Petite revue des raisons qui expliquent que les emplois essentiels par temps de pandémie soient si mal payés<!-- --> | Atlantico.fr
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salaire crise covid-19
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©DAMIEN MEYER / AFP

Trappe à bas salaires

Certains secteurs essentiels de l'économie ont été mobilisés lors de la pandémie. Pourquoi des emplois "peu qualifiés" mais essentiels sont-ils dévalorisés dans la société et économiquement ? La crise sanitaire va-t-elle favoriser une remise en question des salaires ?

Bruno Palier

Bruno Palier

Bruno Palier est directeur de recherche du CNRS à Sciences Po (CEE).

Il est docteur en sciences politiques, agrégé de sciences sociales et ancien élève de l’école normale supérieure de Fontenay Saint Cloud.

Il travaille notamment sur les réformes des systèmes de protection sociale en France et en Europe.

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Atlantico.fr : Qui sont les travailleurs et les emplois essentiels qui ont été fortement mobilisés pendant la crise ? 

Bruno Palier : Comme l’a montré France Stratégie, trois types de services de travailleurs ont fortement été mobilisés durant le confinement total : les services régaliens (police, armée, pompiers…), les services logistiques (livraisons, distribution d’électricité, eau, masques…) et le service aux autres (prise en charge de personnes âgées dépendantes, santé, soignants, éducation du moins en partie…).

Lors de mon étude, j’ai voulu montrer que chacune des professions de ces groupes ont, soit des conditions de travail atypiques, soit dégradées au niveau de la rémunération ou de la protection sociale. Pour le premier groupe, on sait que le réel problème vient des conditions de travail difficiles avec des horaires atypiques, pour le deuxième groupe le bât blesse avec une dégradation en termes d’emploi, de reconnaissance et de rémunération, pour le troisième la pression psychologique est l’un des soucis majeur mais aussi des horaires atypiques et pour beaucoup une précarité et une mauvaise protection.

Lexonération fiscale peut-elle être un problème dans laugmentation des salaires ?

Pour 2020, les pertes de recettes fiscales et sociales au titre des exonérations générales de cotisations employeur et des dispositifs concernant l’emploi de salariés à domicile représentaient 60 milliards d’euros, soit 26 2.4 points de PIB. Ces politiques subventionnent le développement du secteur des services aux autres, mais d’une façon bien particulière. Il ne s’agit pas de subventionner directement les revenus de celles et ceux qui sont employés dans ces secteurs, voire de les financer directement en les intégrant dans des services publics financés par de la dépense publique, mais bien de consacrer des fonds publics à la réduction de leur coût pour leurs employeurs.

Dès, lors ce ne sont pas les revenus des personnes exerçant ces emplois qui sont améliorés, mais bien celui de ceux qui les emploient, ou bien les entreprises qui voient réduites les sommes consacrées à la rémunération du travail. Du côté des salariés des services dits « non qualifiés », on constate plutôt une stagnation des revenus autour du SMIC, sans véritable progression de salaires (si ce n’est la hausse du SMIC elle-même). En effet, notamment parce que les baisses de cotisations diminuent à mesure que le niveau de salaire augmente, des effets de seuil empêchent de voir progresser les revenus des personnes dont les employeurs bénéficient de baisses de cotisations. Le mécanisme de baisse du coût du travail par la baisse des cotisations maintient donc les personnes dans une trappe à bas salaire

Pourquoi des emplois dits "peu qualifiés" mais essentiels sont-ils dévalorisés dans la société et économiquement ? 

Il faut remettre en cause les instruments d’évaluation de la contribution des emplois à la richesse, à la croissance et de leur productivité. Beaucoup de la dépréciation de ces emplois repose sur une théorie économique énoncée par Baumol dans les années 60 : les emplois dans le secteur des services ne seraient pas susceptibles de gains de productivité. Il disait que c’est à la puissance publique d’améliorer leurs salaires car ils ne peuvent pas générer par eux-mêmes suffisamment de croissance. Il existe cependant un souci avec cette théorie car elle ne regarde que la productivité individuelle et elle conclut que si le salaire est bas, c’est qu’il n’y a pas de productivité… Cela montre bien que nous n’avons pas les instruments prenant en compte la rémunération d’un emploi par rapport à sa contribution collective.

Cette théorie a manifestement des points aveugles car elle n’est pas capable de se rendre compte que ces emplois sont essentiels. Et la contribution collective nous a sauté aux yeux pendant le premier confinement.

Les emplois considérés “non productifs” sont-ils condamnés à être moins payés que les emplois dits productifs ? 

La théorie précédemment évoqué a encore un bel avenir si on laisse le monopole de la connaissance légitime aux économistes néo-classiques du marché du travail. Il y a une dimension économique mais aussi politique. Si nous continuons de croire qu’il y a des vrais productifs dans l’économie de service nous allons avoir d’un côté les économistes, les managers, les cadres, architectes, profs et créateurs de start-up (ceux qui se présentent comme les « cerveaux » de l’économie de la connaissance) et d’un autre ceux qui s’occupe du service aux autres (ceux qui sont réduits au statut de servants des « cerveaux »). Ces derniers auront très peu de chance que leur rémunération augmente si on ne remet pas en cause cette dualité. Ces emplois-là ne sont pas reconnus comme tel et les salariés ont du mal à se reconnaître comme une classe sociale. On espère cependant que le confinement aura fait prendre conscience aux employés qu’ils ne sont pas tout seuls sur Uber, chez les particuliers ou dans leur maison de retraite, que de nombreux collègues exercent les mêmes professions de service aux autres.

Est-ce que la crise sanitaire favorise une remise en question de ces salaires ? 

Manifestement ! Avec le Grenelle de la Santé cet été, il y a eu une prise de conscience réelle sur le travail fourni par les infirmières et le personnel soignant. On s’est rendu compte qu’il y avait un véritable souci et des gestes ont été faits même s’ils peuvent être critiqués. Certains n’ont pu bénéficier de la prime mais il y a eu une tentative de revalorisation pour le secteur de la santé.

Cette revalorisation a du mal à s’étendre au personnel travaillant en EHPAD et on n’embraye pas sur les personnes payées grâce à des exonérations fiscales pour faire le ménage ou autres services aux particuliers. Il ne faut pas oublier que sans ces personnes-là, il n’y a pas de productivité des cerveaux. Il faut alors penser à partager les gains obtenus par notre productivité avec les personnes qui nous les permettent. 

Pour retrouver l'étude de Bruno Palier, "Pourquoi les personnes occupant un emploi "essentiel" sont-elles si mal payées ?", cliquez ICI 

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