On peut parler de montée de la rhétorique populiste, plutôt que d'une marée électorale profitant à l'extrême droite.

Stéphane François : Oui, on peut parler de l’émergence d’une droite extrême néo-populiste. Les observateurs ont remarqué son essor depuis une dizaine d’année, même s’il en existe des exemples plus anciens comme le Front national. En fait, l’extrême droite « traditionnelle », antirépublicaine et antidémocratique, n’a jamais réussi à avoir de nouveau, depuis la fin de la Seconde guerre, l’importance qu’elle avait eue avant guerre. Encore aujourd’hui, ces groupes ou partis, s’ils sont radicaux, restent minoritaires. N’oublions pas que l’extrême droite est restée marginale en France jusqu’au début des années 1980, et le renouveau est venu d’un parti néo-populiste, le Front national. Dans un sens, cette extrême droite traditionnelle est un reliquat du passé… Par contre, l’extrême droite populiste, aux origines diverses (soit des partis de l’extrême droite « classique » qui ont su se transformer, soit des partis nés dans la droite de gouvernement qui se sont radicalisés), a su surfer sur l’air du temps. Mais surtout ce qui a permis l’émergence et l’essor de cette extrême droite populiste est le fait qu’elle accepte le jeu démocratique, au contraire des groupes de l’extrême droite « traditionnelle ». Cela a favorisé évidemment son essor, en sus de son discours démagogique…

Peut-on davantage parler d'une montée du sentiment identitaire plutôt que d'une hausse de l'extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Je ne pense pas, puisqu'à mon sens le sursaut identitaire ne se fait pas tellement dans le cadre de l'Etat-nation. On peut parler selon moi d'une montée des identités singulières face au mouvement de massification que provoque la mondialisation. On voit arriver dans plusieurs régions d'Europe des volontés d'autonomie relative, voire d'indépendance, comme en Catalogne ou en Ecosse, qui n'ont encore une fois rien de similaire avec le nationalisme identitaire d'extrême droite. Il s'agit d'une affirmations de spécifités plus fines encore que celle données par la nationalité. Face à l'alignement global des cultures, il n'est effectivement pas étonnant de voir apparaître des besoins d'appartenance et de transmission propres à une ou des identités proches, mais cela ne se fait pas au bénéfice de la rhétorique de l'extrême-droite. 

Stéphane François : L’essor des discours identitaires a commencé au milieu des années 1990. Ils sont apparus dans le sillage de la Nouvelle droite, en particulier chez certains dissidents, qui mirent en avant l’affirmation ethnique. Mais surtout, ces discours ont connu un essor au début des années 2000, à la fois comme rejet de la mondialisation, comme rejet de l’islam, et comme volonté de se réapproprier une mémoire. En effet, ces discours identitaires s’inscrivent aussi, comme on l’a montré Nicolas Lebourg et moi-même dans un ouvrage à paraître, dans le cadre de la montée des communautarismes et se présente comme la volonté de créer un communautarisme blanc. Ceci dit, si l’on est honnête, on doit chercher l’une des origines de cet identitarisme chez certains auteurs de gauche qui firent l’éloge des communautés dans les années 1970 … Toutefois, le tournant reste quand même le 11 septembre et les thèses du « choc des civilisations » qui ont suivies.

Le succès ou non de l'extrême droite en Europe ne s'explique t-il pas davantage par les évolutions nationales plutôt qu'européennes ?

Jean-Yves Camus : Evidemment. Un parti nationaliste répond logiquement à des tendances directement... nationales ainsi qu'à une histoire remplies de particularismes in-transposables. L'histoire du nationalisme des pays d'Europe Centrale et Orientale n'a par exemple que peu en commun avec celle de la France, ou s'affrontent depuis plus de deux siècles les tenants et les opposants de l'idéologie des Lumières. Ce n'est pas non plus l'histoire de la Grande Bretagne, qui n'a jamais réellement connu d'extrême-droite, et ce n'est pas, bien sûr, celle de l'Allemagne et de l'Italie. Je finirais en disant que tous ceux qui parlent d'une "vague" rappellent un sentiment qu'avait décrit Pierre-André Taguieff qui consiste à imager l'adversaire, en le définissant comme une maladie, une catastrophe ou encore un animal. Quand on parle de "vague brune" sur l'Europe on évoque en filigrane une épidémie, ou l'on peut encore utiliser la métaphore de la gangrène. Il s'agit là d'une déshumanisation de l'adversaire qui révèle finalement la vision caricaturale que l'on peut avoir du phénomène.

Stéphane François : Je pense que c’est plus compliqué que cela. En effet, ces groupes identitaires ou populistes se retrouvent aussi aux Etats-Unis. En fait, il y a des échanges entre les continents, comme il y a des échanges entre pays d’un même continent, voire entre les différentes tendances au sein d’un même pays. Paradoxalement, on est face à des groupes (ou partis, ou mouvements) qui ne sont pas fermés à ce qui se passe ailleurs, du moins du point de vue des idées. Néanmoins, ils restent fermés à l’Autre, surtout s’il n’est pas « blanc » ou « occidental ». L’autre est rejeté si son altérité est jugée inassimilable. Ce qui serait intéressant d’étudier serait de comprendre pourquoi, et comment, se sont développées ces thèses identitaires, l’origine et l’essor du populisme ayant très étudiés…

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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